Mercredi 8 juin est sorti en salles “Bienvenue à Marly-Gomont”. Le film retrace l’histoire vraie du Dr Seyolo Zantoko, originaire du Congo et arrivé à Marly-Gomont avec sa famille dans les années 1970. Une époque où les habitants de cette petite commune picarde de 400 habitants n’avaient jamais vu de Noirs. Kamini, rappeur célèbre et fils du généraliste a co-écrit cette comédie. Il nous raconte l’histoire de son père, médecin de campagne passionné.
 
 

Egora.fr : Qu’est-ce qui vous a poussé à raconter votre histoire au cinéma ?

Kamini : Au début j’avais plutôt l’idée d’une sitcom comme Le prince de Bel Air avec Will Smith. Dans la série, le père est avocat. Moi j’avais commencé à écrire sur une famille de black qui vivait à la campagne à Marly-Gomont et dont le père est médecin. Mais mon père est décédé en 2009 et suite à sa mort j’ai transformé mon écriture et j’ai écrit le scénario d’un long métrage pour lui rendre hommage.

Dans ce film vous racontez l’arrivée de votre famille, originaire d’Afrique, à Marly-Gomont. Comment votre père est arrivé à Marly-Gomont ?

Dans la vraie vie, mon père travaillait à l’hôpital de Nouvion-en-Thierache à une vingtaine de kilomètres de Marly-Gomont. Puis il a décidé d’ouvrir son propre cabinet. Il voulait s’installer à Nouvion En Thierach, mais les médecins des alentours n’étaient pas contents d’avoir un concurrent en plus. Pour éviter les problèmes, il a décidé de partir ouvrir son cabinet à Marly-Gomont. Lorsqu’il a dit à ses collègues qu’il allait s’installer à Marly-Gomont, ils ont ri. Ils lui disaient qu’il était fou, que Marly-Gomont c’était le désert, qu’il n’y avait rien. A l’époque dans les années 70, les mentalités et la perception des gens étaient très différentes. C’est vrai que quand il est arrivé là-bas, c’était un peu compliqué. Les gens n’étaient pas habitués à voir des Noirs, ils n’en avaient jamais vus. D’autant que le médecin relève de l’intimité, alors aller confier sa santé à un noir, c’était assez inédit pour eux !

Comment s’est passée l’installation ?

Au début ça ne tournait pas fort. Dans les années 70, les médecins qui arrivaient devaient se faire connaître auprès de la population, aller dans les marchés, dans les bars… Et en étant noir, il avait la double-peine, il devait faire tout ça, mais deux fois plus. Il y avait un challenge en plus pour se faire accepter.

Comment est-il parvenu à vaincre cette méfiance ?

Tout simplement parce qu’il était vraiment fait pour ça. C’était vraiment LE médecin de campagne. Il y a des gens qui font médecine parce qu’ils sont très intelligents et qu’ils ont une capacité à emmagasiner des informations, ça fait d’eux des savants de la médecine. Mais il y a quelque chose qui ne s’apprend pas en médecine, c’est le comportement avec le patient, les attitudes, la générosité, le partage, la mémoire, le suivi… Mon père avait toutes ces qualités et il était aussi très bon en théorie. Il avait une combinaison parfaite qui a fait que les patients sont vite devenus accro à leur médecin. Certains venaient même de villages très éloignés, dans lesquels il y avait déjà des généralistes, mais ils ne juraient que par mon papa.

Quel était son rythme de travail ?

Il n’avait pas d’heure. Il faisait du 8h – 22h. Dès qu’on l’appelait, il venait. Il faisait aussi du social. En fin de carrière en 2008, il a reçu une médaille du mérite pour service rendu à la Picardie. Il avait la deuxième patientèle la plus grosse de la région.

En tant qu’enfant d’un médecin qui travaille tous les jours de 8h à 22h, vous le viviez comment ?

C’était notre vie de tous les jours, on était habitués à le voir peu, sauf le dimanche. Mais dès qu’il pouvait faire des petites pauses dans l’après-midi pour nous voir il le faisait. Il nous ramenait de l’école. Il essayait de faire tout pour être présent. Mais c’est vrai qu’il travaillait énormément. Des fois même plus que 8h – 22h.

Aujourd’hui les jeunes médecins ne veulent plus s’installer dans les déserts, comment en tant que jeune homme vous avez vécu la vie à Marly-Gomont ?

C’est vrai que j’ai vécu pleinement la difficulté de vivre dans un désert en zone rurale. Effectivement, il n’y avait rien, aucune infrastructure. Je m’amuse souvent de voir que les recruteurs dans le football, vont chercher des joueurs en Afrique, mais ils ne viennent même pas recruter dans les campagnes ! Les boîtes de nuit les plus proches sont à 60km.

Je peux comprendre que les jeunes médecins n’aient pas envie de venir s’installer à la campagne loin de tout. Mais ils ne se rendent peut être pas compte que financièrement parlant, c’est très intéressant. Les médecins de campagne gagnent très bien leur vie.

Votre père a vécu la méfiance envers les médecins étrangers. Les choses n’ont finalement pas beaucoup changé. Aujourd’hui ce sont les médecins roumains qui vivent ce genre de situation…

C’est du racisme ordinaire, du racisme primaire. Ce ne sont pas des gens qui vont les poursuivre avec une cagoule blanche comme au Texas. Aujourd’hui les gens ont peur de mal être soignés. Ils ont conscience qu’il ne s’agit pas des mêmes diplômes. Ça n’était pas le cas de mon père qui était diplômé de la faculté de Lille.

Comment votre père luttait contre ce racisme primaire ?

Par la patience, le dialogue et la pédagogie.

Ça devait être dur à vivre…

Mon père était orphelin. Il avait vécu au Congo. Il n’avait rien à manger. Il faisait 10 kilomètres à pieds pour aller à l’école, pieds nus. Parfois il saignait des pieds en arrivant. Il a fait partie d’une génération d’Africains qui sont passés par des souffrances terribles dans leur enfance. Franchir les étapes, avoir son bac, avoir une bourse… Il est passé par tellement de combats que le racisme primaire, ça n’était rien pour lui !

Vous aussi avez voulu devenir soignant…

Oui j’ai eu mon bac scientifique et je suis allé à Lille pour faire mes études. Arrivé à Lille, j’ai découvert la ville. J’avais vécu à la campagne toute ma vie alors quand je suis arrivé à Lille j’avais l’impression d’être à New-York ! En plus mon père n’était plus là pour me surveiller. J’ai perdu mes repères scolaires. Je n’allais pas à la fac. Mon père me donnait des sous pour prendre des cours de biologie cellulaire, de biochimie… Moi je gardais l’argent pour m’acheter des synthétiseurs ! Ça a duré deux ans. Quand mon père a compris que je faisais n’importe quoi, on s’est fâché. Du coup j’ai dû payer ma première année d’école d’infirmier tout seul.

Puis avec mon père on a conclu un deal. Je devais finir l’école d’infirmier, travailler deux ans en tant qu’infirmier et faire de la musique à côté. Si au bout de deux ans, je ne perçais pas, je reprenais la fac de médecine pour prendre sa suite au cabinet.

Au bout d’un an et demi en tant qu’infirmier, il y a eu le buzz de ma chanson Marly-Gomont. Là lui-même était très content, il m’a soutenu. Il était rassuré parce qu’il savait qu’en cas de coup dur, j’avais mon diplôme d’infirmier.

 

Bienvenue à Marly-Gomont

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin