A l’origine d’une campagne publicitaire choc, refusée par certains annonceurs, sur le prix des nouveaux médicaments, Médecins du monde persiste et signe. Le Dr Jean-François Corty, le directeur des opérations internationales, demande la tenue d’un débat transparent sur la fixation des prix du médicament car notre système de santé ne pourra pas assumer le coût des nouvelles molécules entrant sur le marché, sans recourir au “rationnement des soins”.
 

 

Egora : Médecins du Monde vient de lancer une campagne pour faire baisser les prix des nouveaux médicaments, dont le ton “outrancier et caricatural”, selon le Leem (Les entreprises du médicament), a conduit plusieurs annonceurs urbains à refuser de la programmer. N’avez-vous pas pris le risque de frapper trop fort et de rater votre cible ?

Dr Jean-François Corty : Nous avons voulu faire une campagne incisive car de notre point de vue, ce qui relève du scandale, c’est demander aux citoyens des prix démentiels pour certains médicaments, alors qu’on sait que leurs coûts de production sont bien moindre. En même temps, nous signifions notre mécontentement concernant les insuffisances des autorités à défendre les intérêts des citoyens et l’accès à la santé. Notre campagne s’appuie sur une sémantique qui rappelle que la santé est plus assimilée à un marché qu’à un enjeu de santé publique. Mais il est vrai que nous ne nous attendions pas à ce qu’il y ait cette forme de censure des annonceurs et diffuseurs au niveau de l’affichage urbain. On nous a expliqué que cette campagne pouvait nuire à l’image de certains laboratoires, que les chiffres avancés nécessitaient plus d’explication. L’instance qui valide les affiches a émis des réserves et les réseaux d’affichage se sont appuyés sur ces réserves pour les refuser.

L’Autorité de régulation de la publicité (ARPP) vous a notamment demandé de citer vos sources.

Nos sources sont explicites. Sur notre site, http://www.medecinsdumonde.org/ on trouve les chiffres et les explications au chapitre “le prix de la vie”’. Ce qui est difficile de porter aujourd’hui dans le discours public, c’est la nécessité d’un discours transparent sur le mécanisme de fixation des prix. On peut tenir des débats sur la formation des médecins, ou sur les abus des malades, leur comportement vis-à-vis des médecins, les coûts et l’organisation de l’hôpital, mais il est quasiment impossible d’avoir un débat sur le prix des médicaments.

Le Leem dit que notre campagne est caricaturale, mais c’est la réalité qui est caricaturale et notre campagne ne peut que l’être lorsque le Sofosbuvir, le traitement de l’hépatite C, coûte 41 000 euros pour un traitement de 12 semaines, alors que son coût de production, selon des chercheurs, est d’environ une centaine d’euros. En matière de traitement contre le cancer, on se situe sur des traitements qui valent 200 fois leur coût de production. Nous sommes en droit de demander des justifications. Or, nous sommes dans un contexte de système de santé solidaire qui l’est de moins en moins du fait du déficit de la Sécurité sociale et il y a 30 % de Français qui retardent leurs soins ou ne se soignent pas pour des raisons financières. S’agissant du Sofosbuvir, les autorités ont induit une mécanique de rationnement au traitement, parce qu’elles ne peuvent pas assumer ce genre de prix, ce qui est pour nous inacceptable. Cela renvoie l’image d’un gouvernement faible, qui n’assure pas la protection des citoyens contre la loi du marché et l’intérêt de certains laboratoires pharmaceutiques.

La ministre de la Santé a néanmoins mis en place des mécanismes de régulation économique touchant ces médicaments particulièrement couteux, le président de la République a porté le dossier du prix des médicaments devant les plus hautes instances internationales, au G7, on ne peut pas dire que les autorités sont inertes. Et sur un plan associatif, la Ligne contre le cancer et 110 cancérologues se sont élevés contre le prix des nouveaux médicaments innovants… Vous n’êtes pas seuls…

Oui, La Ligue contre le cancer a lancé une pétition sur la rhétorique que nous portons. Au travers du révélateur qui est le traitement contre l’hépatite C, on se rend compte que notre système n’est pas prêt supporter le coût de l’arrivée sur le marché de molécules qui coûtent extrêmement cher – je pense à l’immunothérapie – pour des cohortes de patients extrêmement importantes. Les cancérologues sont très mobilisés sur la déstabilisation de notre système de santé qui induira un rationnement des soins. Nous voulons signifier à l’opinion publique qu’il faut accélérer et, certes, François Hollande, au G 7 a porté la nécessité de revoir la question du monopole des brevets sur certaines molécules. On attend de voir, on n’en est pas encore là.

Les autorités françaises auraient pu créer l’entrée des génériques en activant une licence d’office pour casser le monopole de Gilead sur le Sofosbuvir. Ils n’ont pas voulu en arriver-là, ils ont préféré mettre en place un mode de régulation qui s’oriente vers le rationnement des patients. Nous le contestons et nous voulons plus de transparence sur ce qui se passe au comité économique des produits de santé. En fait, nous vivons en France ce qu’ont vécu les pays émergeants comme le Brésil ou l’Inde au moment de l’arrivée du Sida. Ils n’ont pas lésiné, ils ont cassé le monopole et ils ont permis à des génériqueurs de contribuer à soigner les patients.

Avec la campagne publicitaire, vous avez lancé une pétition. Que donne-t-elle ?

Nous avons déjà 40 000 signatures au bout de deux jours seulement. L’écho est très fort dans la société civile. Le médicament représente 27 milliards d’euros sur un budget total de 330 milliards d’assurance maladie. On doit pouvoir avoir un débat transparent sur l’utilisation de ces fonds, qui proviennent des cotisations des Français.

Vous demandez que des représentants de la société civile siègent au CEPS notamment ?

Oui, cela a été défendu par plusieurs organisations, il faut qu’au sein de cette instance, il y ait des représentants de la société civile, des associations de malades. Aujourd’hui, nous n’avons aucun indicateur, aucune visibilité, c’est une situation caricaturale. Nous enverrons notre pétition à Marisol Touraine, pour lui montrer combien les Français sont sensibles à cette question, qui relève de la démocratie sanitaire.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne