Alors qu’une officine ferme tous les deux jours selon les derniers chiffres de l’Ordre, la situation économique des pharmaciens devient de plus en plus compliquée à gérer. Une vague de suicide vient de toucher la profession. Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats des pharmaciens d’officine alerte sur une situation qui ne semble pas inquiéter les pouvoirs publics.

 

Egora : En l’espace d’un mois, trois pharmaciens se sont donné la mort, en savez-vous plus sur les circonstances de ces drames ?

Gilles Bonnefond : Il y a eu un suicide en région parisienne, voire deux puisqu’il y en a un autre dont on n’est pas certain. Deux autres pharmaciens se sont donné la mort, l’un en Rhône-Alpes et l’autre en Poitou-Charentes. On ne sait pas encore tout sur ces drames. La pression économique exercée par les pouvoirs publics est infernale. Ils sont en train de casser le réseau pharmaceutique par des mesures économiques aveugles qui tapent sur l’ensemble des pharmaciens. On n’est plus sur une régulation organisée du réseau, on est sur la bonne vieille méthode qui consiste à mettre sous pression les pharmaciens, et tant pis pour ceux qui tombent. Cela aboutit parfois à des fermetures. Certains arrivent à retrouver un acquéreur, mais pour d’autres ce sont des fermetures brutales. Les rideaux se ferment au grand étonnement des élus. Il y a parfois des mouvements de restructuration avec des regroupements, mais c’est encore difficile. D’ailleurs c’est pour cela que nous attendons le compte-rendu de l’enquête IGAS-IGF, qui doit voir comment optimiser ces restructurations choisies.

Il y a aussi des hommes qui ne s’en sortent pas. Qui n’y arrivent plus. Ils choisissent la solution du suicide, abandonnant famille et enfants. Le dernier laisse derrière lui deux enfants de 4 et 12 ans. Il était planté, ne savait pas comment faire pour s’en sortir et il s’est donné la mort dans son entreprise.

J’en ai marre de constater que pour la ministre, en ce qui concerne la pharmacie, tout va bien. Elle s’intéresse à toutes les professions, à l’hôpital, aux médecins, aux infirmiers et elle considère qu’il n’y a rien à faire pour la pharmacie. Elle estime qu’il n’y a pas de problème, que les officines peuvent s’en sortir et qu’elle n’a pas à les plaindre. Je tiens à lui rappeler que nous avons subi une baisse de rémunération de -2,5 % l’an dernier. Sur les quatre premiers mois de cette année, nous sommes à -2%. Et on nous annonce encore des baisses de prix, des efforts supplémentaires sur le poste médicament. L’industrie s’en sort avec les médicaments hospitaliers et les restructurations. Nous, les médicaments issus de la recherche, on ne les voit pas, ils sont distribués uniquement par l’hôpital. Et on n’arrête pas de diminuer les prix des médicaments distribués en ville, avec des baisses de marges importantes.

Nous sommes dans une situation de crise sans précédent. Je n’avais jamais connu ça. Cette situation a des conséquences dramatiques, avec des fermetures d’officines et des drames personnels.

Comment redresser la situation ?

Il faut que la ministre admette que les pharmaciens vont mal. Nous avons une profession qui veut se réformer. Nous avons compris que le système de santé devait se réorganiser. Nous avons quatre défis à relever. Le premier c’est le vieillissement de la population. Le deuxième, c’est le développement des pathologies chroniques. Le troisième c’est de le développement de l’ambulatoire avec un raccourcissement du séjour hospitalier et un transfert d’activité vers la ville avec des soins post-opératoire qui doivent s’organiser en ville autour d’une équipe de soins de proximité et enfin le quatrième défi est la prévention. Nous, les pharmaciens, sommes formés pour relever ces challenges. On est présents sur les territoires. On embauche en moyenne 4 à 5 personnes dans chaque officine. Chaque fois qu’on a eu des défis à relever, on l’a fait, que ce soit le sida, le sevrage tabagique, la lutte contre l’hépatite C ou encore, la sortie d’une partie des médicaments de la réserve hospitalière… A chaque fois on a été présents. Ça s’est toujours bien passé.

On est prêts à modifier notre rémunération. On est prêts à plein de choses, mais on a une ministre qui oublie complétement la pharmacie. Le dernier exemple concerne le cahier des charges sur les objets connectés pour le suivi des diabétiques : le mot pharmacien a disparu. C’est quand même curieux alors que c’est nous qui voyons le plus souvent les diabétiques. C’est insupportable. C’est de l’humiliation permanente. On ne s’intéresse qu’aux pharmaciens pour voir s’ils peuvent déconditionner des boîtes d’antibiotiques. On se moque de nous. On est en train de crever alors qu’on fait face à des déserts médicaux qui ne sont pas anodins et qui s’accélèrent.

Comment gérez-vous justement la pénurie de médecins ?

On bricole. Dans la semaine qui suit le départ d’un médecin, c’est 25% d’activité en moins pour l’officine. Il faut s’organiser en fonction du territoire, de l’offre de soins en incluant le pharmacien, l’infirmière et les médecins même s’ils sont un peu plus loin. Les patients ne se rendent pas compte que l’on n’arrête pas de les dépanner. On passe notre temps au téléphone pour avoir des renouvellements d’ordonnance, ça prend un temps fou. Il faut une meilleure organisation. On doit partager les données de santé en équipe de soins primaires entre le médecin, le pharmacien et l’infirmière pour pouvoir travailler ensemble et relever les défis du vieillissement de la population et de l’ambulatoire.

Une officine ferme tous les deux jours. Au moins trois pharmaciens se suicident en un mois. Que répondent les pouvoirs publics quand vous les alertez sur la situation ?

Il y a zéro retour. Personne, au niveau du ministère, n’a pris conscience des dégâts qui touchent la pharmacie. Ils pensent qu’en ayant signé avec un syndicat (Fspf. Ndlr) un accord qui n’est pas bon, alors le travail est fait pour ce gouvernement. La situation va devenir irréversible.

Quelle est la mesure la prioritaire à mettre en œuvre ?

Il faut un contrat avec l’Etat sur trois ans pour une réforme du mode de rémunération qui soit adaptée aux besoins des patients. Il faut aussi réformer les missions du pharmacien pour qu’elles soient adaptées aux défis de l’organisation des soins, en collaboration avec médecins, infirmières et hôpital. Il faut que nous partagions les données de santé et que nous soyons réellement reconnus comme des professionnels de santé. Aujourd’hui, un patient greffé du foie qui vient à l’officine prendre des médicaments, je n’ai pas accès à cette information qui est pourtant très importante. Il y a un manque de courage sur le partage des informations qui fait que le système reste complétement désorganisé.

Ce contrat doit permettre de réorganiser la profession, la rendre plus disponible pour réaliser les défis. Nous attendons un engagement politique de l’Etat.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin