“Ah, docteur, j’ai oublié, il me faut un certificat”. Que ce soit pour la pratique de la trottinette, du bridge ou de la danse bretonne, les demandes de certificats médicaux se multiplient. Souvent, elles se font en toute fin de consultation et les documents sont rédigés à la hâte. “Erreur !”, prévient le Dr Ariel Toledano, membre de la Chambre disciplinaire de l’Ordre d’Ile-de-France. Faire un certificat n’est pas un acte anodin et prendre le temps peut éviter bien des ennuis disciplinaires.

Les Drs Ariel Toledano et Philippe Garat sont les auteurs du Guide des certificats et autres écrits médicaux, paru aux éditions Med-Line.

 

Egora : Pourquoi avez-vous eu besoin de faire ce livre ? Les lacunes des médecins en matière de certificats médicaux sont-elles si grandes ?

Dr Ariel Toledano : J’ai 47 ans. Je suis rentré en 2001 au Conseil de l’Ordre des médecins, à la Chambre disciplinaire. Ca fait presque 15 ans. J’avais une trentaine d’années et je ne me rendais pas compte, en tant que jeune médecin, de l’importance des certificats et des conséquences que cela pouvait engendrer. Je me suis aperçu très rapidement que 25% des affaires sur le plan disciplinaire étaient consacrées à des certificats faits de manière trop peu réfléchie. Dans le cadre d’une procédure de divorce, d’un problème avec un employeur, le médecin veut rendre service à son patient et écrit un certificat dans la hâte, en fin de consultation et ne se rend pas compte que ça va avoir des implications terribles pour lui. Il va se retrouver dans une procédure disciplinaire, parfois une procédure civile… On a donc senti qu’il était important de clarifier les choses, vu le nombre d’affaires que l’on avait, liées à des certificats dans le cadre des audiences de la Chambre disciplinaire d’Ile-de-France.

Comment expliquer qu’autant de procédures soient liées à la rédaction de certificats ?

C’est très simple. Dans un cursus classique de médecine, il y a très peu de temps consacré à la rédaction d’un certificat. C’est une carence. On forme des médecins, on leur apprend à parfaitement soigner, on leur apprend à gérer des situations d’urgence, mais on ne leur apprend pas à rédiger un certificat. Je crois aussi que ce problème s’est accentué ces dernières années du fait des réseaux sociaux, qui font que l’écrit à moins d’importance. On écrit de manière plus spontanée, sans réfléchir aux conséquences. Je crois que c’est dangereux, un médecin doit prendre le temps de réfléchir. Dans le guide, nous expliquons qu’à part les certificats urgents, qui sont obligatoires, tous les autres n’ont pas de caractère d’urgence. Il faut prendre le temps de réfléchir. Les gens vous demandent, vous pressent, pour obtenir un certificat. Il n’y aucune autre profession où on réclame un certificat sur le champ. Quand on m’en demande un, je réponds que je vais réfléchir, que je vais prendre le temps de l’écrire, et je l’enverrai. Il est fondamental de savoir refuser, de prendre le temps de la réflexion pour les médecins.

Ce qu’on a voulu faire, c’est un guide précis et synthétique, pour expliquer ce qu’il faut faire. Et aussi ce qu’il ne faut pas faire, en donnant des exemples de certificats qu’on a trouvé dans le cadre de nos audiences, que l’on a anonymisés, qui ont donné lieu à une décision allant de l’avertissement à quelques mois de suspension.

Cette recrudescence n’est-elle pas due aussi à une demande croissante de certificats, pour des raisons parfois discutables ?

Tout à fait. On est dans une société où chacun essaie de se couvrir. Et chacun veut faire porter la responsabilité à quelqu’un d’autre. Pour n’importe quelle compétition, maintenant, on demande un certificat. Vous vous inscrivez à une salle de sport, on demande un certificat. C’est vrai qu’il y a une multiplicité du nombre de demandes de certificats. Heureusement, les certificats pour absence scolaire ont été supprimés, il y a une directive de l’Ordre des médecins à ce sujet, mais il y a encore des demandes dans ce domaine. C’est l’évolution de notre société. Mais il faut que les médecins se couvrent aussi. Notre rôle en tant que conseillers ordinaux, c’est de protéger les médecins. Et c’est dans ce but que nous avons fait ce guide, pour dire attention. Il est surtout destiné aux jeunes médecins, qui sortent de la faculté de médecine et vont se retrouver confrontés à l’exercice quotidien. Je suis sûr que si on demande à un étudiant en médecine ou à un médecin qui sort de la faculté, la différence qu’il y a entre un certificat et une attestation, il ne saura pas répondre.

Et quelle est la différence ?

Un certificat mentionne des informations médicales, alors qu’une attestation ne doit comporter aucune information médicale. Quand un médecin dit “je certifie”, son rôle est de dire ce qu’il a constaté en tant que médecin, dans le cadre de l’examen clinique qu’il a réalisé. Ce que lui raconte le patient, il ne l’a pas constaté de lui-même. S’il considère qu’il faut le mettre, il faut qu’il emprunte le conditionnel. Quand vous faites des certificats de coups et blessures, ou par rapport à un état clinique dans un contexte de surmenage au travail, il ne faut surtout pas faire un lien entre un état clinique et un problème professionnel ou familial. Et ça, ça arrive souvent.

Jusqu’où peut aller une sanction disciplinaire pour un problème de certificat ?

On a des blâmes, des avertissements, des suspensions, parfois avec sursis ou quelques jours ferme… Ça ne va pas très loin. Mais ce n’est pas très agréable. Quand vous avez une procédure disciplinaire en cours, c’est du temps et des soucis en plus. Ça vous fait perdre du temps de venir, de rédiger votre défense… Et l’anxiété que ça engendre. Ce qu’on veut en tant que médecin, c’est soigner dans la sérénité. C’est fondamental.

Vous écrivez “Le meilleur certificat, c’est celui que vous ne rédigez pas”. Qu’est-ce-que cela veut dire ?

Ça veut dire que, sur des certificats qui ne sont pas obligatoires, il vaut mieux ne rien rédiger. Comme ça vous évitez d’être confronté à des problèmes particuliers. Quand on vous demande d’écrire un certificat dans le cadre d’une procédure de divorce, vous n’avez aucune obligation de le faire. Vous voulez rendre service à votre patient, parce que sous la pression de son avocat, on lui demande qu’il ait un certificat de son médecin expliquant qu’il a des problèmes de santé et essayer de trouver un lien entre ces problèmes et sa procédure de divorce. Mais ce n’est pas notre rôle. On peut juste essayer de constater l’état du patient, de le soigner. Et ça s’arrête là. Il faut parfois savoir refuser. Si vous ne le sentez pas, il ne faut pas le faire. Notre souhait c’est vraiment d’aider les médecins dans leur exercice pour que ça ne se retourne pas contre eux. La condition et l’exercice des médecins sont suffisamment difficiles comme ça au quotidien, il faut éviter que la rédaction d’un certificat ait des conséquences. Dans une procédure de divorce, vous pouvez rédiger un certificat parce qu’on vous l’a demandé, et subir ensuite la plainte du conjoint qui estime que votre certificat porte atteinte à sa personne… Il vaut mieux gérer les choses en amont, prendre les précautions nécessaires et rédiger les choses avec l’attention qui s’impose.

Quel est le meilleur conseil à donner à un médecin à ce sujet ?

Prendre le temps avant de rédiger. Ne jamais se hâter. Quand on vous demande un certificat en dehors du cadre d’urgence, il faut prendre le temps de la réflexion et ne jamais remettre le certificat dans l’urgence. Après, il ne faut pas hésiter à demander l’avis et les conseils de l’Ordre. L’Ordre des médecins est aussi là pour conseiller, il y a des permanences dans les différents conseils de l’Ordre départementaux ou des juristes ou des médecins peuvent vous conseiller. C’est vrai qu’il existe des aides à la rédaction de certificats, pour des certificats classiques. Mais souvent, les certificats s’adaptent à des situations particulières, il n’y a pas de modèle type. Quand on se retrouve avec des situations délicates, il faut prendre le temps d’appeler son Conseil départemental.

Le fait que les patients, et certains médecins, prennent les certificats à la légère ne vient-il pas du fait qu’il s’agit d’un acte gratuit, non rémunéré en tant que tel ?

Il faudrait poser la question à la Sécurité sociale ! Si un patient vient pour qu’on lui fasse un certificat pour le sport, il va payer le certificat avec la consultation. Vous ne pouvez pas rédiger un certificat sans avoir examiné le patient, pris le temps de voir s’il n’y a pas des antécédents… Le certificat doit être fait à la fin d’un examen clinique et d’un interrogatoire poussé, donc d’une consultation. Mais c’est vrai qu’il n’est pas coté au titre même d’un certificat, parce que les gens le demandent souvent en plus. Ils viennent pour un problème X et à la fin, vous disent, quand tout est fini et réglé, “Ah, Dr, j’ai oublié, j’ai besoin d’un certificat”. C’est le syndrome de la poignée de porte. Là, le médecin se rassoit et le fait dans la hâte. Ce qu’il ne faut surtout pas faire. Il faut dire “Très, bien. Je le note. Je vais réfléchir et je vous l’enverrai.” Rédiger un certificat n’est pas quelque chose de banal. Cela nécessite de la réflexion, l’examen du patient et du temps. Comme la pratique de la médecine en général.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier