QUEL AVENIR POUR LES MEDECINS ? (2/2) – Egora a demandé à deux observateurs du système de santé de se projeter dans le futur et d’imaginer comment vous exercerez demain. Transhumanisme, posthumanisme, éthique médicale : Jean-François Mattei, généticien, ancien ministre de la Santé, membre de l’Académie nationale de médecine, livre son regard sur les avancées technologiques et leurs implications pour la médecine et l’homme.
 

 

Egora : Doit-on craindre que la révolution technologique en cours – avènement des “big data”, convergence des NBIC (Nanotechnologies, biotechnologies, Intelligence artificielle et sciences cognitives) – ne conduise la médecine au transhumanisme, à “l’homme augmenté” ?

Jean-François Mattéi : Il faut revenir à la philosophie de la médecine. La mission de la médecine a toujours été à la fois de guérir et d’améliorer les conditions de vie de l’homme. La première optique de la médecine est l’homme réparé. Mais, de plus en plus, depuis la définition de la santé énoncée par l’OMS en 1946, la médecine s’est occupée du mieux être et du bien être des individus, non seulement physique mais aussi mental et social. Dès 1946, on ouvre donc à la médecine tous les champs du possible : la prévention, les soins, mais, mieux que ça, quasiment le bonheur. Il n’est donc pas étonnant que la médecine s’aventure, chaque fois qu’elle le peut, en utilisant les techniques à sa portée, à améliorer les conditions de vie de l’homme : améliorer son sommeil, sa sexualité, sa résistance aux maladies, sa longévité…

La médecine relève donc déjà du transhumanisme ?

Oui, l’homme transformé a toujours été le second objectif de la médecine. C’est le cas de la médecine de plongée ou de la médecine aérospatiale. Elle l’a d’ailleurs montré dans des circonstances dramatiques en ayant recours à l’eugénisme pour, prétendument, améliorer l’espèce humaine. Il n’y a donc pas de rupture entre la médecine telle qu’on la conçoit et la pratique et le transhumanisme à proprement parler. Y compris quand cette médecine nouvelle peut faire appel à de nouvelles technologies dites convergentes. Nous sommes aujourd’hui capables de faire des diagnostiques génétiques grâce aux biotechnologies. C’est grâce à l’informatique que l’on arrive à séquencer le génome. Ce sont les sciences cognitives qui nous permettent de traiter les TOC ou la maladie de Parkinson. Nous sommes là dans une bonne utilisation des technologies. Mais la médecine est aussi tentée de retrouver une nouvelle forme d’eugénisme en sélectionnant de plus en plus précisément la qualité des enfants à naître, par les diagnostiques génétiques précoces pendant la grossesse. Les NBIC sont donc venus accroître, démultiplier les capacités de la médecine mais dans la continuité de sa philosophie. Il faut raison garder : tant que l’on est en lien avec l’humanité de l’homme et sa dignité, que l’on respecte le projet humain, il n’y a pas de rupture.

A quel moment interviendrait alors une rupture ?

Le moment où l’on pourrait quitter le projet humain – mais je n’y crois pas – est le passage au posthumanisme. Car le posthumanisme considère que la mort doit être supprimée et vaincue et qu’il faut atteindre l’immortalité. Or, l’homme est caractérisé par sa finitude. Le posthumanisme souhaite remplacer toujours plus de parties humaines par des mécanismes électroniques et robotiques obéissant à une autre logique que la conscience humaine et aboutissant, in fine, à transférer le contenu du cerveau humain sur un logiciel. A partir de ce moment, la pensée serait sauvegardée sur logiciel et nous n’aurions plus besoin de l’enveloppe corporelle qui n’est source que d’ennuis. Là, nous quitterions l’humanité pour entrer dans la post-humanité. Mais on peut se lancer dans tous les débats d’anticipation que l’on veut, cela fait de belles fictions, mais aujourd’hui, demain et après demain, cela n’a pas de sens.

Comment ne pas perdre le projet humain de vue et utiliser à bon escient les nouvelles technologies à notre disposition ?

La question de l’usage est en effet décisive. La science ne finira jamais de progresser et il est impensable de vouloir l’arrêter. Prenez le nucléaire : personne ne veut d’un accident comme Fukushima, mais tout le monde souhaite la radiothérapie pour soigner les cancers. En revanche, là où le bât blesse, c’est que les consciences n’ont pas suivi. Or, seules les consciences sont capables de dire, devant une nouvelle technique, si son usage est compatible avec la dignité de l’homme. La science est neutre mais l’usage qu’on en fait relève de choix politiques. Ceux-ci doivent être guidés par des mouvements philosophiques, des croyances, des réflexions éthiques pour que l’homme soit impliqué dans la préservation de son humanité. A commencer par les programmes de médecine qui devraient comporter une introduction aux notions de transhumanisme et posthumanisme, pour démystifier ce que de pseudos scientifiques répandent comme des vérités pour demain. Je suis favorable au progrès scientifique, mais il faut être prudent car il ouvre toujours la voie à des idéologies clandestines.

Les médecins ne sont donc pas menacés de disparition par les robots et l’intelligence articielle ?

Non, mais leurs modalités d’intervention vont évoluer. C’est d’ailleurs déjà le cas. Le patient n’est plus passif, mais doit être informé et éclairé pour donner son consentement, adhérer et participer au combat contre sa maladie. Avec l’arrivée des big data, un généticien, qui a la possibilité d’avoir le génome complet d’un patient et de sa famille, ne peut plus interpréter lui-même ces données et doit recourir aux machines. Mais le rôle du médecin va demeurer : il faudra expliquer, suivre les patients, répondre à leurs angoisses. L’homme n’a jamais pu se passer de médiateur. Entre lui et ce qui le dépasse ; entre lui et sa souffrance, sa maladie. Quelle que soit l’intervention des machines, les médecins auront un rôle capital.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Clarisse Briot

 

Lire l’interview de Guy Vallancien “Les médecins risquent de devenir de simples ouvriers spécialisés” (QUEL AVENIR POUR LES MEDECINS ? – 1/2).

Jean-François Mattei et Israël Nisand : Où va l’humanité, paru en octobre 2013 aux éditions Les liens qui libèrent.