Officiellement mise en place en 2002, la démocratie sanitaire accorde un rôle à l’ensemble des acteurs du système de santé dans la réflexion sur les politiques de santé dans notre pays. Mais la théorie fait-elle réellement place à la pratique ?

 

Née du fruit de plusieurs décennies d’actions associatives, la mise en oeuvre de la démocratie sanitaire été formalisée le 4 mars 2002 par la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Elle correspond “à une organisation de la société reconnaissant la capacité de chacun à connaître, décider et agir pour sa santé et la protection de la santé publique”, explique Didier Tabuteau, responsable de la chaire santé de Sciences Po. “La loi de 2002 est, d’après moi, la première étape importante d’un point de vue du droit individuel et du droit collectif”, souligne Claire Compagnon, auteure du rapport “Pour l’An II de la démocratie sanitaire”, remis à la ministre de la Santé en février 2014. Elle est la reconnaissance des droits des personnes. Outre l’ordonnance Juppé en 1996, la loi relative à la politique de santé publique de 2004, la loi Hôpital, patients, santé, territoires de 2009 et la récente loi de santé de Marisol Touraine consacrent également la mise en oeuvre de la démocratie sanitaire. Mais en pratique ?

 

Des efforts réalisés

“Dans le domaine de la représentation des usagers dans les instances, de leur participation à des débats publics et à la définition de politiques publiques, d’importantes évolutions ont eu lieu ces dernières années”, rapporte Christian Saout, ancien président du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss). Cette présence, “c’est le B.A. BA de la démocratie sanitaire dont le but est de renforcer le principe d’expression et de contradiction des points de vue et des expertises”, considère Didier Tabuteau. Néanmoins, “il y a un certain nombre d’instances et d’agences dans lesquelles les usagers devraient être membres de plein droit, avec une voix délibérative et non seulement consultative”, estime Claire Compagnon. “Il y a une absence d’usagers à des endroits que l’on n’explique pas”, ajoute Mathieu Lescot, responsable des études à l’UFCQue Choisir. Et de prendre l’exemple de l’actuelle négociation conventionnelle entre les médecins libéraux et l’assurance maladie. “Vont se discuter des mesures sur les dépassements d’honoraires, les déserts médicaux, qui concernent les usagers, mais aucun d’entre eux n’est autour de la table. Il ne s’agit pas de dire qu’ils doivent décider de tout, mais quand même…” Si des progrès ont été constatés dans la démocratie sanitaire individuelle, c’est-à-dire dans les rapports entre les médecins et les patients, pour beaucoup de professionnels encore “nous sommes des enquiquineurs, dénonce Jacques Bernard, cofondateur de l’Alliance maladies rares et président de Maladies rares Info Services. Il y a du travail à faire auprès des futurs médecins en termes d’éducation et de sensibilisation car les patients ne sont pas mieux ou moins bien mais indispensables aux progrès du monde de la santé, ils ont l’expérience de leur maladie.”

Dans les territoires, l’expression de la démocratie sanitaire est très personne-dépendante. Elle existe officiellement au sein de l’agence régionale de santé (ARS) avec les conférences régionales de santé et de l’autonomie (Crsa), créées par la loi Hpst. Mais “cette conviction de l’intérêt de travailler avec les usagers n’est pas totalement partagée par les décideurs en santé”, regrette Claire Compagnon. Après leur mise en place, “il y a eu une première phase où les Crsa ont bien fonctionné puisqu’elles devaient donner leur avis sur les schémas régionaux d’organisation des soins [Sros]. Dans certaines régions, elles ont été consultées en amont de la réalisation des Sros, mais dans d’autres, elles n’ont été sollicitées qu’une fois le travail élaboré, regrette Pierre-Marie Lebrun, président du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss) Nord Pas-de-Calais, et membre de la CNS en tant que représentant du mouvement familial. Depuis, la démocratie sanitaire est purement formelle. Le choix d’une vraie concertation dépend uniquement du directeur de l’ARS”.

 

Pourquoi cette lenteur ?

“Le débat est censé exister au niveau national et au niveau régional, soutient Bernard Accoyer, médecin, député LR et ancien président de l’Assemblée nationale. Or, toutes ces structures sont sous la tutelle du ministère de la Santé, donc contrôlées par ce dernier. C’est une pseudo-démocratie sanitaire descendante. Les réflexions doivent être plus ascendantes, portées d’abord par les conseils locaux.” La démocratie sanitaire ne réside donc pas simplement dans les structures, mais doit être un mode d’action plus participatif. “De même que les nominations à des postes clés tels que les directions d’ARS doivent être établies sur la base de critères définis au préalable pour répondre à une plus grande transparence et lutter contre les conflits d’intérêts, notamment politiques.”

Pour Alain-Michel Ceretti, fondateur et président d’honneur du Lien, association de défense des patients et des usagers de la santé, il est nécessaire de faire un effort au niveau des financements, en particulier des Crsa, “car on ne peut avoir un financement qui lie à ce point l’instance publique et les instances de démocratie sanitaire dont la liberté s’arrête là où commence leur dépendance financière”. “La démocratie sanitaire bouge des habitudes, c’est un partage de pouvoir, et personne n’a envie de le partager, souligne Mathieu Escot. Les mentalités sont difficiles à changer.” En cause ? La formation, puisque la démocratie sanitaire n’est abordée ni dans celle des professionnels de santé, ni dans celle des hauts fonctionnaires. “Il y a encore des décennies de travail, soutient Didier Tabuteau. Il s’agit d’une notion relativement récente, il est donc normal qu’elle soit lacunaire et inégale d’un territoire à l’autre. Mais je pense qu’on progresse.” Conséquence : “On ne peut pas dire que la représentation des usagers soit une information comprise et entendue par les concitoyens, estime Alain-Michel Ceretti. La visibilité pour le grand public n’est pas loin de zéro. Il va falloir une génération pour que cela se mette en place.”

 

Le fantasme de l’indépendance

La récente démission du secrétaire général de la Conférence nationale de santé, Thomas Dietrich, qui a dénoncé la mise sous tutelle de la démocratie sanitaire par le ministère de la Santé, a jeté l’opprobre sur un concept qui peine à émerger.

Il y a quelques semaines, la démission de Thomas Dietrich, haut fonctionnaire de 25 ans, secrétaire général de la Conférence nationale de santé (CNS), faisait grand bruit. Parti en claquant la porte, il laisse derrière lui un opus d’une trentaine de pages dans lesquelles il dénonce la main-mise du ministère de la Santé sur le travail de la conférence.

En 2012, c’était Thierry Daël qui démissionnait de la présidence de la commission spécialisée des droits des usagers de la CNS. “Ces deux démissions sont globalement fondées sur le même motif, le manque d’écoute du ministère de la Santé”, souligne Bernard Accoyer, député Les Républicains de Haute-Savoie, membre de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale. Il est évident pour le député que “ceux qui émettent des avis contradictoires à ceux du ministère n’ont pas leur place dans cette pseudo-démocratie sociale”.

L’un des points faibles de la CNS réside dans son financement qui met à mal son indépendance. D’ailleurs, sa mise à l’écart sur certaines réflexions majeures, à fortes portées médiatiques, peut s’expliquer en partie, d’après le député, “par la peur de la ministre de voir une structure ministérielle rendre un avis différent sur un texte établi sans consultation préalable”. Mais peu de chance que la CNS soit dissoute, car elle reste “un moyen de donner l’illusion d’une concertation, d’une démocratie en santé faisant croire que les réformes viennent du terrain”, dénonce l’ancien président de l’Assemblée nationale.

Des allégations ?

Pour d’autres interlocuteurs, les nombreux reproches formulés par Thomas Dietrich tiendraient plus à sa forte personnalité qu’à de la réalité… Pierre-Marie Lebrun, président du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss) Nord Pas-de-Calais, et membre de la CNS en tant que représentant du mouvement familial, pense que certes “certaines des choses qui ont été dites par Thomas Dietrich sont vraies, mais à partir du moment où l’on construit un système dépendant du pouvoir, on sait qu’on se situe dans un fonctionnement organisé, souligne-til. Cela devient embêtant lorsqu’il y a une intervention des autorités publiques avant même que l’avis de la CNS ne soit donné. Néanmoins, je ne parviens pas à savoir si cela est vrai ou non.” Il s’étonne d’ailleurs que l’avis de Thomas Dietrich n’ait été partagé par personne d’autres. “Certes, il y a un problème d’indépendance de la CNS depuis toujours, ajoute-t-il. Mais il n’y a jamais eu autant d’avis donnés depuis trois mois, c’est donc bien que le gouvernement le demande. Je sens un décalage entre ce qu’il dénonce et ce que j’ai vécu.”

L’ancien président de la CNS et actuel secrétaire général délégué du Ciss, Christian Saout, abonde dans le même sens. “Les propos de Thomas Dietrich ne sont que des allégations, il n’apporte aucune preuve. Toute cette histoire dépasse mon entendement.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Laure Martin