Inquiets du manque de médecins généralistes sur leur commune, un couple de pharmaciens a décidé de réagir. Et pas à moitié. Ils ont emprunté 1 million d’euros, se sont endettés sur 20 ans, pour construire trois cabinets médicaux accolés à leur nouvelle officine. Disponibles depuis trois mois, les locaux restent désespérément vides.

 

“L’idée de construire des cabinets médicaux s’est imposée il y a un an, quand nous avons décidé d’investir pour mettre aux normes notre officine”, se souvient Bertrand Vanbremeersch, pharmacien à Barlin, une petite ville du Pas-de-Calais. En quelques années, la bourgade de 8 000 habitants située à 50 kilomètres de Lille, a perdu deux des six généralistes, et les pharmaciens s’inquiètent.

 

100 m² de locaux

L’année dernière, le couple prend alors la décision de construire une nouvelle officine, à côté de la première, respectant les nouvelles normes d’accessibilité, et d’y accoler trois cabinets médicaux. “L’espace pour les cabinets médicaux est d’environ 100m². Avec 20m² par cabinet, une grande salle d’attente, un coin kitchenette et de la place pour un éventuel secrétariat, détaille Bertrand Vanbremeersch. On dépasse le million d’euros d’investissement.” Une somme considérable, obtenue par le biais d’un emprunt sur 20 ans. Soit plus de 4 000 euros à rembourser tous les mois.

Sauf que ces nouveaux locaux, ouverts le 22 février dernier, restent désespérément vides. “Pour nous, la priorité, ce sont les médecins généralistes. Mais nous n’avons aucun contact, on ne trouve personne”, regrette le pharmacien. Le couple a bien tenté les petites annonces, les médias, les hôpitaux des alentours… rien. “On s’est fait aider par une société de communication, qui est allée distribuer des flyers dans les facs de la région, pour attirer les jeunes, sans plus de succès”. Coût de l’opération infructueuse : 20 000 euros, financés par la Mairie. C’est d’ailleurs l’un des rares coups de pouce financiers qu’ont reçu les pharmaciens. La Mairie ne peut pas intervenir dans un investissement privé, l’ARS n’a pas donné de subventions pour un projet qui n’est pas pluridisciplinaire… L’investissement initial est entièrement à la charge du couple.

“On est conscients que c’est lourd, mais il était indispensable de réagir. On ne pouvait pas rester sans rien faire”, glisse Bertrand Vanbremeersch. Il y a encore deux ans, la ville comptait trois pharmacies. La plus petite ne s’en sortait plus, elle a revendu sa licence aux deux restantes. “Les chiffres ne sont pas bons, et la politique du gouvernement en matière de médicaments n’aide pas. Ces deux dernières années, on a clairement subi une perte de clientèle et une baisse du chiffre d’affaire.”

 

“C’est un commerçant, il a fait un investissement et il veut le rentabiliser”

Pour le moment, rien qui ne mette en péril l’avenir de l’officine, mais les pharmaciens savent qu’un patient qui consulte dans une autre ville ne reviendra pas à Barlin chercher ses médicaments. “C’est ce qu’il faut éviter”, commente Bertrand Vanbremeersch. “On n’aura plus les médecins de nos parents. Les futurs médecins veulent des horaires de bureau. Nous, on leur offre un cabinet neuf, aux normes, avec trois cellules. Ils peuvent s’arranger pendant les congés, pendant la semaine… Le problème, et ce n’est pas que chez nous, c’est que les jeunes ne veulent plus s’installer.”

Voilà au moins un point sur lequel le Dr Patrick Komorowski, généraliste à Barlin, est d’accord avec le pharmacien. Pour le reste, il est plus sceptique. “Aujourd’hui, la situation à Barlin est correcte. On est quatre médecins. Je n’ai pas encore vu de patients qui vont chercher un médecin à 20 kilomètres. Ce n’est pas le désert de Gobi, il ne faut pas paniquer, fait remarquer le Dr Komorowski. Mais il est évident que le problème de faire venir les jeunes va se poser dans un avenir très proche.”

Pour autant, le médecin n’est pas convaincu que la solution du pharmacien soit la bonne. “C’est un commerçant, il a fait un investissement et il veut le rentabiliser. Ça me fait doucement rigoler”, glisse le médecin en ajoutant qu’après 41 ans de service, il ne se sent plus vraiment concerné. Même la question de sa succession ne le tracasse pas. “Un successeur ? Je n’en cherche même pas. Vu comment mes confrères se sont cassé les dents, ce n’est pas la peine. De toute façon, mon cabinet, c’est mon logement. Je n’ai pas de problème à ce niveau-là.”

 

“Sinon, on transformera les locaux, on fera autre chose”

De leur côté, les pharmaciens se donnent jusqu’à la sortie de la prochaine promotion de diplômés, en novembre. “On avait anticipé que ce serait dur au début, souligne Bertrand Vanbremeersch. Si vraiment on n’y arrive pas, on pourra toujours recevoir d’autres professionnels de santé. On a beaucoup de demandes d’infirmières, alors qu’elles sont déjà nombreuses sur la commune. Et sinon, on transformera les locaux, on fera autre chose. Mais on n’en est pas là. On va trouver des généralistes, on garde espoir !”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier