On se souvient de lui comme d’un personnage terrifiant et grotesque, chapeauté de noir et vêtu de djellabas excentriques, comme autant de toges d’empereurs romains, bombant le torse en lunettes noires, le coup de menton à la Mussolini. Ou encore, après avoir planté sa tente de bédouin dans les jardins de la République, en décembre 2007, saluant Nicolas Sarkozy avec le poing levé, lui le terroriste.

 

On voyait aussi souvent Mouamar Kadhafi, “papa Mouamar”, entouré par ses amazones, sa troupe féminine de gardes privées en uniforme kaki, lourdement armée. Ou haranguant la foule devant son palais mutilé, portant les traces volontairement indélébiles d’un vieux bombardement américain destiné à le tuer. ..

Tout cela était vrai, et tout cela était faux. Car la réalité de ce tyran était bien pire. Un livre d’Annick Cojean, une journaliste du Monde,* dévoile la face cachée du Guide, celles qu’ont connu les milliers de libyens qu’il maintenait sous la terreur, quasiment en esclavage. Celle d’un homme désaxé gouvernant par le sexe.

Car le bédouin inculte dont il revendiquait l’origine était un grand fou, un obsédé sexuel richissime perpétuellement en chasse, un violeur brutal de filles, femmes, jeunes garçons et adultes. Un cocaïnomane consommateur compulsif de Viagra qu’il se faisait livrer par caisses dans son palais présidentiel, pour lui et pour ses troupes. Un malade exigeant quatre rapports sexuels en moyenne par jour, au vu et au su de tous, devant ses gardes, ses amazones qui n’étaient en fait rien d’autre que les femmes de son harem sans aucun entraînement militaire, d’abord violées puis enfermées dans les sous-sols de son palais présidentiel. Et, si le désir lui en prenait, intégrées ensuite à sa garde présidentielles.

 

Main sur la tête

Pour sélectionner ses proies, Kadhafi avait un moyen imparable : les visites d’écoles. De son œil au laser, il repérait la chair fraîche et il suffisait qu’il pose la main sur la tête de l’élève pour que dans les 24 heures, les gardiennes du harem viennent enlever l’enfant à sa famille. De manière générale, les petites filles étaient immédiatement violées. Amateur de magie noire, Kadhafi récupérait alors sur des linges le sang de la défloraison de l’enfant pour éloigner le mauvais sort.

Annick Cojean a retrouvé Soraya, une très belle jeune femme aujourd’hui brisée, accro au tabac (une honte pour les femmes en Libye) et rejetée par sa famille puisqu’elle a connu le sexe hors mariage. Kadhafi l’a repérée à l’école, a mis sa main sur sa tête. Et le lendemain, Soraya entrait dans le “grand bordel” installé pour le guide en sous-sol, le domaine de Bab-Al-Azizia. Son récit glace le sang.

Repérée pour sa beauté, elle découvre l’envers du décor, un cloaque où près d’une centaine de filles gardées par des anciennes, s’entassent en attendant d’être appelées, de jour comme de nuit, pour satisfaire “papa Mouamar”.Des infirmières issues de pays de l’Est sont là, à demeure, pour faire une prise de sang à chaque nouvelle arrivante, car le Guide craint plus que tout les maladies.

Les rencontres de Soraya avec Khadafi confinent à l’horreur. Il est lifté, maquillé, parfumé. Soraya est habillée sexy par les gardiennes. Il fume de la cocaïne et l’oblige à en faire autant… A chaque fois, la malheureuse est brutalement violée, puis battue, mordue, jetée à terre. Où Kadhafi lui urinait dessus… Une pratique presque systématique, témoigne-t-elle. Un jour, elle est contrainte d’attendre son tour, après que le guide termine son affaire avec un garçon habillé en fille, sodomisé toutes portes ouvertes. La gardienne (une ex du Guide) vient de temps en temps, passer une tête par la porte pour lui dire de faire vite. Car malgré tout, il a un pays à gouverner.

Kadhafi qui avait le béguin pour Soraya (hélas), lui fit visualiser de force des films porno, fumer, boire … Dans les couloirs, d’autres filles habillées comme des danseuses des mille et une nuit, comme des prostituées par les gardiennes, attendent leur tour.

 

Table de gynécologie

Ces récits ahurissants, Annick Cojean les a tous recoupés. Au fil d’une enquête minutieuse, la journaliste a retrouvé de nombreuses autres victimes du tyran, qui avait l’habitude, aussi, d’aller draguer ses proies dans les facultés de médecine, car ces femmes savantes le fascinaient. Il avait d’ailleurs fait installer, à Tripoli, une chambre à coucher avec robinets en or, dans les sous-sols de la Fac. Pire, une salle dédiée à la gynécologie a été découverte dans la pièce attenante… Examens gynécologiques avant rapports forcés, prises de sang (Kadhafi était hypocondriaque), mais aussi avortements. Et parfois, comme l’a laissé entendre un médecin retrouvé par la journaliste, reconstruction de l’hymen. Kadhafi avait de multiples moyens pour faire craquer les internes en médecine, car il n’avait qu’un ordre à donner à la hiérarchie de la Fac : abaissement des notes jusqu’à ce qu’elles acceptent de coucher avec lui, renvoi de la faculté pour des motifs inventés, menaces de viol sur leurs mères ou leurs sœurs. Voire sur leurs frères.

On ne compte plus le nombre de femmes qui sont passées entre ses griffes : avocates, médecins, pharmaciens, chercheurs, étudiantes, élèves. Et femmes de dignitaires, à foison. Le Guide avait l’argent facile, et le cadeau en diamants, presque immédiat pour faire plier les épouses de ministres ou de présidents étrangers. Il tirait de ces coucheries une immense fierté, lui le bédouin inculte méprisé par les occidentaux et les classes supérieures.

Pour les viols des hommes, le tabou est quasi impossible à lever. Mais l’auteur a tout de même réussi à recueillir des témoignages de viol de ses officiers par Kadhafi, en représailles. Egalement du viol de leurs femmes et de leurs filles, pour le plaisir cette fois. Franchissant un degré supplémentaire dans l’horreur, le lynchage ou l’écartèlement entre deux voitures de plusieurs officiers ayant osé protester contre le viol des femmes de leurs familles par le Guide ont été filmés. Et projetées aux troupes pour qu’elles se rendent bien compte de ce qu’insoumission voulait dire. Car Kadhafi aimait beaucoup filmer ses exploits : les troupes qui ont investi son palais après sa chute ont découvert des centaines de cassettes enregistrées durant ses viols… Immédiatement détruites.

 

Le secret

Les derniers temps, encerclé par les soldats de la révolution qui l’assaillaient de toutes parts, Khadafi serait devenu de plus en plus fou. Cocaïne, Viagra, alcool… Il violait tout ce qui passait, en l’occurrence de jeunes combattants, au vu et au su de tous, “comme un renard qui tombe sur sa proie”, témoigne un ancien officier emprisonné…

Des mots d’ordre de viols filmés à très grande échelle ont aussi été donnés aux troupes, menacées de mort si elles n’accomplissaient pas les ordres : “violer, avant de tuer”. Pendaisons, tortures, séquestrations, meurtres de masse, crimes sexuels de tous ordres : rien ne fut épargné à cette malheureuse population.

“Le viol fut une arme politique avant de devenir une arme de guerre” écrit Annick Cojean. Elle a retrouvé deux de ces violeurs, qui croupissent en prison en attendant leur jugement. Ils ânonnent qu’on leur donnait des “pilules qui rendent dingue, en même temps que de l’eau-de-vie et du hachich”. Ils étaient menacés par les armes de leurs chefs, ”c’était un ordre”. Alors, ils ont violé, parfois “toute la famille, des filles de huit ans, des jeunes filles de vingt ans, leurs mamans, parfois devant un grand père. Elles hurlaient, on frappait dur (…) Le chef de brigade insistait : violez, tabassez et filmez ! On enverra çà à leurs hommes. On sait comment humilier ces connards”.

Kadhafi a été retrouvé par une horde de résistants, après qu’il se soit caché dans une canalisation, fuyant les bombardements alliés. Des films ont été tournés avec les téléphones portables des assaillants, mais toutes les versions courant sur le net ont été expurgées. Elles n’étaient pourtant pas belles.

Mais en Libye, Annick Cojean a vu. Vu le secret, avant même le lynchage, les coups, les tirs, la bousculade. Elle a vu qu’avant le tir qui l’a tué, “le violeur fut violé” a coup de barres et de bois, jusqu’à en saigner.

“Avant son rendez-vous avec la mort, le violeur fut violé, confirme un avocat de Misrata, les Lybiens se sont sentis vengés.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne

 

Avec Les Proies dans le harem de Kadhafi d’Annick Cojean (édition Grasset).