Les trois académies, de médecine, de pharmacie et vétérinaire, s’unissent pour alerter sur l’importance de la menace à la fois sur la santé et la sécurité que représentent les médicaments falsifiés.

 

Plus rentable et moins risqué que le trafic de drogues, car les peines sont moins lourdes, le trafic de médicaments falsifiés prend une ampleur croissante dans le monde. “On vend des antipaludéens qui ne sont que de la poudre dans des régions où les enfants meurent du paludisme par milliers. On distribue des vaccins fictifs dans le Sahel en pleine saison d’épidémies de méningites. C’est un crime !”, s’est indigné le Pr Pierre Bégué, président de l’Académie nationale de médecine lors d’une table ronde organisée par les Académies de médecine, de pharmacie et vétérinaire. Dans la majorité des cas (près de 60 %), ces faux médicaments ne contiennent aucun principe actif, selon le rapport publié par les trois Académies en décembre 2015. Ils peuvent aussi être sous-dosés ou renfermer des produits toxiques. Il manque des données précises sur l’importance de ce commerce illicite. Cependant, “les rares études prospectives réalisées confirment l’étendue du trafic et sa croissance”, précise le rapport, qui évoque des taux de 20 à 30 % du marché en Afrique sub-saharienne et en Asie du Sud-Est. Les proportions sont encore plus élevées dans les zones de conflit. Ces médicaments falsifiés constituent une menace pour la santé publique, mais aussi pour la sécurité, a estimé Michèle Ramis (Ministère des affaires étrangères), car l’on assiste à l’essor d’une nouvelle criminalité organisée, les trafiquants de drogues ayant tendance à se reconvertir dans ce trafic plus lucratif.

 

Des conséquences difficiles à chiffrer

Il est impossible de chiffrer précisément les répercussions sanitaires de ces falsifications. En effet, identifier les conséquences toxiques des faux médicaments nécessiterait un système de pharmacovigilance ou des enquêtes d’imputation, rarement réalisées dans les pays les plus touchés. Au Panama, en 2006, et au Nigeria, en 2008, des épidémies d’insuffisances rénales, parfois mortelles, ont pu être attribuées à des sirops pour la toux contenant de l’éthylène glycol. Les conséquences d’un sous-dosage ou de l’absence de principe actif sont encore plus difficiles à évaluer.

Wilfrid Rogé (Institut international de recherche anti contrefaçon de médicaments, Iracm) a cité les chiffres de 700 000 à deux millions de décès par an dus à des médicaments falsifiés. “Toutes les classes thérapeutiques sont aujourd’hui concernées”, a-t-il remarqué. De faux médicaments contre l’hépatite C, de faux contraceptifs, de faux médicaments contre le cancer sont proposés avec des conséquences pouvant être dramatiques. De plus en plus de faux vaccins sont identifiés. Dernière alerte en date, en février 2016, après avoir été informé par l’institut Pasteur de Dakar, l’OMS a lancé une mise en garde sur une version falsifiée du vaccin “Amaril” contre la fièvre jaune en Asie du Sud-Est. “De faux carnets de vaccination contre la fièvre jaune circulent en Tanzanie et en Afrique du sud”, a ajouté Wilfrid Rogé. Les produits vétérinaires sont également falsifiés et peuvent entraîner des risques de zoonoses ou de toxicité pour l’homme lorsqu’ils sont administrés à des animaux élevés pour la consommation.

 

Plus d’un million d’unités de médicaments illicites saisis chaque année en France

Ces médicaments falsifiés viennent en majorité d’Asie et plus particulièrement d’Inde, par ailleurs grand producteur de génériques. Cependant ils peuvent provenir de toutes les régions du monde et “des lieux de fabrication commencent à apparaître en Afrique, notamment en Tanzanie et en Angola”, a signalé Wilfrid Rogé. Si les populations des pays en voie de développement sont les principales victimes, “les pays développés, longtemps à l’abri et peu sensibles à ce risque, ne sont plus épargnés”, souligne le rapport de l’Académie. Aux Etats-Unis, où la couverture de santé reste insuffisante, la FDA a développé un système d’alerte et d’information sur les médicaments falsifiés. Les produits impliqués sont souvent des spécialités onéreuses, comme les facteurs de croissance, les médicaments contre le cancer, les immunosuppresseurs.

Plus d’un million d’unités de médicaments illicites, souvent en transit, sont saisis chaque année par la douane sur le territoire français. En 2014, les chiffres ont culminé à 3 millions et demi, du fait de la saisie de containers entiers de médicaments provenant de Chine, dans le port du Havre. La contrefaçon (médicaments contrevenant à la loi sur la propriété intellectuelle) concernait moins de 200 000 unités sur les 1,5 million d’unités saisies en 2015, selon les chiffres présentés par Frédéric Laforêt, chef de l’Observatoire des médicaments de la Direction des renseignements douaniers. La grande majorité était constituée de médicaments sans autorisation de mise sur le marché (AMM), suivi par les produits dopants (300 000 unités).

L’arrivée d’internet a permis le développement d’un marché illicite qui propose, en particulier, des médicaments érectiles, des produits de régime et des substances dopantes. “En Europe, près de la moitié des médicaments vendus sur internet en dehors des sites légaux seraient des faux”, selon le rapport de l’Académie. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (Ansm) procède à des analyses de médicaments achetés sur internet. “Dans deux tiers des cas ces médicaments sont de qualité insuffisante”, a précisé Gaëtan Rudant, directeur de l’inspection à l’Ansm. “Le principe actif est absent, en trop faible quantité, erroné, voire toxique”. En Grande-Bretagne et en Suisse des décès ont été attribués à des médicaments commandés sur internet.

Autre menace très inquiétante, l’intrusion de médicaments frauduleux dans les chaînes légales de distribution a été constatée à plusieurs reprises. “En Angleterre, en 2007, deux millions de doses ont été distribuées, notamment à des personnes atteintes de cancer ou de schizophrénie”, a déclaré Wilfrid Rogé. En 2014, l’Agence européenne du médicament lançait une alerte après des vols d’Herceptin. Ces médicaments avaient été réintroduits, après manipulation, dans les chaînes légales, en Europe de l’Ouest. Les laboratoires Roche ont confirmé, peu après, qu’un lot analysé ne contenait plus de principe actif. Des soupçons ont porté sur la camora ainsi que sur des réseaux d’Europe de l’Est.

 

Et en France ?

La France apparaît aujourd’hui relativement préservée, grâce à une chaîne pharmaceutique bien structurée et à des prix peu attractifs pour les faussaires. “L’entrée de médicaments falsifiés dans la chaîne légale n’a jamais encore été constatée, a confirmé Gaëtan Rudant. Mais il ne faut pas s’en satisfaire. Nous avons eu connaissance, il y a un an, d’un laboratoire français qui a contribué à la fabrication d’un médicament antipaludéen pédiatrique sous-dosé. Il existe un risque que des médicaments falsifiés soient blanchis dans la chaîne légale en France et dans d’autres pays européens.” Anne Aublioux, pharmacienne à Paris, a mis en garde contre le développement, à côté des grossistes répartiteurs et des industriels du médicament, bien identifiés, de “structures plus ou moins formalisées, souvent présentées comme confraternelles, dont l’offre, parfois mirifique, incite à chercher ou, au moins, à connaître les raisons des conditions proposées”.

 

Cybertrafic

L’opération internationale Pangea VIII, menée du 9 au 16 juin 2015 pour lutter contre la vente illicite de médicaments sur internet, a permis en France la saisie d’un million de comprimés (1,1 tonne), dont plus de 88 % à Roissy. Il s’agissait essentiellement de médicaments érectiles, de dopants ou de produits de régime. Les trois quarts provenaient d’Asie, principalement d’Inde. La cellule d’investigation Cyberdouane a identifié 81 sites illégaux de vente, qui feront l’objet de poursuites judiciaires. Cyberdouane traque, par ailleurs, le cybersquatting de sites légaux, qui, à son insu, renvoie le consommateur sur des sites illicites de vente.

Il est important de rappeler qu’il est autorisé, en France, de faire le commerce de médicaments non soumis à prescription sur internet à condition que cela soit sur des sites de pharmacies autorisées. Il existerait plus de 300 sites légaux en France. Le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens tient à jour sur son site une liste de ces pharmacies. Pour Gaëtan Rudant, “le seul levier vraiment utile pour protéger le consommateur vis à vis des ventes sur internet c’est l’informer des risques qu’il encourt”.

 

Une coopération internationale à renforcer

Face à la mondialisation des échanges et à une production de plus en plus délocalisée, un engagement à l’échelle mondiale est indispensable. Le Conseil de l’Europe a adopté en décembre 2010 la convention Médicrime, qui fournit les bases d’une coopération internationale entre autorités sanitaires, douanières et policières. “C’est une convention pénale, qui prévoit des sanctions”, a expliqué Claude Dubrulle, le président du groupe d’experts en charge de sa rédaction. A ce jour, six pays seulement ont ratifié ce document. La Belgique devrait le faire dans les deux prochains mois, de même que la France. Le sénat a adopté la loi de ratification le 17 décembre 2015 et l’Assemblée nationale examinera le texte le 12 mai. Le rapport de l’Académie appelle à l’élargissement mondial de Médicrime, sous forme d’une convention internationale de l’ONU. Mais le sujet des médicaments falsifiés est “extrêmement clivant, politisé, a regretté Michèle Ramis. De grands pays émergents nous accusent de mettre des freins à la santé publique et de promouvoir nos laboratoires”. Ces pays craignent surtout que la lutte contre la falsification mette en péril leur activité de production de génériques et font pression à l’ONU. Pour Michèle Ramis, “la sensibilisation des pays en voie de développement est fondamentale”. Une certaine évolution serait perceptible. Ainsi, pour le Pr Gentilini, coauteur du rapport de l’Académie de médecine, “la Chine commence à comprendre que les faux-médicaments ne sont pas bons pour son image”.

La généralisation prochaine, en Europe, d’un code numérisé permettant la traçabilité des boîtes, sera un “outil majeur” pour sécuriser les circuits, a estimé Gaëtan Houdant. Cependant les dispositifs d’inviolabilité et d’authentification des boîtes ne résoudront pas les problèmes dans les pays en développement, où beaucoup de médicaments sont inaccessibles, poussant la population à avoir recours à des produits falsifiés, souvent vendus dans la rue. La baisse du coût des médicaments et la mise en place d’une couverture sanitaire sont les points prioritaires pour réduire l’ampleur des marchés parallèles dans ces pays.

A l’issue de la table ronde, les présidents des trois Académies de médecine, de pharmacie et de vétérinaires et des trois Ordres correspondants, ont signé un manifeste réclamant une politique de prévention et de répression au niveau international. “Devant ce problème de gravité croissante, il faut une alliance”, a insisté le Pr Marc Gentilini.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Chantal Guéniot

 

D’après une conférence de presse des Académies de médecine, pharmacie et vétérinaire, du 5 avril 2015, ainsi que le rapport Les médicaments falsifiés. Plus qu’un Scandale, un Crime,