Victime de harcèlement durant plusieurs années par le directeur du CMP où il exerçait en tant que psychiatre, ce praticien raconte son histoire, ainsi que celle d’autres médecins qui ont subi le même sort. Il nous la fait partager sous forme anonyme “pour que cela aide des confrères”. Témoignage.

 

[…] Psychiatres ou médecins somaticiens, nous subissons pareillement des pressions, voire du harcèlement. Ce qui fut mon cas ces dernières années.

A l’époque, j’intervenais 7 jours par mois dans ce centre médico-psychologique (CMP) d’un désert médical. J’avais été engagé en 2001. Un des psychiatres était HS, un autre avait un cancer, on avait besoin de moi, j’étais bienvenu. Je partais le matin en car et revenais le soir, cela représentait une centaine de kilomètres en tout, c’était faisable.

Il y avait beaucoup de travail, 15 consultations par jour. Les malades étaient graves, il fallait travailler vite, prendre des risques, il était difficile de trouver un lit si l’on voulait hospitaliser. Le soir, je sortais épuisé du CMP. Bien sûr, il y avait des psychiatres plus doués que les autres et que moi, qui avais plutôt une pratique libérale, mais j’avais connu pire. Dans un autre établissement, je faisais 20 consultations, devais me lever à 4 h, prendre le train, commencer à 8 heures le matin, finir à 18 heures. Je rentrais chez moi à 10 heures du soir. Je ne le faisais qu’un jour par semaine heureusement, mais on m’a remercié au bout d’un an, je me demande encore pourquoi… Finalement, je pense que j’y aurais laissé ma santé, et que l’ingratitude de mes chefs m’a sauvé la vie !

 

Temps de soin passé de 30 à 20 minutes

Dans ce CMP là, au bout de 10 ans, on nous demanda davantage. Il fallait maintenant rédiger soi-même les ordonnances sur ordinateur, ce qui n’était pas mon fort, j’avais 60 ans. Cet ordinateur raccourcissait le temps du soin qui est passé de 30 à 20 minutes.

Le public y est difficile. Mais partout, c’est difficile. Nous sommes dans une ville sinistrée, pauvre, qui a perdu ses usines, sa population. Il est difficile d’y construire sa vie, d’y reconstruire sa vie lorsqu’on a perdu son emploi : ce qui rend encore plus difficile le travail du psy. Cette situation aggravait le moral de gens !

La direction, pour économiser, faisait faire le maximum par les infirmières et les psychologues, réservant le plus difficiles aux psychiatres. Leur travail se limitait aussi de plus en plus aux choses qu’eux-seuls peuvent faire : ordonnances, certificats, responsabilités.

La direction commença par faire partir une psychiatre un peu plus âgée que moi et qui n’était peut-être plus aussi productive, d’autant qu’elle avait eu un cancer, (pas de pitié pour ceux qui ont eu un cancer). On engagea bientôt une psychiatre roumaine (une femme forte, sans charme, comme celles des pays de l’Est dans les années 60). Je me suis senti peu à peu mis à l’écart. Pensant peut être que j’étais parano, ou qu’elle pouvait me rendre parano, elle faisait ceci : quand nous étions plusieurs dans une salle du CMP, elle disait à quelqu’un, en me regardant dans les yeux : “Viens, j’ai quelque chose à te dire” et pour que je n’entende pas, l’entraînant dans la pièce, fermait la porte…

 

Rendez-vous avec le directeur annulés au dernier moment

Le directeur général me donne des rendez-vous. Il faisait dire à la secrétaire du CMP, au début du mois, qu’il voulait me voir. C’était sans doute grave (licenciement ?). Le rendez-vous aurait lieu à la fin du mois. Tout le personnel était au courant. On ne savait pas le motif, mais je perdais en crédibilité. A la fin du mois, il faisait annuler le rendez-vous, le jour-même, une heure ou deux avant. Il recommençait le mois suivant, puis le mois d’après, etc. Puis, il arrêtait et recommençait quelques mois plus tard. Cela dura 3 ans.

A la fin de l’année 2014, on en était là. J’avais trouvé un autre job : le directeur me convoque encore une fois pour “discuter”, sans annuler… J’ai commencé à lui dire ce que je pensais. Il me convoque pour me licencier.

J’y suis allé seul, ne voyant pas qui pourrait m’accompagner pour l’entretien préalable. Il n’avait pas de motif, les autres psychiatres ne lui en ayant pas donné un officiel. J’en avais marre de ce bagne.

Peu avant, un de mes amis médecins avait été harcelé et licencié par ce même directeur. Et quelques années auparavant, une psychologue avait été elle aussi sauvagement licenciée (elle gagna son procès).

Je suis allé à l’entretien de licenciement. Seul face au DRH et au directeur, je dus entendre des contre-vérités et des provocations. J’ai dit le reste de ce que je pensais, je n’avais rien à prendre et j’ai dit ce que tout le monde pensait, rendant service à tous. Mais je n’ai jamais été récompensé de mon “exploit”. J’avais écrit préalablement au conseil d’administration pour me plaindre de ce directeur, mais le CA n’a pas réagi. On ne m’a même pas proposé une rupture conventionnelle. Je l’ai demandée et on me l’a refusée.

Le directeur a trouvé un bon motif de licenciement : faute grave. Il jugea bon d’ajouter que je l’ai poussé hors du bureau (!) et même que je l’avais menacé alors que je l’avais seulement menacé d’avertir Canal +. Cette chaîne appelait les gens harcelés à lui écrire : c’était à la période des suicides chez Renault et France télécom.

 

Je n’ai aucune estime pour Marisol Touraine

La copie de la lettre a dû aller à l’ARS avec les calomnies qu’elle contient. Il faut savoir que lorsqu’on postule quelque part, il faut envoyer son CV, et que l’ARS donne son avis, et que les DRG communiquent entre eux…

Pour ce qui concerne mon collègue et ami, il était plus âgé que moi, habitait la même ville et faisait le même trajet que moi. Le directeur avait imaginé un autre moyen pour le faire démissionner, car il ne plaisait plus. Il était passionné par ce qu’il faisait, il intervenait au CMP et dans les pays proches. Son contrat stipulant qu’il pouvait être amené à travailler dans d’autres établissements du département géré par le même directeur (hôpitaux, maisons de retraite, etc.). Ce dernier lui imposa d’aller à 70 km au nord de la ville siège de notre CMP, exercer deux matinées par semaines de 9 h à midi, ce qui lui imposait de partir de son domicile pour effectuer 120 kilomètres aller et 120 km retour, par tous temps en voiture, à 60 ans passés.

Il l’a fait un peu, puis il a refusé et a démissionné aux torts du directeur. Il a gagné un premier procès, mais l’employeur a fait appel. Il a depuis, quitté la région et pris sa retraite deux ans plus tard.

Je n’ai aucune estime pour Marisol Touraine, qui ne sait pas ce qu’est un acte médical. Je dis qu’elle bouffe du médecin chaque jour. Les manières des directeurs d’hôpitaux et d’établissements médico-sociaux ne sont pas étrangères à son attitude. On s’est habitué en France à l’idée que les soignants soient maltraités par les employeurs […]

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : C. L B