Avec la réforme du troisième cycle des études médicales, l’allergologie devait devenir une spécialité à part entière. C’était presque acté. Sauf qu’entre temps une coalition de spécialistes hospitalo-universitaires s’y est fermement opposée. Aujourd’hui privés de diplôme qualifiant, les allergologues haussent le ton pour défendre l’utilité de leur discipline.

 

Egora.fr : Il semble que la réforme du troisième cycle des études de médecine ne prévoit pas de créer un diplôme d’études spécialisées en allergologie, comme vous l’aviez demandé. C’est une surprise pour vous ?

Dr Isabelle Bossé, présidente du syndicat français des allergologues (Syfal) : On s’attendait vraiment à ce que l’allergologie devienne une spécialité. Depuis que la réforme a été mise en place il y a un an et demi, la Fédération française d’allergologie a été en lien étroit avec les deux commissions qui s’en occupaient (celles des professeurs Couraud et Pruvot). On avait déposé une demande de DES et une maquette qui avaient été discutées et au final acceptées. On avait donc un accord verbal et quasi-officiel des deux commissions au mois de juin.

Que s’est-il passé ?

En juillet, une motion a été envoyée sans qu’aucun membre de la Fédération d’allergologie n’ait été mis au courant. Cette motion a été signée par les représentants de plusieurs spécialités hospitalo-universitaires : des pneumologues, dermatologues, pédiatres, hépato-gastroentérologues, néphrologues, rhumatologues et internistes ont déclaré qu’ils étaient opposés à la création du DES d’allergologie. En même temps les syndicats d’internes et de chefs de clinique ont fait exactement la même demande disant qu’ils ne voyaient pas pourquoi l’allergologie devrait devenir une spécialité. Résultat : on a été “black boulés” sans le savoir. Nous n’avons eu connaissance de cette motion qu’en septembre et on n’a su que la semaine dernière que nous n’aurions pas de DES. On n’avait bien sûr pas le temps de se retourner, et je pense que c’était volontaire. C’est pourquoi nous avons écrit aux conseillers ministériels, au professeur Schlemmer qui a repris la direction de la commission et nous avons alerté les médias. Je pense que cela les a fait un tout petit peu reculer. Aujourd’hui, on nous retend un peu la perche en nous demandant d’expliquer, encore, en donnant des comparaisons avec ce qui se passe en Europe (l’allergologie est une spécialité dans 15 pays européens, Ndlr). Ce que nous avons déjà fait maintes et maintes fois.

Aujourd’hui, pour se former à l’allergologie, il y a le DESC, diplôme complémentaire en trois ans, ou la capacité en 2 ans. Or, ces deux diplômes disparaissent avec la réforme. Que devient donc l’allergologie ?

On nous propose une FST (Formation spécialisée transversale) dont on ne veut absolument pas. Elle sera ouverte aux pneumologues, aux dermatologues et éventuellement aux généralistes mais ne sera pas qualifiante. Surtout, elle sera d’une année seulement alors que nous demandons une formation en quatre ans. On va donc continuer à demander le DES d’allergologie et on va remuer ciel et terre s’il le faut.

Comment expliquez-vous cette coalition de spécialistes et d’internes contre l’allergologie ?

Pour les internes, je pense que c’est une méconnaissance. Pour les chefs de clinique, je pense que c’est la peur qu’on leur pique des postes. Car bien sûr, si on crée une spécialité on va créer des services dans les hôpitaux, on va créer une section au conseil national des universités (CNU) et on va créer des postes de professeurs… Forcément, s’il y a des professeurs d’allergologie, il y aura moins de professeurs de dermatologie ou de pneumologie… On n’en est pas là, mais je pense que c’est leur crainte. Il faut dire que parmi les spécialistes qui ont signé cette motion, pas un seul ne s’est distingué dans l’allergologie. Il y a pourtant énormément de pneumologues qui ont fait carrière dans l’allergologie… Selon moi, c’est simplement une histoire de lutte de pouvoir. Et c’est scandaleux.

L’argument des spécialistes est que les pneumologues ou les dermatologues, notamment, soignent déjà les allergies.

On n’est absolument pas contre ! A l’heure actuelle il y a plein de pneumologues et de pédiatres, un peu moins de dermatologues qui font de l’allergologie, et heureusement qu’ils sont là parce qu’on n’est pas assez nombreux. Sauf que quand vous avez une rhinite associée à un asthme et à un eczéma, vous allez voir d’abord le dermato, puis l’ORL et puis le pneumologue. On revient 40 ans en arrière quand les patients étaient vus de façon complètement parcellaire par un spécialiste, puis un autre, puis un autre. L’allergie est une pathologie transversale qui touche plusieurs organes et il faut prendre en charge l’ensemble du patient. Il y a des pneumologues et des ORL qui ont fait leur DESC ou leur capacité en allergologie et qui savent prendre en charge leurs patients dans la globalité. Or, si comme le veut la réforme on forme en un an des pneumologues à la “pneumologie allergique”, ils vont faire de l’allergologie uniquement dans leur domaine. C’est invraisemblable aujourd’hui alors qu’on sait que c’est une maladie globale, reliée à 200% à l’environnement. Sans compter qu’il y a aussi les allergies alimentaires, médicamenteuses, les venins, les curares…. Et ça il n’y a que les allergologues “généralistes” qui peuvent le prendre en charge.

Il y a quelques années, dans leur livre, les professeur Even et Debré vous traitaient de “charlatans”. Aujourd’hui, ce sont de grands spécialistes qui s’unissent pour qu’il n’y ait pas de DES en allergologie. Avez-vous le sentiment d’être les “mal-aimés” de la médecine ?

Il y a des milliers de généralistes et de spécialistes correspondants avec qui nous travaillons bien et qui nous considèrent vraiment comme des spécialistes. On est très bien considérés par nos patients et par une grande partie de nos confrères. En revanche, les autres spécialistes comme les pneumologues en particulier, les dermatologues et les pédiatres dans une moindre mesure, considèrent tout simplement que l’allergie n’est pas une maladie et qu’il n’y a vraiment pas besoin d’allergologues pour les soigner. Or, on sait qu’il y a 18 millions d’allergiques en France, qu’en 2050 il y en aura 30 millions, et que cela deviendra de plus en plus complexe au niveau diagnostic et thérapeutique. C’est invraisemblable de penser que l’allergie se résume à un nez qui coule et trois éternuements. Pourtant, beaucoup considèrent cela comme de la sous-médecine, presque comme de la “bobologie”.

Qu’en est-il aujourd’hui de la démographie des allergologues ?

On est 570 allergologues exclusifs et 1200 spécialistes d’organes qui ont leur diplôme d’allergologie. Il y a trois ans nous avons fait un état des lieux de l’allergologie dans lequel on avait conclu qu’il fallait 70 allergologues formés chaque année tout en continuant à former les spécialistes d’organes. Mais nous souffrons d’un manque d’attractivité pour deux raisons. La première c’est que nous ne sommes pas une spécialité à l’ECN, donc personne ou presque ne sait que l’allergologie existe. Et puis la deuxième raison, c’est que nous avons des tarifs ridiculement bas. Quand on compare avec le chiffre d’affaire d’un ophtalmologue ou d’un cardiologue en secteur 1, c’est du simple au quadruple. On est aujourd’hui en dessous du niveau de rémunération du généraliste. C’est aussi pour cela que nous voulons devenir une spécialité, pour pouvoir renégocier certains actes et avoir des rémunérations décentes.

Qu’avez-vous prévu pour vous faire entendre ?

Le décret n’est pas encore paru. La commission Schlemmer est interrompue et Il y a nouvelle commission qui débute à partir du 23 octobre, présidée par le professeur Lyon-Caen. On va donc solliciter une audition. Par ailleurs on va continuer nos actions, auprès des élus, dont certains sont prêts à poser une question ouverte au gouvernement. Et nous allons lancer un mot d’ordre de grève des consultations hospitalières, dont 80% sont assurées par des libéraux.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu