Le second malheur dont furent victimes les collections d’histoire de la médecine à Paris fut la fermeture brutale en 2012 par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) de son magnifique musée consacré à l’histoire de l’hospitalisation, situé dans l’hôtel de Miramion, quai de la Tournelle à Paris (ce qui concerna également le musée Pierre-Fauchard consacré à l’art dentaire qui y avait déposé son fond). Ce musée exposait une riche collection (souvent issue de dons) de meubles, de tableaux, d’objets médicaux et pharmaceutiques et de nombreux documents, et il recevait chaque année des milliers de visiteurs dont beaucoup d’étudiants des professions de santé.(1, 6) Il était le lieu de belles expositions qui racontaient et documentaient l’histoire du soin et tous les débats afférents à son évolution. Le paradoxe fut que la dernière et passionnante exposition fut consacrée à l’humanisation des hôpitaux.(7, 8)
Là encore, la mobilisation fut forte pour empêcher la fermeture de ce joyau dont l’existence chagrinait quelques technocrates obtus à la recherche d’une bonne affaire immobilière (vendre l’hôtel particulier) et de quelques économies. Comme nous l’écrivions dans une note non publiée destinée à Martin Hirsch, l’actuel directeur de l’AP-HP, qui n’y est pour rien dans cette fermeture, “ceux qui ont pris cette décision, lourde de sens, et qui sont demeurés sourds à toutes les protestations, n’y ont vu qu’une ligne d’économie (bien faible) sur un bilan comptable, mais cette fermeture était un mauvais symbole : ce musée, dont les collections sont désormais en caisse, dont le Conseil de Paris avait fortement souhaité la création il y a plus d’un siècle et qui, musée de France, fut inauguré en 1934, n’était pas seulement une collection d’objets et de documents, mais aussi et surtout le dépositaire d’une extraordinaire mémoire : celle de la charité, de la solidarité et de la lutte contre la souffrance et la maladie. Il témoignait magnifiquement des progrès et des tâtonnements de la médecine, de la création et de l’évolution des établissements hospitaliers de la ville et donc de l’histoire de Paris”.(9)
Une réouverture sur le site de l’Hôtel-Dieu dans le cadre du projet “île de la Cité” ?
Peut-on espérer une réouverture ? Martin Hirsch, qui connaît bien ce dossier et qui sait l’importance pour l’AP-HP de disposer d’un tel patrimoine, semblait y être favorable. Le projet existe d’installer le musée sur le site de l’actuel Hôtel-Dieu, sur l’île de la Cité, dont les grands bâtiments permettraient de faire coexister à côté d’une activité médicale maintenue des projets associés dont celui du musée. Le problème est évidemment financier et celui des priorités d’investissement de l’AP-HP dans le contexte budgétaire actuel. Toutefois ce projet pourrait s’inscrire dans celui plus large concernant l’île de la Cité. Celle-ci, visitée chaque année par des millions de touristes qui viennent à Notre-Dame, ne possède aucun équipement pour les recevoir ni aucun plan d’ensemble pour faire comprendre l’importance de ce site exceptionnel pour l’histoire de France. Le président de la République, comprenant (un peu tard…) que le pays a besoin de grands projets culturels, vient de confier, en accord avec la maire de Paris, à Dominique Perrault, l’architecte de la Bibliothèque nationale de France, et à Philippe Belaval, le président du Centre des monuments nationaux, une mission pour que des propositions soient faites, au plus tard au mois de septembre, sur “ce que pourraient être les axes principaux d’une intervention des différents acteurs concernés par les enjeux multiples de l’île de la Cité et notamment l’enjeu proprement urbain pour rendre à l’île une vie, des activités et une identité de quartier spécifiques, l’enjeu culturel, qui est de remettre l’île à sa juste place dans l’histoire de Paris et dans la vie culturelle et sociale de la capitale, l’enjeu touristique pour requalifier l’île et ses abords, l’enjeu enfin de son inscription dans une stratégie globale de développement durable de la ville de Paris”.(10, 11)
Cet ambitieux projet qui ne peut être porté que par une volonté régalienne ouvre de nouvelles perspectives à une réouverture du musée de l’AP-HP dans un Hôtel-Dieu rénové et réhabilité, conservant aussi des activités médicales ambulatoires et son service d’urgence. Comme nous l’écrivions dans le document évoqué ci-dessus à l’adresse de Martin Hirsch, “l’histoire de l’Hôtel-Dieu, fondé vers 650 par saint Landry, évêque de Paris, un des plus anciens établissements hospitaliers du monde encore en activité, est intimement liée à celle de l’île de la Cité et de sa cathédrale. Ouvert sur le parvis de Notre-Dame, l’hôpital a été le témoin de tous les grands épisodes de l’histoire de France depuis le Moyen-Âge : les guerres de religion, la monarchie absolue, la Révolution, la Commune, la séparation de l’Église et de l’État, la Libération de Paris… Chacun de ses événements a eu des répercussions sur la vie de l’hôpital. Il constitue avec Notre-Dame, la crypte archéologique, la Sainte Chapelle, la Conciergerie et le Palais de justice un ensemble unique, classé au patrimoine mondial de l’Unesco. D’innombrables citoyens y ont été hospitalisés pour y être soulagés ou pour y mourir. Son incendie en 1772 a été un choc énorme pour les Parisiens, son projet de reconstruction a été à l’origine d’un long et intense débat entre médecins, architectes et autorités (…) Sa médicalisation progressive depuis la fin de la Renaissance a illustré toutes les grandes avancées médicales. Les plus grandes figures de la médecine française ont parcouru ses salles !” et, plaidant pour la réouverture du musée, nous écrivions : “Il y a le projet dans l’immense Hôtel-Dieu actuel d’y intégrer le musée et ses collections. Mais le débat sur l’avenir de l’établissement le reporte constamment. Pourtant celui-ci devrait être aussi une priorité, indépendamment des décisions qui seront prises concernant le reste du bâtiment ! Paris n’a pas comme Londres cet exceptionnel musée Wellcome d’histoire de la médecine dont la fréquentation et l’influence sont considérables ! Or nous avons besoin d’un tel lieu pour que s’amplifient les grands débats d’idées et de société qu’exige la problématique de la santé aujourd’hui à un moment où les patients revendiquent à juste titre que s’appliquent les droits qui leur sont reconnus, un lieu qui doit être le symbole de ce que doit être une politique des soins humaniste et solidaire non guidée par d’uniques considérations financières qui, certes, doivent être prises en compte, mais qui ne peuvent prendre le pas sur la dimension humaine du soin et de l’acte médical. Ce lieu doit être ouvert sur l’île de la Cité pour marquer l’unité de ce patrimoine dont l’importance est majeure pour Paris et pour le pays.” (9) À suivre donc… en espérant que ce grand musée qui manque à Paris (et dont la nécessité paraîtra si évidente lorsqu’il sera créé) ne mettra pas des années à se faire…
Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Jean Deleuze *
* Le Dr Jean Deleuze est rédacteur en chef de La Revue du Praticien. Il déclare n’avoir aucun lien d’intérêts.
RÉFÉRENCES :
1. Tilles G, Wallach D (dir). Les musées de médecine. Toulouse : éditions Privat, 1999.
2. Association des musées anatomiques Delmas-Orfila-Rouvière. Catalogue de l’inventaire. Surgical and radiologic anatomy. J Clin Anat 1995 ;17:S1-154.
3. Cires anatomiques du Dr Spitzner. Catalogue du centre culturel de la communauté française de Belgique. Paris, 1980.
4. Saban R, Lassau JP. Un chef-d’oeuvre en péril ? Les musées d’anatomie Delmas-Orfila-Rouvière. Rev Part 2004 ;54:1038-41.
5. Vulser N. Les collections anatomiques Orfila menacées. Le Monde, 30 mai 2004.
6. Musée de l’Assistance publique de Paris. Catalogue des oeuvres exposées. Paris 1987.
7. Nardin A (dir). L’humanisation de l’hôpital. Paris : AP-HP, 2009.
8. Nardin A. Humanisation de l’hôpital. Rev Prat 2010 ;60:584-9.
9. Corvol P, Deleuze J, Deschamps J, Nouchi F, Postel-Vinay N. Lettre non publiée adressée au directeur de l’AP-HP pour plaider la cause du musée.
10. Guerrin M. L’Île de la Cité laissée en plans. Le Monde, 5 février 2016.
11. Lettre de mission du président de la République, 7 décembre 2015.