Il y a quelques jours, les médecins généralistes de la ville de Poissy ont eu la surprise de recevoir un courrier du maire. Celui-ci leur demande clairement de limiter les arrêts maladies prescrits aux agents municipaux. Les médecins, révoltés, y voient une attaque à leur indépendance.

 

“Depuis 2007, l’absentéisme pour raisons de santé a augmenté de 18% dans les collectivités territoriales”, a tenu à faire savoir le maire de la ville de Poissy (Yvelines) aux médecins généralistes de la commune. Dans un courrier (voir ci-dessous), qui leur a été adressé le 25 mars dernier, Karl Olive (LR) appelle les médecins à limiter leurs prescriptions d’arrêts maladies aux agents municipaux.

“Il en va de ma responsabilité de vous sensibiliser davantage à l’impact des arrêts de travail sur la collectivité”, écrit l’élu. “S’il est communément admis que moins de 5% des agents abusent des arrêts de maladie, que moins de 1% des médecins prescrivent des arrêts dits de “complaisance”, il est toutefois indispensable de réduire aux maximum ces pratiques que je ne saurais accepter plus longtemps”, souligne le maire, qui chiffre à 1 800 euros par agent le coût des absences en 2013, pointe une désorganisation des services et ajoute que la qualité du service public risque d’en souffrir.

 

“Pourquoi Pierre Gattaz n’appelle pas tous les généralistes de France ?”

Il invite ainsi les généralistes à “faire preuve d’une vigilance accrue” et à orienter les agents municipaux vers le médecin de prévention. “Un arrêt de travail pourra peut-être ainsi être évité dès lors que le service de médecine préventive aura interpellé la collectivité pour œuvrer à la résolution en interne des difficultés évoquées par l’agent”, conclut le maire de Poissy, ex-journaliste sportif et président du Football Club de Villennes Orgeval.

“J’ai été sciée en recevant cette lettre ! De quoi il se mêle ?”, lâche le Dr Martine Engerrand, généraliste à Poissy. “J’étais horrifiée. Jamais un employeur ne s’est permis de m’écrire sur le sujet. Pourquoi pas alors le directeur de l’usine Peugeot ou de l’hôpital de Poissy ?”, ironise-t-elle. “Pourquoi Pierre Gattaz n’appelle pas tous les généralistes de France ?” renchérit le Dr Christian Lehmann, lui aussi installé à Poissy.

“Quand j’ai ouvert le courrier, je suis resté assis un moment, raconte le Dr Lehmann. C’est une première en France ! Le maire a cru écrire une note de service interne ! Il a juste oublié qu’on était indépendants. Il y a là un vrai problème de compétence, d’intrusion, de respect de notre indépendance”, fulmine le médecin.”Il se prend pour qui ? Le maire dit ’Il en va de ma responsabilité…’ Non ! Il n’est pas l’Ordre, il n’est pas Hippocrate ! Il ajoute ’de vous sensibiliser…’ Mais je n’ai pas à avoir un tiers qui influe sur ce qui se passe entre mon patient et moi ! La prescription, c’est ma responsabilité de médecin. Je n’ai pas à avoir le maire dans un coin de ma tête quand je vois mon patient !”

 

“Il y a peut-être des problèmes à gérer en amont”

Sans compter que les chiffres avancés consternent les généralistes. “Ca sort d’où ? C’est niveau café du commerce, s’agace Christian Lehmann. Je ne peux pas lire cette lettre sans en avoir une lecture politique. C’est une reprise du discours patronal. Nous, médecins, serions les complices illégitimes d’une manipulation ? C’est insupportable. Sachant que la réalité, c’est plutôt le présentéisme. Les gens ont peur de prendre des arrêts de travail.”

D’autant que l’envoi de ce courrier intervient quelques jours après que le maire a fait part d’un plan de départ volontaire auprès des agents municipaux. La ville de 40 000 habitants en compte autour d’un millier, le maire espère en voir partir 200. “Il veut réduire les coûts à sa manière, et les salariés sont la variable d’ajustement”, regrette le Dr Engerrand. Pour cette généraliste comme pour ses confrères, le maire ferait bien de revoir sa gestion des ressources humaines s’il veut limiter les arrêts de travail. “Il y a peut-être des problèmes à gérer en amont. Quand j’ai commencé à travailler, les patients qui parlaient de souffrance au travail, de harcèlement, c’était une fois de temps en temps. Aujourd’hui, c’est plusieurs fois par semaine. A la mairie même de Poissy, il y a des gens qui ne sont pas bien…”

Echaudé, le Dr Lehmann a sollicité ses confrères de la ville pour dire le fond de leur pensée au maire de Poissy. Près d’une vingtaine ont très rapidement répondu. “Votre lettre représente une remise en cause inédite et inadmissible de notre indépendance professionnelle”, écrivent donc les généralistes dans un courrier de réponse adressé au maire ce lundi. “Quel chef d’entreprise se permettrait d’écrire aux médecins généralistes pour insinuer qu’une “vigilance accrue” serait de nature à diminuer le poids financier d’arrêts de travail de ses salariés suspectés d’être réalisés par complaisance ?” s’indignent les médecins. “La Sécurité sociale se charge déjà de “surveiller nos prescriptions” (…) parfois au-delà du supportable, (…) participant ainsi chaque jour un peu plus à la désertification médicale en cours dans les Yvelines. Cela suffit”, ajoutent les généralistes de Poissy.

Pour le moment, la mairie n’a pas donné suite à ce courrier. “Il serait normal que le maire s’excuse, au moins…”, confie le Dr Martine Engerrand. Le Dr Lehmann, lui n’attend rien. “C’est nul et non avenu. Je n’ai rien à négocier. Est-ce que je lui dis, moi, comment gérer sa mairie ? Non, j’en serais bien incapable. A chacun son métier.”

 

“S’il est communément admis que la plupart des élus font correctement leur travail…”

Parodiant le courrier du maire de Poissy, le Dr Thierry Lemoine, installé dans la Manche, a eu l’idée d’adresser, lui-aussi, ses consignes concernant les arrêts de travail.

“Monsieur le Maire,

Depuis 2007, j’ai constaté en tant que médecin une forte élévation des arrêts de travail concernant vos employés municipaux. Cette question soulève plusieurs problématiques pour mon cabinet :

– nombre d’IJ (indemnités journalières) pour vos agents supérieur à la moyenne des autres patients de mon cabinet.
– forte demande pénalisant les critères de performance fixés par la sécurité sociale
– et donc désorganisation de mon cabinet

C’est pourquoi j’ai décidé de faire de la lutte contre les mauvaises conditions de travail génératrices de pathologies une priorité au sein de mon cabinet.

Cette lutte, si elle doit améliorer les performances exigées par la sécurité sociale permettrait également d’améliorer l’attractivité du service public de notre ville en termes de qualité d’emploi.

Vous êtes de par votre fonction d’élu le maillon indispensable de la résolution des difficultés rencontrés par vos agents dans leur travail. Mais il en va de ma responsabilité de médecin traitant de vous sensibiliser davantage à l’impact de mauvaises conditions de travail sur la collectivité.

En tant que médecin, je suis amené à voir nombre de vos employés municipaux pour des problèmes médicaux nécessitant une interruption de leur travail et qui auraient peut-être pu être évités en amont.

S’il est communément admis que la plupart des élus font correctement leur travail, certains en revanche (je ne me hasarderai pas dans des notions chiffrées de peur d’être franchement en dessous de la vérité) ne respectent pas les règlementations qu’ils ont souvent en tant qu’élus nationaux contribué à élaborer. Il est donc indispensable de réduire au maximum ces pratiques que nous ne saurions, en tant que médecin, tolérer plus longtemps.

Je vous invite donc à une vigilance accrue afin d’orienter en amont vos employés dès lors que vos services auront décelé des difficultés en lien direct avec le travail : vos responsables de services sont habilités à fixer les conditions des postes de travail et ainsi contribuer à éviter des interruptions de travail rendus nécessaires par des conditions inadaptées.

Comptant sur votre collaboration,

Dr Thierry Lemoine.”

 

Arrêts Maladie – Lettre Du Maire Aux Généralistes

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier