Et si l’Aveyron avait trouvé le remède à la désertification médicale ? Ce département rural est l’un des rares à pouvoir se vanter d’avoir plus d’installations de médecins généralistes que de départs. Si des manques se font encore sentir, il semblerait que le département ait trouvé une stratégie pour attirer les internes et faire s’installer les jeunes médecins.

 

“J’aime l’exercice rural. J’ai fait trois stages dans le département pendant mes études, plusieurs remplacements ensuite. D’ici la fin de l’année, je vais m’installer dans une maison de santé où j’ai remplacé.” Le Dr Claire Marcillac a 29 ans, et son installation, elle a choisi de la faire en Aveyron.

A l’heure où la France entière cherche le moyen d’attirer des médecins généralistes, ce département rural semble avoir trouvé la recette miracle. “Le solde des départs et des arrivées était à l’équilibre en 2014. Et l’année dernière, il était même positif. Nous avons eu neuf départs et dix installations”, se félicite le Dr Didier de Labrusse, médecin généraliste et président du Conseil départemental de l’Ordre. Et sur les trois premiers mois de l’année 2016, le département a vu 8 généralistes s’installer. “On a réussi quelque chose qui n’est pas classique, confie le Dr de Labrusse dans un euphémisme. Mais ça ne s’est pas fait en un jour.”

 

’Mayonnaise aveyronnaise’

Pour expliquer cette réussite, le président de l’Ordre met en avant “une tradition forte de travail en commun des médecins du département”. Dès 2008, quand le gouvernement a commencé à valoriser le développement des maisons de santé, il en existait déjà six dans l’Aubrac, donc quatre étaient structurées en réseau. “Et deux autres étaient sur les rails”, assure le généraliste. “Tous les projets étaient regardés par un réseau informel, qui associait les structures ayant ensuite constitué l’ARS, les caisses, l’Union régionale des médecins, la préfecture, la fac de médecine de Toulouse… toutes les structures concernées. On avait appelé ça la ’mayonnaise aveyronnaise’”, s’amuse le Dr de Labrusse.

Aujourd’hui, le département compte 20 maisons de santé pluridisciplinaires et 10 autres sont en projet. “Les jeunes veulent un poste de travail médical. Ils ne veulent pas faire de secrétariat, de gestion… Ils veulent faire de la médecine sur rendez-vous. Ils viennent occuper leur poste, et quand ils ont fait leur boulot, la journée est finie”, assure le président du CDOM.

“Après mes études, j’ai remplacé pendant un an. J’ai testé différents modes d’exercice. J’ai connu un médecin qui avait un rythme très intense, qui s’est suicidé. Ça m’a fait réfléchir”, confie le Dr Fanny Morin. Agée de 38 ans, elle est installée dans l’Aveyron depuis 10 ans.”J’avais besoin d’un exercice en groupe, et d’une organisation de travail qui me permette d’avoir une vie.” Dans sa maison de santé, regroupant deux structures, travaillent neuf médecins et trois internes. “Les jeunes attirent les jeunes”, souligne le Dr Morin. Maître de stage, comme un tiers des généralistes du département, elle n’a pas eu de difficulté à trouver des remplaçants lors de ses congés maternité. D’ailleurs, les deux fois, le remplaçant a décidé de s’installer à ses côtés.

 

“Un investissement d’intérêt public”

Il n’y aurait donc aucune ombre au tableau de ces maisons de santé aveyronnaises ? Pas même des charges d’une lourdeur excessive ? “Cette histoire de charges, c’est faux. J’avais déjà un loyer, une secrétaire et du matériel informatique avant de m’installer ici. Ce qui coûte cher, c’est la qualité de travail. Pas la maison de santé”, plaide le Dr Fanny Morin. Pour celle qui a choisi de consulter 35 heures par semaine, auxquelles s’ajoutent une dizaine d’heures hebdomadaires de travail administratif, les charges représentent environ 2 000 euros par mois. Quid, alors de la coordination ? “Je dois dire que jusqu’ici, je travaillais un jour et demi par semaine bénévolement à la coordination de la maison de santé. Mais pour la première fois cette année, nous avons eu droit aux nouveaux modes de rémunération. Un financement qui peut aller jusqu’à 50 000 euros, et qui nous permet de payer une coordinatrice.”

Le département et d’autres collectivités participent au financement de ces maisons de santé. “Dès 2002, nous avions annoncé la catastrophe qui venait en termes de démographie médicale, assure le Dr de Labrusse. On a fait faire une étude qui a foutu la trouille aux élus. Avec ça, on est allés voir les communautés de communes, c’est à cette échelle qu’il faut réfléchir et pas à celle de la commune. On leur a dit : ’On ne peut pas vous garantir que vous aurez toujours un médecin, par contre, si vous ne faites rien, on vous garantit que vous n’en aurez plus demain. Vous devez financer les maisons de santé et considérer ça comme un investissement d’intérêt public, au même titre qu’un stade ou qu’une piscine.”

Organisés en association, les professionnels des maisons de santé se réunissent régulièrement et travaillent en réseau. “On travaille ensemble. On échange sur nos actions, nos projets, fait valoir le président du CDOM. L’hiver dernier, on a fait tourner un appareil de dépistage de rétinopathie diabétique dans toutes les MSP et dans les Ehpad. C’est très difficile, par chez nous, d’avoir un rendez-vous avec un ophtalmo. Mais ce dépistage doit être fait régulièrement. Alors on s’est organisés, et on a financé l’achat de cet appareil.”

 

“Ça devient tellement agréable de travailler”

Au-delà de l’organisation du travail, le Conseil général aussi s’efforce d’attirer les jeunes sur son territoire. Chaque année depuis cinq ans, l’Aveyron est le seul département à être présent le jour de la rentrée des internes à la fac de Rangueil, à Toulouse. “C’est le moment clé, on entre en contact avec eux”, souligne Chrystel Teyssèdre, qui s’occupe de l’accueil des internes et des nouveaux médecins pour le Conseil général de l’Aveyron. “Nous leur proposons une petite aide au logement, de 70 euros par mois. C’est symbolique, mais ça peut faire la différence. Nous avons aussi un partenariat avec les associations culturelles et sportives que nous finançons. Chaque semaine, elles envoient aux internes des places gratuites pour des spectacles ou des manifestations sportives. Pour les diplômés qui voudraient remplacer ou s’installer, nous avons répertorié tous les postes à pourvoir en médecine générale et nous allons commencer pour les spécialistes. Nous proposons aussi une ligne téléphonique dédiée aux problèmes qu’ils peuvent rencontrer à propos de logement, de déclaration fiscale, des démarches à faire avant l’installation…” énumère Chrystel Teyssèdre.

D’ailleurs, le département bénéficie aussi de la politique de la fac de médecine de Toulouse, qui permet à ses internes de faire jusqu’à quatre stages chez des généralistes, quand d’autres universités poussent plutôt vers l’hôpital.

Un fonctionnement qui incite même certains médecins à repousser leur départ à la retraite. “Nous avons une consœur qui continue à travailler une semaine sur deux”, confie le Dr Morin. De son côté, le président du CDOM, à 68 ans, continue de consulter un jour et demi par semaine. “A partir du moment où un vieux dans mon genre trouve un jeune successeur, il ne veut plus s’en aller. Ça devient tellement agréable de travailler”, glisse avec enthousiasme le Dr de Labrusse.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier