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“Exercer en maison de santé, c’est encore une affaire de militants”

Docteur en santé publique et en sociologie, chercheur associée à lRDES (Institut de recherche et documentation en économie de la santé), le Dr Cécile Fournier a soutenu une thèse en 2015, sur les maisons de santé pluriprofessionnelles. Elle explique pourquoi ce mode d’organisation promu par le gouvernement mais qui ne concerne que 10 % des médecins, relève encore de l’expérimentation et du militantisme.

 

Egora.fr : Quelles sont les motivations qui vous ont poussée à travailler sur l’exercice en équipe pluridisciplinaire ?

Dr Cécile Fournier : J’ai commencé il y a cinq ans environ à travailler sur l’exercice collectif en soins primaires. Préalablement, je m’étais intéressée aux questions d’éducation ou de promotion de la santé, d’accompagnement des malades chroniques, et puis je me suis rendue compte que ces activités qui étaient au départ plutôt développées à l’hôpital, dans des réseaux ou dans des structures d’aide à l’éducation, étaient en train de prendre une véritable place dans la pratique pluriprofessionnelle, dans les maisons de santé notamment ou les centres de santé.

Dans le cadre de la stratégie nationale de santé, le gouvernement s’était donné le but de couvrir le territoire de 1000 maisons de santé d’ici 2017 et l’objectif est en passe d’être atteint. Que vous évoque ce résultat ?

Dans mon travail de thèse de sociologie, pour comprendre à quels enjeux devait répondre aujourd’hui le système de santé – les maladies chroniques, les inégalités de santé – j’ai replacé ce mouvement dans son histoire. Notre système de santé a une histoire marquée par les clivages, entre l’hôpital et la médecine de ville, entre le premier et le second recours, entre les médecins et les paramédicaux, entre l’assurance maladie et l’Etat, entre la santé et le social… Et ceci est très gênant pour la prise en charge des maladies chroniques, dans l’émergence desquelles interviennent des déterminants sociaux. Du coup, les professionnels se sentent souvent démunis dans leur mode de fonctionnement actuel. Ils auraient besoin de travailler ensemble, de s’articuler autour du patient, mais notamment en médecine de ville, ils se trouvent très isolés. C’est un déterminant fort du regroupement.

Dans les maisons de santé où j’ai mené des enquêtes, on m’a parlé de l’accroissement de la complexité des prises en charge, de la pénurie de personnels dans certains secteurs défavorisés ou ruraux. Les professionnels de santé se rendent compte que leur mode d’organisation est inadapté pour répondre à ces constats. Ils ont également envie d’offrir de nouveaux soins à leurs patients, notamment des pratiques éducatives, dont ils pensent qu’elles permettront de réduire les inégalités sociales de santé. Ce que ces praticiens essaient de faire, c’est d’améliorer leurs soins et d’améliorer en même temps leurs conditions de travail, en voie de dégradation dans certains secteurs.

Qui sont les médecins qui exercent dans ces maisons de santé ? Sont-ils plutôt jeunes ?

Non, pas forcément. Les porteurs sont plutôt de médecins qui s’étaient déjà engagés dans d’autres types d’évolution de notre système de santé, notamment les réseaux de santé. Ils ont une certaine vision de la médecine générale et ils trouvent là un moyen de bâtir une médecine qui leur convient.

Les réseaux sont construits par spécialité, souvent par l’hôpital. Les médecins des maisons de santé ont à prendre en charge les polypathologies et ont besoin d’autres types de prise en charge. Ils défendent ce qu’ils appellent eux-mêmes un modèle en étoile où ils sont le pivot qui identifie des besoins très diversifiés, et qui va pouvoir tisser des liens avec d’autres acteurs susceptibles de répondre à ces problématiques complexes des patients. Le modèle n’est pas du tout le même.

Ces praticiens ont parfois exercé, 10, 20 ou même 30 ans. Ils ont des positionnements frontières, c’est-à-dire qu’ils pratiquent aussi l’enseignement, ou la recherche, ils ont parfois un engagement syndical ou municipal et ils se disent que leur rôle désormais, n’est plus tant d’offrir une très grande disponibilité dans l’offre de soins, qu’une offre nouvelle, pour attirer des jeunes et pouvoir construire avec eux et leur transmettre un mode d’exercice viable. Ce qui va leur demander une très grande énergie. C’est vrai que ce travail en équipe séduit les jeunes, mais les jeunes ne sont pas les moteurs du départ.

Aujourd’hui les maisons de santé concernent 10 % du corps médical libéral, elles sont subventionnées par le gouvernement ou les collectivités et malgré cela, les charges de fonctionnement demeurent très lourdes pour leurs occupants. Considérez-vous qu’il s’agit là d’un modèle pérenne ?

Je pense que le modèle est en train de se construire. Les subventions n’ont pas été très importantes, car elles ne sont là que pour initier une dynamique. Le financement collectif, cela représente 2 à 3 % des revenus des médecins, soit environ 50 000 euros par an pour une maison de santé de taille moyenne, abondée par l’Etat, dans le cadre des expérimentations des nouveaux modes de rémunération (ENMR). Les ENMR accordaient aux professionnels beaucoup de liberté pour construire et peu de contraintes dans la manière de dépenser l’argent. Les équipes pouvaient choisir à quels professionnels le distribuer, ou préférer l’utiliser pour financer des soins nouveaux ou la coordination par exemple. A l’occasion de la généralisation des expérimentations, après que la négociation nationale a échoué, un règlement arbitral a été mis en place par l’assurance maladie pour préserver l’existant, mais les contraintes pesant sur les modalités de dépenses de l’argent sont devenues un peu plus lourdes.

Certes, les professionnels peuvent aussi trouver d’autres types d’aides à l’investissement, mais il s’agit d’un équilibre en train de se chercher. Un premier pas a été fait, l’assurance maladie va évaluer et mesurer comment cet argent a été utilisé et ce qu’il a permis, et négocier éventuellement de nouveaux équilibres. Cette problématique sera évoquée à l’occasion de la négociation conventionnelle en cours.

Ni l’Ordre des médecins, ni les syndicats médicaux libéraux, hormis MG France, ne promeuvent les maisons de santé pluridisciplinaires, comme étant le modèle de l’avenir. N’y aurait-il pas une nouvelle fracture en train de se construire entre ces médecins qui ont une vision “santé publique” de leur exercice et les autres, plus à l’ancienne ?

On constate en effet que seuls 10 % des praticiens s’engagent dans ces transformations dont on voit bien qu’elles sont très lourdes. Mais il ne s’agit pas simplement d’une divergence entre des visions de l’exercice car tous les freins ne sont pas levés, ces transformations demandent beaucoup de temps et des conditions particulières. On a l’impression que pour l’instant, seuls les militants se sont engagés. Il faudra suivre les effets du règlement arbitral. Soit on observe un plateau sans que de nouvelles équipes s’engagent, soit les effectifs continuent à croître. On est arrivé à une sorte de tournant et il va falloir aussi mener de nouvelles études notamment auprès des professionnels qui aujourd’hui s’engagent et qui sont, je pense, différents des pionniers d’il y a quelques années, pour comprendre ce qui les motive et voir ce qu’ils arrivent à développer. Il y a un temps d’adaptation, il est probable que de nouveaux modèles vont émerger. Il nous faut un peu plus de recul.

Les maisons médicales pluridisciplinaires correspondent-elles mieux aux exigences des jeunes générations, et des jeunes femmes médecins particulièrement, qui ne veulent plus exercer la médecine comme un sacerdoce, et veulent avoir un mode de vie approchant de celui de cadres supérieurs ?

Oui. C’est une nouvelle manière de penser le métier. Cela veut dire ne plus être seul face au patient, partager la charge du service public, concilier plus facilement vie professionnelle et vie privée. C’est aussi avoir un nouveau rapport au cabinet, dont on n’est plus forcément propriétaire.

La féminisation n’est pas le déterminant le plus important, car les hommes ont autant envie que les femmes aujourd’hui de pouvoir concilier vie professionnelle et vie privée. Il y a aussi un nouveau rapport au travail. Des prises en charge à plusieurs permettent d’anticiper et d’éviter le burn out, elles contribuent à redonner du sens à la pratique. Elles créent aussi un nouvel équilibre, que je trouve intéressant, dans les relations entre les professionnels, qui deviennent moins hiérarchiques. Les médecins trouvent plus de plaisir et d’intérêt à travailler de manière équivalente avec des infirmières, des kinés, etc. Tout le monde souligne que cette diminution de la hiérarchie apporte une légèreté, un souffle d’air entre professionnels. Même si c’est loin d’être évident, et que cela met du temps à se construire. Les médecins ont souvent une pensée hiérarchique, les paramédicaux trop peu de temps ou de moyens pour s’investir dans ce genre d’aventure. Mais je considère que c’est un peu comme de redonner une dignité aux différents métiers de la santé. Toutefois, il est vrai que le renouvellement des relations, des frontières et du partage des tâches entre professionnels, ce que l’on appelle en sociologie les juridictions professionnelles, constitue une des difficultés. Mais ce sont des transformations qui sont plébiscitées par les médecins et les paramédicaux qui s’y engagent.

Quel serait, selon vous, le meilleur mode de rémunération pour appuyer ces pratiques collectives ?

Ce qu’il ressort des discussions que j’ai pu mener avec les professionnels lors de mes rencontres, c’est qu’il faudrait trouver un équilibre entre un paiement à l’acte et un paiement collectif. Car c’est ce dernier qui fait le plus bouger les pratiques, les professionnels étant obligés de se mettre d’accord sur la manière dont ils vont gérer leur budget. Des forfaits peuvent être intéressants pour certaines prises en charge. Certains médecins certifient qu’ils se sentent coincés dans le paiement à l’acte.

L’équipe pluriprofessionnelle, est-ce un concept politique appartenant à un camp plus qu’à un autre ?

On n’en est pas là. Ce qui est important, c’est de construire des réponses avec les professionnels engagés dans des environnements qui peuvent varier. Donc, de comprendre localement, quels sont les besoins et d’adapter les réponses. Ce qui est intéressant, c’est le travail que permettent ces maisons de santé avec les collectivités locales. C’est l’articulation entre politiques de santé et politiques de la ville, c’est la réponse aux besoins d’un territoire qui se construit avec les professionnels du soin et les élus locaux. Quel que soit le bord politique, l’enjeu est de créer des offres qui répondent à la problématique du territoire, et qui engagent autant que possible les représentants des usagers.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne