Au tout début du XXème, le chirurgien américain Evan O’Neill Kane est persuadé qu’une anesthésie locale est suffisante pour une opération de l’appendicite. Reste qu’il faut le prouver. Et par un merveilleux hasard, à 60 ans, il souffre d’une soudaine crise. Il prend alors la décision incroyable d’être à la fois le cobaye et le chirurgien d’une intervention historique.

 

Nombreux sont les scientifiques qui, au fil des siècles, ont mené des expériences sur eux-mêmes. La chirurgie n’a pas échappé à cette “vogue”. Au XXème siècle, les auto-chirurgies consistaient surtout à prouver l’efficacité d’une anesthésie locale pour certaines opérations. L’expérience de ce genre la plus célèbre est sans doute celle du Dr Evan O’Neill Kane, qui exerce en Pennsylvanie. En 1919, ce dernier a suscité l’admiration de ses confrères en s’amputant lui-même d’un doigt infecté. Mais c’est une autre opération, deux ans plus tard, qui lui vaudra une renommée dans tout le pays.

Evan Kane a alors 60 ans et souffre d’une brutale crise d’appendicite. Ce chirurgien d’expérience doit passer sur le billard, et pour tenir le bistouri il choisit quelqu’un de confiance : son propre frère Thomas, également chirurgien. Mais au moment d’entrer dans la salle d’opération, le malade décide de tout faire arrêter : c’est lui qui pratiquera l’intervention. L’équipe, tombe des nues et laisse faire.

 

Il s’injecte un anesthésiant

Le chirurgien-patient se prépare donc. Il fait installer de gros oreillers sous son dos, pour le maintenir en position assise. C’est lui qui réalisera l’intervention de A à Z. Quelques assistants sont quand même présents pour surveiller au cas où un incident se produirait.

Le Dr Kane procède donc à l’anesthésie. Il s’agit d’un produit mélangeant cocaïne et adrénaline qu’il s’injecte dans la paroi abdominale. Ensuite, les choses sérieuses peuvent commencer. Le chirurgien est bien rôdé à cette intervention et tout se passe sans problème sous les yeux inquiets et médusés des assistants. Une fois l’appendice enlevé, le chirurgien peut se détendre et se redresse légèrement. Mais l’abdomen est encore ouvert et une infime partie de son intestin pointe à l’extérieur. Oups… C’est un des assistants qui se charge de replacer l’organe, puis de recoudre le patient. L’opération a duré une demi-heure.

 

Le chirurgien a fait la Une des journaux

Quelques jours plus tard, Evan Kane relate son exploit dans les colonnes du New York Times. Il explique qu’il a voulu prouver qu’une telle opération “pouvait être réalisée sans que l’on ait recours à une anesthésie générale, ce qui peut donc sauver de nombreux individus qui subissent des défaillances cardiaques ou ont d’autres sérieux problèmes sous anesthésie générale”. Il ajoute que l’exemple doit aussi montrer que “si un chirurgien peut se le faire lui-même, il n’y a pas de raison que les patients aient peur qu’on les opère”.

Avec cette opération, le chirurgien a fait la Une des journaux du monde entier. Il aurait pu se satisfaire de ce moment de gloire. Mais onze ans plus tard, Evan Kane, alors âgé de 71 ans doit se faire opérer d’une hernie…

Cette fois-ci, il ne prend pas l’équipe de chirurgie par surprise et annonce la couleur : il va s’auto-opérer, encore. Et encore une fois, on le laisse faire. Un journaliste est présent dans le bloc, pour suivre l’intervention, qui là encore se déroule parfaitement bien. Le chirurgien n’hésite pas même à plaisanter avec les infirmières. “Là est le risque et je dois l’affronter”, lance-t-il quand même au moment le plus délicat. Le médecin ressortira du bloc indemne mais très faible. Il meurt trois mois plus tard d’une pneumonie.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : A.B.

 

[Avec Lemonde.fr et Histoires insolite de la science de la science et des scientifiques, de Marc Lefrançois]