Claquements de porte au comité de pilotage national du PAERPA (Personnes âgées en risque de perte d’autonomie) : l’UNPS et le Collège de médecine générale viennent de quitter l’instance pour protester contre le peu de place, de considération et de moyens accordés aux acteurs de soins primaires libéraux, dans un système conçu et verrouillé par l’ARS et les hôpitaux.

 

Le comité de pilotage national (Copil) du PAERPA (personnes âgées en risque de perte d’autonomie) peut désormais enlever des sièges autour de la table lorsqu’il se réunit. En l’espace de quinze jours, en février dernier, l’Union nationale des professions de santé (UNPS) a claqué la porte, suivie par le Collège de médecine générale, excusez du peu. “L’UNPS n’entend plus cautionner par sa présence, un dispositif qu’elle ne porte pas et dont elle ne peut que constater l’échec”, a déclaré la première. “Dans les orientations actuelles, particulièrement hospitalocentrées, nous ne souhaitons pas qu’une fois de plus, la médecine générale soit un faire-valoir en l’absence de volonté institutionnelle et politique”, a dégommé le second.

 

Pourtant, l’idée était belle…

C’est un fait : le dispositif expérimental issu de la loi de Financement de la sécurité sociale 2013, remis en selle par Marisol Touraine à l’occasion de la Stratégie nationale de santé, et du Pacte territoire Santé II, n’a pas vraiment la faveur des libéraux. Pourtant, l’idée était belle : mettre en œuvre un parcours de santé fluide et identifié des personnes âgées de plus de 75 ans en risque de perte d’autonomie, pour les maintenir autant que possible à domicile “et améliorer, sous toutes leurs formes, les prises en charge sociales et médicales, en particulier en renforçant la coordination entre acteurs et en faisant évoluer significativement les modalités d’échanges entre eux”, explique le ministère. Sur le terrain, cette coopération se traduit par la formalisation de la coopération clinique de proximité (CCP) des libéraux via un Plan personnalisé de santé (PPS) rédigé au domicile du patient. Et c’est bien là que le bât blesse.

“Ce modèle ne marche pas pour des libéraux. Il est conçu pour l’hôpital, pas pour des intervenants de ville”, lâche Daniel Paguesorhaye, le président (kiné) de l’UNPS.

Car la pratique est bien éloignée de la théorie. Un PPS est rémunéré 100 euros par an, pour la rédaction au lit du malade, et pour toute l’équipe libérale (le circuit financier pour l’hôpital lui est propre). Et le PAERPA ne prévoit rien ni pour la coordination, ni pour le suivi, au-delà du paiement à l’acte. Et c’est bien pour protester contre le manque de prise en compte de la problématique spécifique des acteurs de soins primaires, dans un modèle hospitalo-centré, piloté par les ARS, que médecins généralistes et libéraux de santé ont claqué la porte. Un péché originel qui se traduit par un manque de considération et de moyens pour le travail des acteurs sur le terrain.

Il suffit de prendre connaissance des bilans du PAERPA dans les neuf territoires de santé sélectionnés par Marisol Touraine en mai 2013 pour déployer leurs projets-pilote (Aquitaine, Bourgogne, Centre Val de Loire, Ile de France, Limousin, Lorraine, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais et Pays de Loire) pour voir que cela ne marche pas. Fin 2015, sur une cible de 189 600 personnes âgées de 75 ans et plus et 7 492 professionnels de santé, seuls 1 390 plans personnalisés de santé avaient été réalisées sur le territoire par l’ensemble des acteurs concernés (infirmiers, médecins, pharmaciens, kinésithérapeutes) recense Daniel Paguesorhaye. En Haute- Pyrénées, par exemple, le nombre de PPS était de 26 en avril 2015, de 31 en juillet 2015 et 60 fin 2015 pour un objectif de 6 000 PPS en fin d’expérimentation.

De son côté, s’accrochant à son modèle, la direction de la sécurité sociale se félicite des 2 000 personnes âgées élues au niveau national et multiplie les annonces garantes de bon fonctionnement : “permanence téléphonique assurée par les gériatres du pôle gérontologique au CHU de Bordeaux, astreintes de nuit par les infirmières d’EHPAD en Nord-Pas-de-Calais et Pays de Loire, Ile de France, Limousin et Aquitaine, dispositif de sortie d’hospitalisation renforcé en lien avec les infirmiers libéraux en Bourgogne, hébergement temporaire PAERPA et consultations de télémédecine organisées dans la totalité des territoires, etc.”

 

“On passe plus de temps à justifier pourquoi on va gagner l’argent, qu’à apporter des soins”

“Cela ne peut pas fonctionner avec nous, il n’y a pas de souplesse et aucune coordination”, insiste pourtant Daniel Paguesorhaye, par ailleurs président de la Fédération française des masseurs kinésithérapeutes. Si l’UNPS a claqué la porte, c’est qu’elle avait proposé d’expérimenter un autre cahier des charges, moins lourd administrativement et plus conforme aux attentes des libéraux de santé, dans une des quatre régions concernées par l’extension du PAERPA nouvelle génération (Bretagne, Normandie, Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Corse). Mais cette proposition a été refusée, et l’extension du PAERPA a été actée par le COPIL, le 7 mars dernier. Sans l’UNPS et sans le Collège de médecine générale.

“Le problème avec l’administration, c’est qu’on passe plus de temps à justifier pourquoi on va gagner l’argent, qu’à apporter des soins”, résume avec ironie le Dr Claude Bronner, le patron de la branche généraliste de la FMF, qui ne perd pas une occasion de fustiger ce mal français. Pas faux. “Le ministère ne pense que PAERPA, tout doit passer par là. Mais il faut avant tout favoriser les mécanismes qui obligent les professionnels à se parler, des choses simples, surtout pas un système contraignant. Et puis, il faut aussi les rémunérer. Au départ, le PAERPA partait d’une bonne base, pourtant, regrette le Dr Bronner. S’il ne marche pas, c’est qu’il est piloté par les ARS”.

Il n’est pas le seul à penser ainsi. “Nous avions proposé un modèle plus simple et plus souple. Aujourd’hui trois personnes au maximum signent le PPS, le plan est figé pour un an et il n’y a aucune coordination des acteurs libéraux, une fois le PPS signé, explique le président de l’UNPS. Nous proposons qu’il y ait plus de trois professionnels dans l’équipe, et que celle-ci soit modulable en fonction de l’état de santé du patient. Enfin, nous demandons la désignation d’un professionnel repère, qui serait rémunéré pour faire le lien avec l’assurance maladie”. Car actuellement, la rédaction d’un PPS est rémunérée 100 euros en tout, et se partage entre 60 % pour le MG et 40 % pour l’autre professionnel de santé s’ils sont deux seulement, et 40/30/30 s’ils sont trois.

 

“La seule région où ça marche”

Et pour le suivi et la coordination ? “Rien, et c’est bien le problème”, résume-t-il. “Les professionnels sont rémunérés à l’acte, et le temps passé dans les réunions de coordination téléphoniques n’est pas pris en compte”. Et comme il n’y a pas de coordination avec les Cpam, ces dernières retournent les feuilles de soins des intervenants, basées sur une clef de répartition auxquelles elles ne comprennent rien, car elles ne savent pas d’où elles proviennent.

Dans sa région du Centre “la seule région où ça marche”, le Dr Luc Duquesnel, le président de l’UNOF a trouvé le truc pour mobiliser les professionnels de santé, il a réussi à négocier une enveloppe pour le suivi, effectué par des infirmières dédiées, mais il est bien le seul.

“Le système est conçu pour les structures, hospitalières ou EHPAD. Il y a une infirmière en chef, un suivi de la mise en place. Mais il n’y a rien pour les libéraux”, regrette Serge Puysehorgaye. “Voilà deux ans qu’on leur dit, ils n’en tiennent pas compte, et lancent la phase 2 de l’expérimentation, alors que la première phase est un échec”, maugrée-t-il en prédisant que cette fuite en avant ne pourrait pas tenir la route bien longtemps dans le privé…

Philosophe, le Collège de médecine générale s’en tient à son constat, et lâche que “les parallèles ne se rejoignent jamais”.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne