Radio, traumato, urgences, médecine générale… Les praticiens de montagne sont des touches à tout de la médecine. Si le métier est passionnant, leur rémunération pose problème. Le Dr Jean-Baptiste Delay, président de l’association des médecins de montagne installé au pistes de Flaine en Haute-Savoie, nous explique pourquoi.

 

Egora.fr : Quelles sont les difficultés rencontrées par les médecins de montagnes ?

Dr Jean-Baptiste Delay : Le métier en lui-même est attractif, c’est une vraie médecine de premier recours. On fait vraiment plein de chose. La traumato c’est 40 à 60% de notre activité en fonction des cabinets et des périodes d’activités, mais on fait vraiment de tout, de la gynéco, de la pédiatrie, de la médecine générale, du suivi de patients chroniques… C’est vraiment très intéressant d’un point de vu intellectuel. Le seul souci, c’est qu’économiquement, c’est difficile.

Il y a aussi l’éloignement : dans les stations on est souvent à une heure d’une ville ou d’un hôpital. Il y avait au début la peur des urgences tout seul dans la nuit, dans un village de 1 500 habitants qui tout d’un coup se transforme en petite ville de 20 000 personnes. Aujourd’hui, depuis la mise en place des médecins correspondants du Samu, on est formé et équipé pour ça. Cela permet de mieux appréhender ce genre de moment difficile.

Ce qui pèche le plus, c’est que l’activité est concentrée sur quatre mois par an, avec des locaux qui valent très cher. Dans les stations les prix grimpent souvent autour de 10 000 euros du mètre carré. Et comme il nous faut des locaux assez grands, de 200 à 300 mètres carrés, cela devient vite exorbitant. D’autant que nous avons une patientèle de passage donc nous ne sommes pas du tout concernés par les nouveaux modes de rémunération de type ROSP. Je touche moins de 100 euros par an en prenant en compte les forfaits des personnes âgées. C’est très peu puisque je suis le médecin traitant de peu de monde. Par contre j’ai une base de données énorme. Je ne vois les gens qu’une à deux fois.

Notre matériel coûte extrêmement cher. Pour donner une idée, un appareil à radio numérisé avec l’imprimante revient entre 80 000 et 100 000 euros. Un appareil d’échographie d’occasion coûte 30 000 euros. Les brancards, les tables, les sacs d’urgences, les scopes… Tout coûte cher, alors que les cotations n’ont pas évolué, voire ont baissé depuis une quinzaine d’années. Les nomenclatures deviennent ridicules. Prenons l’exemple d’une urgence qui arrive directement des pistes. Il va falloir interrompre nos consultations pour aller accueillir le patient. Il arrive dans une coquille, il faut le décoquiller, le déshabiller, faire les radios, l’examen, mettre l’attelle, faire le compte-rendu, prévoir une IRM, lui expliquer le tout… Tout cela prend en moyenne 45 minutes pour une rémunération de 51,63 euros en secteur 1. Avec les coûts engendrés par le cabinet, ce n’est pas viable.

D’autant que tout coûte plus cher en station. Chez nous la baguette coûte 1 euro 30. J’ai débuté à Val d’Isère mais je n’y suis resté que trois ans. J’avais acheté un appartement de 47m2 que j’avais payé 500 000 euros !

Nous subissons la triple peine, nous sommes dans un endroit très cher, nous faisons une médecine très chère et nous ne sommes pas du tout impactés par les nouveaux modes de rémunération.

Vous souhaiteriez une ROSP adaptée à la médecine de montagne ?

Oui tout à fait. Nous y avons d’ailleurs travaillé avec le cabinet de Marisol Touraine. Deux médecins de Val Thorens avaient menacé d’arrêter de travailler ou de se déconventionner et il y avait eu une réunion de crise au ministère. En tant que président de l’association des médecins de montagne, j’étais monté à Paris. Nous étions soutenus par quatre députés*. Le cabinet de la ministre avait compris notre situation et nous avons proposé une sorte de rémunération sur objectifs spécifique aux stations. Finalement, ils ont adapté cette rémunération à tous les médecins à forte variation saisonnière. Cela nous allait très bien. En sortant de cette réunion, nous avions compris que cela serait une façon d’aligner nos revenus au moins à la moyenne du département. Je ne voyais pas trop comment cela pouvait se faire mais l’idée était bonne. Puis le décret est sorti, mais il est tellement complexe que seuls un ou deux médecins qui ne sont pas dans des stations mais dans des villages alentours sont concernés par ce cadre de rémunération. C’est beaucoup trop complexe et restrictif. L’idée était bonne et ce qui en est sorti est vraiment décevant. C’est complètement à côté de la plaque.

Vous touchez des aides de l’ARS ?

Pour l’instant, il n’y a que l’ARS Rhône-Alpes qui nous aide. Mes confrères des Pyrénées attendent toujours.

L’ARS nous aide à investir pour notre matériel technique. Nous avons classifié les cabinets en deux niveaux selon leur réponse médicale. Les niveaux 1 bénéficient de 24 000 euros et les niveaux 2 de 48 000 euros pour l’achat de matériel technique. Le tout, bien évidemment, sur facture. Pour nous c’est vraiment une aide intéressante. L’idée serait de la renouveler tous les trois à cinq ans pour que l’achat de matériel ne soit pas un frein pour des médecins qui n’ont pas des revenus énormes.

Quelle est votre différence de revenus entre les périodes fortes et creuses ?

De 0 à 100% ! Pour une bonne partie d’entre nous, nous ne travaillons pas dans nos cabinets à l’inter-saison. Là où je travaille, aux Carroz, qui est un village de 2 000 habitants, le cabinet est ouvert à l’année mais 80% du chiffre d’affaire se fait sur les 4 mois d’hiver, dont 50% entre les vacances de Noel et de février. Si nous avons un hiver sans neige, nous nous retrouvons avec des frais incompressibles à payer alors que nous n’avons pas fait entrer énormément d’argent. Cela peut devenir catastrophique pour nous. Nous devons mettre pas mal d’argent de côté pour nous mettre à l’abri.

En inter-saison, nous sommes ouverts de 9h à 12h puis de 15h à 19h jusqu’au samedi midi. Pour avoir un complément de revenus hors saison, je fais des rapatriements sanitaires, des visites médicales dans les collèges…

En pleine saison, nous sommes ouverts tous les jours de 9h à 19h sans interruption et le dimanche jusqu’à 18h. Mais en vrai nous ne fermons jamais à 18h ! Plus les gardes tous les soirs du 15 décembre jusqu’au 26 avril. Je travaille plus de 70h par semaine. Nous sommes une maison de santé pluridisciplinaire mais nous n’avons pas les aides des MSP parce que nous ne sommes pas ouverts jusqu’à 20h… C’est une aberration de plus faite par des gens qui ne sont même pas aux 35h et qui ne connaissent rien à notre travail.

Dans le cabinet actuel, je gagne à peu près 4000 euros nets par mois. Nous lissons nos revenus sur une année. Se dire que l’on fait se payer 51,63 euros pour une rupture du ligament croisé antérieur, alors que cela nécessite tout de même une certaine expertise, ce n’est pas très gratifiant. Des fois les patients ne comprennent pas eux même. On a les Suisses à côté, ils nous disent qu’on n’est pas cher !

 

* Sophie Dion député de Haute Savoie, Bernadette Laclais, maire de Chambéry et député de Savoie, Laurent Wauquiez, en tant que président de l’association des élus de la montagne et député de Haute-Loire, et Hervé Gaymard, président du conseil départemental et député de Savoie.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin