D’ici quelques années, les LED occuperont la quasi-totalité du marché des lampes et des luminaires. Lumière bleue très énergétique, scintillement…, les arguments s’accumulent sur l’impact oculaire mais aussi général de ces produits. Des normes plus strictes paraissent nécessaires.

 

Le développement des diodes électroluminescentes, ou LED (light emitting diode), constitue- t-il une menace pour la santé publique ? En 2010, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) avait lancé une mise en garde sur les risques de ces éclairages pour la rétine. En effet, les données expérimentales et épidémiologiques ne laissent guère de doute sur les dangers pour l’oeil de l’exposition intense à des lumières de courte longueur d’onde, comme la lumière bleue, présente dans les LED dites blanches. “On sait depuis longtemps que cette lumière bleue est plus toxique pour la rétine que la lumière polychromatique solaire”, confirme Alicia Torriglia (unité 1 138, Inserm, centre de recherche des Cordeliers). Cependant, à l’époque du rapport de l’Anses, il n’y avait encore aucune donnée sur les effets des LED sur la rétine, ce qui a conduit l’agence à lancer un appel à projets, auquel l’équipe des Cordeliers a répondu. Leur étude, menée sur des rats albinos, montre que les LED blanches utilisées en Europe entraînent une dégénérescence de la rétine dans ce modèle animal et déclenchent des processus de nécrose (Jaadana I, et al. Free Radic Biol Med 2015).

Une étude taïwanaise, menée également sur des rats albinos, avait déjà montré des lésions rétiniennes similaires, avec apoptose et nécrose des photorécepteurs (Shang YM, et al. Environ Health Perspect 2014). Mais les chercheurs avaient utilisé des LED spécialement conçues pour l’expérimentation. Les LED étudiées par l’équipe d’Alicia Torriglia sont des LED du commerce, en l’occurrence des LED blanches “chaudes”, plus orangées, parce que ce sont celles qui sont les plus utilisées en Europe. Les LED blanches, “froides”, plus bleues, sont plutôt utilisées en Asie. “Les résultats que nous avons observés seraient probablement pires avec des LED blanches froides”, note Alicia Torriglia. Le dispositif d’illumination correspondait à la luminosité d’une salle des fêtes, “donc une exposition plausible”, estime-t-elle. “Des modifications de la rétine apparaissent dès trois heures trente-quatre minutes d’exposition. Mais les rats étaient libres de leurs mouvements dans la cage. La moitié du temps, ils se cachaient. Donc la durée réelle d’exposition était moindre.” À quantité de lumière équivalente, deux jours d’exposition aux LED entraîneraient des lésions similaires à celles observées après une dizaine de jours d’exposition au néon. Le mécanisme des lésions observées ferait intervenir un stress oxydatif, présent aussi bien dans l’étude taïwanaise que dans le travail français.

 

La lumière bleue en cause

Ces résultats doivent être interprétés avec prudence. En effet, le rat est un animal nocturne, dont les photorécepteurs sont très sensibles à la lumière, et encore plus s’il s’agit de rats albinos. Pour Alicia Torriglia, le risque à craindre chez l’homme n’est pas une nécrose de la rétine mais l’altération, à long terme, de l’épithélium pigmentaire rétinien, tissu qui participe à de nombreux processus, en particulier l’apport de nutriments et le nettoyage des photorécepteurs. Les photorécepteurs s’oxydent à la lumière, et leur segment externe, qui transforme la lumière en signal électrique, s’altère et doit être renouvelé. Ils produisent donc en permanence de nouveaux segments externes, les segments oxydés étant phagocytés par l’épithélium pigmentaire. Mais au fil du temps ce processus devient moins efficace et entraîne l’accumulation de pigments de lipofuscine provenant des restes de photorécepteurs non complètement dégradés. Cette accumulation provoque le vieillissement des cellules de l’épithélium pigmentaire de la rétine et est à l’origine de la dégénérescence maculaire liée à l’âge (Dmla). De grandes méta-analyses ont bien montré que plus l’exposition cumulée à la lumière durant la vie est importante et plus il y a de risque de Dmla. Une étude in vitro menée par l’équipe du Pr José-Alain Sahel (Institut de la vision) indique que les longueurs d’onde les plus toxiques pour l’épithélium pigmentaire sont situées entre 415 à 455 nm, correspondant à la lumière bleue. “En forçant l’épithélium pigmentaire à nettoyer plus de segments dégradés, la lumière bleue risque d’accélérer le vieillissement de la cellule et l’apparition de la Dmla, résume Alicia Torriglia. C’est un risque qui va concerner avant tout les plus jeunes, car leur exposition cumulée sera importante, et leur cristallin est transparent, alors qu’avec l’âge il devient de plus en plus jaune et filtre la lumière bleue.”

Le Syndicat de l’éclairage a répondu à ces “messages anxiogènes” par un communiqué rappelant que “toutes les sources de lumière, y compris le soleil, émettent des rayonnements dans le bleu”, et que les fabricants sont tenus de vérifier que leurs produits n’en émettent pas trop, en appliquant des méthodes définies par la norme européenne NF EN 62471. “Pour observer une toxicité de la lumière bleue sur la rétine, il faut vraiment une luminance élevée, observe Christophe Martinsons, responsable de la division éclairage et électromagnétisme au Centre scientifique et technique du bâtiment (Cstb). Mais il faut être prudent car une LED de 1 mm² possède une luminance beaucoup plus élevée qu’un tube ou qu’une ampoule.”

Le rapport de l’Anses a fait évoluer les normes des produits d’éclairage, et une évaluation du risque photobiologique est obligatoire depuis fin 2015. Cette norme est passée dans la réglementation européenne, mais n’a pas encore été mise en application pour les produits sur le marché. Par ailleurs, elle ne s’applique qu’à l’émission de rayonnements optiques par le produit considéré individuellement et ne tient pas compte du fait que, dans la vie quotidienne, une personne est exposée en même temps et de manière répétée à divers éclairages, que ce soit à LED ou non. Par ailleurs, dans le cas des LED bleues, 100 % de la lumière est bien sûr émise dans le bleu. Ces LED bleues sont très utilisées pour la décoration et la mise en valeur des bâtiments. “On en voit de plus en plus dans les hôtels, dans les banques…, remarque Christophe Martinsons. Souvent, elles n’ont pas de diffuseurs. Pour les personnes qui travaillent à proximité, les expositions peuvent être importantes.” La directive européenne ROA (rayonnements optiques artificiels), publiée en 2006, donne des doses limites d’exposition au travail. “Mais il revient à l’employeur de vérifier que les salariés ne sont pas exposés au-delà de cette valeur limite d’exposition, poursuit Christophe Martinsons. Dans la pratique, il est très rare que ce soit fait. Cette directive n’est toujours pas déclinée en France.”

 

La réglementation actuelle insuffisante

Enfin, les normes de sécurité photobiologique sont fondées uniquement sur l’endommagement des photorécepteurs en situation d’exposition aiguë. “L’usage généralisé des LED va augmenter, pas forcément de beaucoup, la dose cumulée de lumière bleue reçue durant la vie. Nous avons des arguments indirects pour penser que cela pourrait augmenter la fréquence de la Dmla, même si cela n’est pas encore démontré. Cet aspect n’est pas du tout pris en compte par l’industrie de l’éclairage. Il ne faut pas être alarmiste, mais la réglementation actuelle ne suffit pas. Il faudrait avoir également une approche d’exposition globale. Le problème, c’est que vingt ou trente ans de recul seront nécessaires pour observer s’il y a une augmentation de l’incidence des Dmla, remarque Alicia Torriglia. Mais alors il sera trop tard. Nous aurons déjà un problème de santé publique.” Son équipe a pour projet de mener une étude centrée sur la physiologie de l’épithélium pigmentaire du rat, très proche de celle de l’homme.

Malheureusement, l’évolution ne va pas dans le bon sens, s’inquiète la chercheuse, car les nouvelles générations de LED sont plus bleues et aussi plus petites, “ce qui permet d’atteindre des luminosités jamais vues auparavant. Les LED sont aujourd’hui si petites qu’on en trouve dans les endroits les plus saugrenus, au bout des tubes de mascara pour faciliter l’application, dans des faux cils… La mode est aux baskets à LED. Ce type d’exposition était inimaginable avec les ampoules conventionnelles”.

 

Un effet stroboscopique dangereux

Un autre effet sanitaire potentiel important des LED est le scintillement, appelé aussi papillotement, lié au fait que le composant électronique de la LED, très petit, a très peu d’inertie et suit les fluctuations du courant d’alimentation électrique. “Les effets sanitaires sont bien connus, estime Christophe Martinsons. Cela peut déclencher des crises chez les épileptiques et provoquer nausées, maux de tête et migraine dans la population générale. Par ailleurs, un effet stroboscopique peut être créé, qui entraîne des risques d’accidents. Par exemple, une personne travaillant sur une machine tournante peut la voir s’immobiliser ou tourner à l’envers. Certains produits sont très stables, d’autres ont un taux de papillotement énorme. Il n’y a aucune norme sur le papillotement en Europe.”

De fait, la qualité des LED est très variable. “Certains luminaires ont des diodes catastrophiques, qui exposent à des niveaux de bleu très élevés ou ont un papillotement important, et rien ne permet de le savoir”, déplore Alicia Torriglia. “Les grands fabricants savent faire des bonnes LED, qui n’éblouissent pas et n’entraînent pas de risque pour l’oeil, mais beaucoup de fabricants de luminaires ont importé d’Asie des LED très mal faites”, constate Christophe Martinsons. De manière générale, il faut être méfiant lorsqu’il n’y a pas de diffuseur de lumière et que l’on voit la LED directement. Un moyen simple pour le consommateur de détecter le papillotement, c’est de filmer la lampe avec l’appareil photo de son téléphone. En cas de papillotement anormal, on peut voir des barres noires parce qu’il y a une interférence entre la fréquence de papillotement et la fréquence de l’image sur le téléphone.

Selon Alicia Torriglia, les pouvoirs publics sont conscients des soucis que posent les LED. “Plusieurs ministères s’en inquiètent et essaient de faire bouger les choses. Il ne faut pas interdire les LED, qui permettent des économies d’énergie fantastiques, mais il faut les améliorer. On pourrait très bien faire des luminaires qui donnent une lumière adaptée, mais cela reviendrait plus cher”. Une nouvelle expertise de l’Anses est en cours, qui devrait recommander une évolution des normes.

 

Des nuits bleues

Les LED sont également présentes dans les écrans de télévision, smartphones, tablettes et ordinateurs, pour assurer le rétroéclairage et diminuer la consommation d’électricité. La luminosité émise dans ce cas est probablement trop faible pour entraîner des problèmes oculaires. En revanche, elle est susceptible de modifier les rythmes circadiens. Une étude (Chang AM, et al. Pnas 2015) a montré que la lecture d’un livre électronique, avec une lumière tamisée, pendant environ quatre heures avant le coucher, entraîne une baisse de l’activité delta/thêta sur l’EEG, par rapport à la lecture d’un livre imprimé, et la disparition du pic de sécrétion tardive de mélatonine. Elle avait pour conséquence une diminution de la sensation de sommeil, une augmentation du temps d’endormissement et une baisse de la vigilance matinale.

 

Des oedèmes conjonctivals

Les LED ont-elles également des effets sur les autres tissus de l’oeil ? « Nous n’avons pas vu d’altération du cristallin ou de la cornée, répond Alicia Torriglia. Mais ce n’est pas étonnant, puisque le pic d’émission des LED est souvent aux alentours de 440 ou 445 nm. Or la cornée absorbe les rayons seulement au dessous de 400 nm et le cristallin au-dessous de 400 ou 420 nm. Donc les rayons ne font que les traverser, sans les endommager. En revanche, une nouvelle génération de LED pourrait poser problème, parce que le pic de longueur d’onde est beaucoup plus bas, aux alentours de 380 nm. Nous avons constaté que les premières heures d’exposition provoquaient un chémosis (oedème conjonctival) transitoire chez les rats. Des ophtalmologues m’ont dit qu’ils avaient vu des effets similaires chez des éclairagistes ou des personnes utilisant des panneaux à LED sans filtre. »

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Chantal Guéniot