Médecin généraliste et urgentiste pour une association libérale de permanence des soins dans le Val de Marne (94), le Dr Régent Vappou vient de subir sa sixième agression dans le département. Hélas connu des medias, courageux mais dégouté, il s’accroche à une activité que presque plus personne ne veut faire. Mais il a rayé de sa tournée les six endroits où on l’a agressé, caillassé et volé.

 

 

Egora.fr  : Que s’est-il passé dimanche dernier, alors que vous vous rendiez au domicile d’une patiente ?

Dr Régent Vappou : Vers 3 h 30 du matin, j’ai été appelé par le Samu qui m’a demandé d’intervenir auprès d’une patiente de 74 ans qui avait fait un malaise vagal à L’Haÿ-les-Roses. Elle avait déjà été examinée par les pompiers qui ont demandé le passage d’un médecin. En sortant de mon véhicule alors que je cherchais l’entrée du bâtiment sur le parking, deux individus se sont approchés de moi. Un m’a ceinturé par le cou et l’autre s’est précipité pour essayer d’arracher ma mallette. Comme je ne la lâchais pas, ils m’ont projeté à terre et roué de coups de pied au visage et à la tête pour que je lâche. J’ai crié que j’étais médecin et qu’il n’y avait rien dans cette mallette qui pouvait les intéresser, mais ils continuaient à me frapper. Au bout d’un moment, la mallette s’est ouverte, il ont vu qu’il n’y avait que du matériel médical et ils se sont enfuis. Je suis revenu titubant, et j’ai réussi tant bien que mal à appeler les secours. Le camion de pompiers et la police sont arrivés très vite, dans les cinq minutes, alors que la dernière fois, lorsque j’avais été agressé par trois individus, ils avaient bien pris une demi-heure pour venir.

C’était dans le même secteur géographique ?

Non, c’était à Vitry sur Seine (un reportage de BFMtv sur cette agression est toujours visible sur Youtube). Je m’étais fait agresser devant l’interphone, par trois jeunes cagoulés arrivés par derrière, qui ont commencé à me frapper alors que je criais que j’étais médecin. Les habitants ont entendu, ils ont ouvert leurs fenêtres et se sont mis à crier pour qu’ils arrêtent leur attaque. Au bout d’un moment, les cagoulés sont partis.

Vous connaissez le quartier depuis longtemps ?

J’ai fait pas mal de visites dans ce quartier, il ne me semblait pas difficile d’autant plus qu’il venait d’être rénové. J’ai 44 ans, je suis marié, j’ai un bébé de 2 ans. L’année dernière lorsque je me suis fait attaquer, mon bébé avait 11 mois. Quand je pense que je suis venu chez ces jeunes pour les soigner d’une varicelle ou que sais-je quand ils étaient petits, et que maintenant, ils m’agressent pour me voler ! Quand ils m’ont projeté par terre, moi, j’ai été projeté un an en arrière et je me suis dit que c’était la même chose. Rien n’a été fait. Il y a un an, mon agression avait fait le buzz, j’avais été invité au “Magazine de la santé” de Michel Cymes et Marina Carrère d’Encausse, BFM a fait un sujet sur les lieux de l’agression, M6 m’a suivi en visites. Et rien n’a changé.

A quel titre intervenez-vous la nuit ?

Je suis médecin urgentiste. J’interviens dans le cadre de la permanence des soins, pour l’association Médecins à domicile 94, puisque SOS médecins n’intervient plus dans le Val de Marne, à cause de l’insécurité. Autrement, je suis installé en cabinet à Vitry sur Seine.

Vous avez déclaré au Parisien que vous ne ferez plus de visites de nuit…

Plus de visites de nuit dans les cités où j’ai été agressé. C’est le cas dans une cité où je ne vais plus, pareil pour une autre où ma voiture a été caillassée. On a tenté de m’étrangler à Villejuif, là non plus, je n’y vais plus. A Arcueil on a cassé ma voiture, à Champigny sur Marne, on a arraché ma mallette et je n’y mets plus les pieds non plus. Mais j’interviens toujours à L’Haÿ-les-Roses.

Et vous continuez toujours à faire des visites de nuits ? Quel courage !

Si je n’y vais pas, qui y va ? Il n’y a plus personne. Le soir de ma dernière agression, j’étais le seul à pouvoir intervenir.

Combien d’appels par nuit en moyenne, et combien par mois ?

Entre douze et quinze appels par nuit et une quinzaine de nuits par mois.

Et la municipalité ne vous propose aucune protection complémentaire, un vigile qui vous accompagne, un chien, un système de géolocalisation ?

Déjà, il y a entre deux et quatre heures de délai par appel, si je dois appeler à chaque fois pour que quelqu’un vienne m’accompagner, imaginez à quel point le délai de réponse va être rallongé ! Ce n’est pas réalisable, pas possible vu le nombre d’appel qu’on reçoit, les appels annulés… On ne peut pas faire venir la police à chaque fois.

Ce qui aurait été le mieux, c’est des caméras de surveillance qui permettent de bouger en se sentant sécurisé. Le conseil de l’Ordre nous avait équipé de bips, mais il faut le sortir, appuyer dessus pour qu’il envoie un signal de détresse au centre 15. Le médecin régulateur nous rappelle sur notre portable, je dois donc lui répondre avec mon portable. Si je suis en train de me faire attaquer, la simple vue de mon smartphone peut faire redoubler les coups des assaillants, pour me le voler… Lors d’une agression, on n’a pas le temps de lancer un signal de détresse, puis sortir le téléphone pour répondre…

Avez-vous une solution ?

Il n’y en a pas. On va vers une médecine où les gens devront se rendre par leurs propres moyens à l’hôpital pour se faire soigner. Il n’y aura plus de médecins à domicile. J’étais seul médecin de garde le soir de cette agression, j’étais auparavant dans une autre association où nous étions 16 au début, et plus que 2 lorsque je suis parti. L’Ordre m’a conseillé de porter plainte. L’an passé, je suis resté 4 heures au commissariat, 2 heures à l’hôpital. Encore une perte de temps, pour quel résultat ? Pour cette agression, j’ai aussi déposé plainte, mais à quoi bon ?

Vous allez rester dans cet endroit ?

Je continue ma garde, à faire mes visites de nuits. Mais je ne suis pas fou : je refuse désormais d’aller dans les lieux de ces six agressions.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne