Aider les médecins réfugiés à s’y retrouver dans le dédale administratif français pour décrocher l’équivalence de leurs diplômes, les épauler pour apprendre le Français, leur trouver des stages… Chef de service de médecine tropicale à l’hôpital Avicenne à Paris, le Pr Olivier Bouchaud préside l’APSR, une association d’aide aux médecins réfugiés. Il raconte.

 

Egora.fr : L’association d’accueil aux médecins et personnels de santé réfugiés en France (APSR)* est née en 1973, à la suite du coup d’état au Chili. Qui sont aujourd’hui les réfugiés à qui vous venez en aide ? Quelles sont leurs nationalités ?

Pr Olivier Bouchaud : Historiquement, notre association avait été mise en place spécifiquement pour les professionnels de santé réfugiés du Chili, mais depuis 2015 – 2016, 50 % des professionnels de santé viennent de Syrie et d’Irak. La crise syrienne et moyenne orientale a poussé nombre de ces populations à sortir de leur pays. Les autres réfugiés viennent d’un peu partout, pas mal d’Afrique. Il y a essentiellement des médecins, mais aussi des sages-femmes et des infirmières et même quelques vétérinaires.

Comment leur venez-vous en aide ?

Notre rôle consiste à les aider à exercer leur profession dans le cadre de notre législation française assez complexe et qui leur fait traverser un maquis administratif compliqué à intégrer pour des gens qui ne sont pas du tout habitués à notre système. Nous voulons les aider à obtenir une équivalence de diplôme pour qu’ils puissent exercer en France. Mais nous essayons avant tout de leur apporter un soutien psychologique en leur expliquant que le processus est long, compliqué, mais qu’on peut y arriver. On les épaule pour trouver des solutions leur permettant d’apprendre ou de perfectionner le Français, sachant qu’une maîtrise suffisante du Français est la condition sine qua non posée pour avoir une équivalence de diplôme : il y a des barèmes, il faut avoir au moins le niveau B2, qui correspond à un Français quasiment courant. Ensuite, ils doivent passer un examen d’évaluation des connaissances, puis effectuer trois ans de stage dans des hôpitaux publics et ils peuvent enfin passer le concours d’équivalence de diplômes pour praticiens à diplômes étrangers.

Un concours très sélectif…

Il y a deux types de concours, celui qui est réservé aux réfugiés est un peu plus facile d’accès. Il suffit d’avoir la moyenne à l’examen. Pour les non réfugiés, il y a un numerus clausus, et il faut être parmi les tout premiers pour gagner cette équivalence de diplôme.

Ce parcours du combattant est-il facilement admis ?

Pas toujours, mais les réfugiés s’y résolvent. Ils sont bien conscients qu’aucun autre pays n’accepterait de les laisser exercer sans évaluation de leurs connaissances et possession d’un diplôme attestant qu’ils ont un niveau équivalent à celui des médecins formés localement. Ce qui est difficile pour eux, c’est la complexité administrative, le temps que cela prend et l’impression de ne pas être très bien reçus. Il y a notamment un blocage, un goulet d’étranglement très important qui réside dans la difficulté à obtenir des stages rémunérés. Il faut qu’ils trouvent des postes vacants dans des services validant pour les spécialités, au même titre que les internes. Et même si la loi autorise à prendre ces réfugiés beaucoup de directeurs d’hôpitaux, soit par méconnaissance de la loi, soit par peur de prendre des risques, refusent de les salarier, au prétexte qu’ils ne sont pas inscrits à l’ordre.

C’est là que vous intervenez…

Oui. Nous appelons les responsables administratifs en expliquant ce que la loi autorise, nous appelons des chefs de service, mais ce n’est pas toujours facile à gérer.

Alors que la France manque de médecins, c’est tout de même un peu étrange…

C’est très paradoxal. Mais il faut aussi regarder les choses en face. Certains médecins à diplômes étrangers ont un niveau plus faible ou trop faible et on peut trouver normal d’hésiter à les prendre en charge, mais pour d’autres ce n’est pas du tout le cas. D’une manière générale, les professionnels de santé qui ont exercé en Irak et particulièrement en Syrie sont très bien formés, ils ont un niveau médical qui n’est pas très éloigné de celui que l’on a en Europe. Cela paraît donc paradoxal de freiner l’accès à des postes à des gens a priori compétents et bien formés alors qu’on en a un grand besoin, notamment dans certains hôpitaux généraux de certaines de zones de France que l’on associe aux déserts médicaux. Il y a une perte de chance pour les populations, qui doivent parcourir de longues distances pour être soignés, ou risquent d’avoir affaire à des médecins surmenés qui n’ont pas forcément la compétence requise.

Que se passe-t-il pour les candidats médecins qui n’ont pas le niveau ?

Il y a trois filtres : l’évaluation des connaissances, les trois ans de pratique en compagnonnage, sous la responsabilité d’un maître de stage et enfin, l’attribution de l’équivalence du diplôme. Ce sont donc trois moyens de bloquer une personne qui n’est pas au niveau. Si tel est le cas, elle sera recalée au concours final, qu’elle pourra repasser trois fois.

Et si au final, cela se traduit par un échec ?

Un médecin pourrait prendre un poste d’infirmier, mais à condition d’avoir suivi au préalable, une formation dans un institut de formation aux soins infirmiers, et de passer un examen.

Votre association a-t-elle les effectifs suffisants pour assumer une charge qui s’alourdit ?

Nous fonctionnons avec une salariée et des bénévoles. On arrive à peu près à faire face à la demande et si le nombre de réfugiés augmente trop, nous recourrons à des bénévoles supplémentaires. Notre difficulté est liée à la suppression, il y a trois ans, de toutes nos subventions. Cela menace la pérennité de l’APSR, le poste de notre seul salarié et nous plonge vraiment dans la difficulté, avec le risque de remise en question de tout le travail qui a été fait pour aider ces professionnels de santé.

En tant que citoyen, quel regard portez-vous sur la crise migratoire actuelle et la réponse que l’Europe y apporte ?

En tant que simple citoyen, à titre personnel, je pense que l’Europe rate un rendez-vous, non seulement de solidarité, mais qui pourrait lui être utile. L’Europe vieillit, on a besoin de flux migratoires extérieurs pour compenser le vieillissement de la population. C’est peut être un petit moins vrai en France du fait de notre forte natalité, mais ce n’est pas pour rien qu’en Allemagne, la Chancelière allemande a saisi l’occasion d’accueillir de nombreux réfugiés et de leur offrir du travail. Je pense que cette asymétrie européenne n’est pas très saine et que tout le monde aurait gagné à ce qu’une politique globale d’accueil contrôlé se mette en place, dans le but qu’une majorité d’entre eux puisse retourner dans leur pays d’origine une fois que les conflits se seront calmés. Mais nous assistons à cette situation que je trouve pitoyable pour l’Europe.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine le Borgne

 

Association d’accueil aux médecins et personnels de santé réfugiés en France (APSR). Hôpital Sainte-Anne, Pavillon Piera Aulagnier, 1, rue Cabanis, 75 014 PARIS. Tél. 01.45.65.87.50 ou 01.53.80.28.19. apsrparis@yahoo.fr