L’Inspection générale des affaires sociales (Igas) vient de rendre son rapport sur les effets du valproate de sodium sur les femmes enceintes. Elle pointe du doigt le manque de réactivité des autorités sanitaire en matière d’information. Mais que s’est-il passé dans les autres pays ? Où est la défaillance française ? A l’ANSM (Afssaps) et/ou chez Sanofi qui commercialise cet antiépileptique ?

 

L’IGAS a été saisie par la ministre des affaires sociales et de la santé, le 22 juin 2015, d’une mission d’enquête sur les spécialités pharmaceutiques contenant du valproate de sodium (Dépakine, Dépakote, Dépamide, Micropakine et génériques). Son rapport a été publié le mardi 23 février. Bien que le risque tératogène (malformations du foetus, retards neurodéveloppementaux) soit suspecté puis établi depuis les années 1980, l’intérêt du médicament dans le traitement de l’épilepsie a parfois justifié la poursuite de son emploi lors de grossesses.

Une réévaluation européenne du rapport bénéfice/risque de ces médicaments chez les femmes en âge de procréer a été achevée en décembre 2014. A la suite de cette réévaluation, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a communiqué de nouvelles règles de prescription de ces spécialités aux médecins le 26 mai 2015. Cette décision semble tardive par rapport à beaucoup d’autres pays européens comme en témoigne l’enquête de l’Igas.

 

La France n’est pas au nombre des pays les plus réactifs

Les experts soulignent que dans une approche comparative, la France n’est pas au nombre des pays les plus réactifs. “En ce qui concerne l’information des patients, la France parait isolée au regard des pratiques d’autres États membres comme le montrent les notices d’autres pays européens consultées par la mission pour les années 2003-2004. En effet, aucune précision sur la nature des risques encourus n’intervient en France avant la modification de juin 2010. A cette date, l’information donnée reste peu détaillée. En 2004, il est simplement indiqué la nécessité de consulter son médecin et de ne pas arrêter le traitement brutalement”, écrivent les rapporteurs. En 2006, il est écrit que “l’utilisation du valproate est déconseillée tout au long de la grossesse et chez la femme en âge de procréer sans contraception efficace”.

Le rapport de l’Igas souligne qu’au Royaume-Uni, en Allemagne, en Belgique et en Irlande, les notices pour les années 2002, 2003 et 2004 précisaient les risques malformatifs en fournissant des informations détaillées, décrivant les malformations en question, et notamment les défauts de fermeture du tube neural. Pour les rapporteurs, “cela traduit le fait qu’en France, la culture en matière d’information des patients par les autorités sanitaires, mais aussi par les prescripteurs, ait résisté, contrairement à d’autres pays européens, au changement normatif intervenu en 1992, qui établissait le principe de conformité du RCP et de la notice, et aux attentes nouvelles des personnes malades, qui requéraient une information plus complète, nécessaire à leur libre consentement”. C’est seulement après 2006 que l’information relative à Dépakine évolue sensiblement, les autorités sanitaires prenant conscience du risque comparé du valproate de sodium face aux alternatives thérapeutiques. Des modifications du RCP et de la notice ont lieu en 2010 et en 2013, mais demeurent, pour les experts insuffisante, notamment parce qu’il n’est pas avéré que ces modifications aient eu un impact sur l’information effective et les pratiques des prescripteurs.

 

Le rôle de l’Afssaps/ANSM

Ce n’est qu’à la suite de travaux menés par l’Agence européenne du médicament, dont les conclusions ont été rendues en décembre 2014, que l’ANSM a communiqué aux médecins de nouvelles règles de prescriptions en mai 2015. Mais l’ANSM dément tout retard. “Le risque de malformation est mentionné dans la première AMM, en 1986, et le risque de retard mental, avéré depuis 2005, a donné lieu à une révision de l’AMM dès l’année suivante”, indique Dominique Martin, le directeur de l’agence. “Auparavant de nombreux spécialistes pensaient que les problèmes constatés chez les enfants étaient une conséquence de la maladie et non du traitement.”

Mais l’information délivrée aux patientes et aux prescripteurs ne semble pas avoir été suffisante. “Le problème, ce n’est pas l’absence d’informations, mais leur non-diffusion”, regrette Dominique Martin, interrogé par Egora le 30 novembre 2015 : “Nous avons mis en place, à la suite de l’arbitrage européen, de nouvelles conditions de prescription et de délivrance. Ces conditions résident d’une part dans une primoprescription faite par un spécialiste neurologue, psychiatre ou pédiatre, et d’autre part dans un consentement cosigné par le patient et le prescripteur. Or, nous venons de faire une enquête auprès des pharmacies pour préciser la mise en oeuvre de ces nouvelles mesures, qui sont applicables depuis le mois de mai 2015. Et le résultat est édifiant : dans 94 % des cas, ces nouvelles conditions de prescription et de délivrance, et notamment le consentement écrit, ne sont pas appliquées. Pourtant, tout le monde est sensible au sujet, il y a une procédure en cours, et l’information ne peut avoir échappé aux médecins. Nous voyons donc que nos messages n’ont pas été intégrés alors que les praticiens ont reçu des documents les informant des nouvelles modalités de prescription. Nous avons là un vrai obstacle à franchir parce que cette situation n’est évidemment pas satisfaisante. La responsabilité de l’Ansm est engagée.”

 

Le rôle de Sanofi

Le rapport de l’Igas conclut que les patientes traitées avec de la Dépakine ont été informées trop tard des risques liés à la consommation de ce médicament pendant la grossesse. Il critique le “manque de réactivité” non seulement des autorités sanitaires mais également du laboratoire Sanofi, qui a longtemps minimisé les effets d’une exposition in utero. Les rapporteurs notent que “les données de la base de pharmacovigilance de Sanofi en matière d’exposition des femmes enceintes apparaissent limitées.” Sanofi “considère en mars 2014 qu’aucune mesure de minimisation du risque n’est nécessaire, y compris en matière d’information.”. Le laboratoire se défend et assure avoir toujours été “proactif” pour informer sur les risques liés à la Dépakine “et respecté nos obligations d’information auprès des professionnels de santé et des patients”. Sanofi rappelle avoir proposé dès 2003 une modification des documents mais les autorités ne l’auraient pas validée.

 

Des enjeux complexes pour un médicament parfois incontournable

Enfin, des neurologues soulignent que Dépakine est incontournable chez certaines patientes. Ainsi, Stéphane Auvin, neuropédiatre à l’hôpital Robert Debré (Paris) et spécialiste de l’épilepsie, expliquait au journal Le Monde (26 février 2016) la complexité des enjeux liés à cet anti-épileptique critiqué depuis plusieurs années pour ses effets délétères sur les enfants exposés in utero, mais indispensable à de nombreux patients. “Cela fait des années que les neurologues mettent en garde leurs patientes. Elles doivent être informées le plus tôt possible afin de faire un choix éclairé”, explique le spécialiste, qui regrette toutefois le manque de neurologues dans la prise en charge des épileptiques. “Bon nombre de patientes sont suivies par leur médecin généraliste, dont les connaissances sur certains sujets spécialisés comme celui-ci ne sont pas toujours à jour.” Le Dr Auvin juge impossible de contre-indiquer le traitement chez la femme en âge d’être enceinte. “Chez certaines patientes, c’est le seul médicament qui marche”.

La Dépakine est commercialisée en France par Sanofi depuis 1967, et sous forme générique par d’autres laboratoires. Les prescriptions de valproate de sodium aux femmes en âge d’avoir des enfants (15-49 ans) ont baissé de 25 % entre 2006 et 2014. Leur nombre est passé de 125 000 à 93 000, dont 56 000 pour des troubles bipolaires et 37 000 pour de l’épilepsie. En extrapolant des données obtenues dans la région Rhône-Alpes à la France entière, l’IGAS estime qu’entre 425 et 450 bébés exposés in utero au valproate de sodium sont nés avec une malformation entre 2006 et 2014. Il faudra cependant attendre le mois de mai pour avoir une “mesure plus précise de l’impact des prescriptions de valproate sur la descendance des femmes exposées”, précise l’IGAS.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Philippe Massol