Egora a résumé l’évolution de la médecine libérale sur une quarantaine d’années. Et, contrairement aux accusations constamment portées d’immobilisme, ce panorama démontre bien à quel point cette période fut loin d’être un long fleuve tranquille pour les médecins libéraux.
Avec le recul, cette histoire contemporaine révèle la trace de plus en plus prégnante de l’assurance maladie dans la vie des praticiens, ainsi que l’émergence d’un acteur désormais incontournable : le patient. La féminisation de la profession ne cesse de prendre de l’ampleur, parallèlement à la crise qui touche la médecine générale et la médecine libérale.
Ironie de l’histoire, la profession réclame aujourd’hui un “Grenelle” de la médecine générale et des remèdes contre la désertification médicale quand, en 1996, elle négociait avec la CNAM, un mécanisme de reconversion des médecins libéraux, ou, avec la CARMF, des modalités de départ anticipé à la retraite, pour soigner la pléthore médicale, et les comptes de la sécurité sociale.
1980. Sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, Raymond Barre étant premier ministre, nait la première convention médicale comportant un secteur à honoraires libres, signée initialement par les trois caisses nationales et la FMF. Destinés initialement à faire revenir dans le bercail, les nombreux médecins hors convention (ce qui fut réalisé), les honoraires libres n’ont cessé de prendre de l’ampleur, parallèlement à la montée en charge de l’impératif de maitrise des comptes par l’assurance maladie, dont les déficits structurels continuaient à croître. Avec les honoraires libres, nait l’enveloppe globale.
Cette convention à double secteur générera, en 1981, l’émergence du Syndicat des médecins libéraux (reconnu représentatif en 1994 des spécialistes et en 2002 des généralistes), construit pour défendre les intérêts spécifiques des praticiens libéraux de secteur 2.
1981. L’élection de François Mitterrand. Dans ses “110 propositions pour le changement”’, figure la construction de centres de santé partout en France, et la suppression de l’Ordre des médecins. Jack Ralite le ministre de la Santé communiste, nommé dans le cadre de l’union de la gauche, fait trembler les libéraux. Il redonne un peu d’oxygène au numerus clausus, instauré en 1971.
A partir de 1982. D’intenses mouvements se mettent en place autour de la médecine générale, qui se cherche une représentation hors des centrales pluricatégorielles. Le Dr Nicole Renaud, lance le MAG (après le congrès de médecine rurale de Rodez, l’appel des 10, le schisme avec la CSMF…). En 1984, l’UNOF (Union nationale des Omnipraticiens français) est créé au sein de la CSMF, dont la présidente sera le Dr Antoinette Vienet. En 1986 nait MG France qui sera reconnu représentatif en 1989 par Claude Evin, ministre des Affaires sociales. Il se donne la mission d’offrir toutes ses lettres de noblesse à la spécialité, en commençant par l’enseignement et la recherche. Au bout de cette très longue route, le CES de médecine générale sera mis en place en 2004. Période durant laquelle, on notera que près d’un interne en médecine sur deux, est une femme.
1990. La loi Teulade spécifie que la convention médicale doit être signée séparément par des généralistes et des spécialistes. Elle crée les Unions régionales de médecins et introduit la notion de “références médicales nationales”’.
La convention médicale 90, unique, acte la fermeture de l’accès au secteur 2 pour tous et le réserve aux anciens chefs de cliniques-assistants des hôpitaux. Elle indemnise la Formation médicale continue (FMC), et prend en charge pour les praticiens du premier secteur, les cotisations sociales d’allocation familiale, en sus de celles d’assurance maladie et de vieillesse. En 1991, Claude Evin met en place une enveloppe globale pour la biologie, un taux directeur des dépenses de remboursement d’assurance maladie et jette 150 000 médecins dans la rue.
Sous l’impulsion de MG France tout juste représentatif, un avenant conventionnel crée le médecin référent (rémunération par patients inscrits qui bénéficient d’une dispense d’avance de frais), très vivement rejetée par les médecins spécialistes. Elle sera annulée par le Conseil d’Etat car elle n’a pas été signée séparément par des syndicats représentants des généralistes, et des spécialistes.
1994. Les premières élections aux Unions régionales de médecins libéraux (URML). Elles se transformeront, sous l’effet de la loi Hôpital, patients, santé et territoire, de 2009, en Unions régionales de professions libérales (URPS).
1995. Ce sont les ordonnances et Plan Juppé. Ces textes créent notamment l’Objectif national d’évolution des dépenses de santé (ONDAM), et mettent les médecins à l’amende pour renflouer le trou de l’assurance maladie. C’est le début d’une guerre d’usure entre le pouvoir et les médecins. Seul syndicat à faire bande à part, MG France coopérera avec la gouvernance réformée de l’assurance maladie, désormais pilotée par la CFDT, après plus de 20 années de règne sans partage de Force ouvrière.
Un mécanisme de cessation anticipé d’activité (MICA) est mis en place pour “dégraisser”, contre de solides indemnités, dès 55 ans, une population médicale libérale jugée pléthorique.
1997. Signature de la première convention spécifique à la médecine générale, entre les caisses et MG France. Les spécialistes continueront d’être régis par un règlement minimal arbitral jusqu’en 2005.
1998. Lancement de Sesam-Vitale. Début de l’informatisation des assurés et des cabinets à marche forcée.
2001. C’est le début d’un conflit historique pour le C à 20 euros et la visite à 30 euros, et le refus de l’obligation de la permanence des soins. Période très agitée, illustrée par des grèves de la permanence des soins et une couverture du territoire inédite par des coordinations, débordant les syndicats représentatifs. Ces revendications ne seront officialisées par un accord ad hoc qu’après le changement de président de la République, en mai 2002, signé par le ministre de la Santé, Jean-François Mattei, qui marque la fin de l’obligation de permanence des soins.
2002. La loi Kouchner relative au droit des malades et votée. Elle instaure l’ONIAM, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, et fédére les associations de malades qui auront dorénavant voie au chapitre dans les instances officielles.
2004. La loi de réforme de l’assurance maladie créant le concept de maîtrise médicalisée, le médecin traitant, le parcours de soins, le Dossier médical partagé (DMP), et changeant radicalement la gouvernance de la CNAM, dont le directeur est désormais seul maître à bord face à son conseil constitué de représentants syndicaux et de personnes qualifiées. Mais le DMP, qui devait générer des dizaines de millions d’économies en chassant les doublons et les gaspillages ne sortira pratiquement pas de terre, malgré une facture estimée par la Cour des comptes à près d’un demi-milliard d’euros d’investissements et expérimentations régionales. La loi Douste-Blazy donnera naissance à la convention médicale de 2005, signée par la CSMF, le SML, Alliance et les trois caisses d’assurances maladie. La loi de Santé promulguée en décembre 2015, donne la gouvernance du DMP à la CNAM.
2009. La Loi hôpital, patients, santé et territoires (HPST), de Roselyne Bachelot, crée les ARS, intronise la médecine de proximité et établit les maisons de santé pour lutter contre les affres de la désertification médicale et tenter de rediriger les jeunes vers la médecine générale, délaissée. La loi Bachelot met également en place le Développement personnel continu (DPC), les URPS (Unions régionales des professions de santé), confie la permanence des soins aux ARS et instaure les élections professionnelles en trois collèges (médecins généralistes, spécialistes à plateaux techniques et autres spécialistes).Ses aspects les plus rejetés par la profession qui crie à l’étatisation du système de santé seront corrigés par la loi Fourcade. Le C reste bloqué. En avril 2010, un mouvement tarifaire se met en place.
La convention sera dénoncée par la CSMF et le SML en 2011. Le C passe à 23 euros en janvier 2011.
2011. La nouvelle convention crée la rémunération sur objectif de santé publique (ROSP, ex P4P), qui procurera une source de revenu forfaitaire supplémentaire aux médecins généralistes. En faillite chronique, l’ASV sera maintenu hors de l’eau au prix d’une substantielle augmentation des cotisations et d’une réduction des prestations.
2012. L’avenant N° 8 à la convention, réforme le secteur 2 à honoraires libres en limitant le montant des dépassements, et crée le contrat d’accès aux soins, qui offre une prise en charge partielle des cotisations sociales aux praticiens en honoraires libres qui acceptent de limiter drastiquement leurs dépassements et exercer en honoraires stricts sur une partie de la patientèle.
Une proposition de loi Leroux, tente d’autoriser les réseaux de soins mutualistes à contractualiser avec les médecins libéraux. Les internes et les chefs de cliniques se mettent en grève dans les hôpitaux pour protester contre cette mesure, tandis qu’à l’appel du BLOC et des cliniques privées, des milliers de médecins généralistes et spécialistes manifestent à l’hiver 2011-12 pour la rejeter. Cela ne sera pas voté.
Le gouvernement Ayrault annonce la Stratégie nationale de Santé.
2013. Le Pacte santé territoire de Marisol Touraine (1 et 2), se donne l’ambition de lutter contre la désertification médicale en créant des maisons de santé, des contrats de praticiens territoriaux de médecine générale, des bourses aux études.
2014-15. Début du conflit autour de la future loi de Santé, qui instaure notamment le tiers payant généralisé. 150 000 personnes se retrouvent dans les rues de Paris pour lutter contre ce projet de loi, tandis que des coordinations partout en France organisent des Journées santé mortes, ou des actions d’éclat.
Les élections aux Unions professionnelles donnent un bonus aux syndicats les plus revendicatifs, FMF, LE BLOC notamment, qui viennent mordiller les mollets de la CSMF et MG France.
2016. Le Conseil constitutionnel invalide partiellement le tiers payant généralisé.
Source :
www.egora.fr
Auteur : C. L B