Et si, face au manque de généralistes dans certains déserts, SOS Médecins jouait les médecins traitants ? C’est l’idée qu’a eue la ville de Sens (Yonne). Soutenu par la Mairie, SOS assure des visites programmées chez les patients âgés n’ayant plus de médecins traitants. Un bricolage qui n’est pas du goût de la CPAM, ni de certains généralistes, et qui se fait dans un flou juridique complet.
“La situation démographique sur Sens est devenue intenable. Cette semaine, j’ai vu une patiente de 80 ans. Elle n’avait pas consulté de médecin depuis trois ans”, rapporte le Dr Jean-Luc Dinet, médecin de SOS, installé dans la sous-préfecture de l’Yonne depuis vingt ans. Face à la situation, la structure SOS Médecins de Sens a pris l’initiative d’ajouter une corde à son arc : celle de médecin traitant.
“Les médecins de la ville sont submergés de demandes”
Voilà plus d’un an que la Mairie, le Centre communal d’action sociale (CCAS) et SOS Médecins réfléchissent ensemble à une solution pour pallier le manque de médecins généralistes sur cette commune de 25 000 habitants. “Quand je suis arrivé, il y a 20 ans, la ville comptait 47 généralistes. Aujourd’hui, il y en a 26 et les trois-quarts ont plus de 55 ans, souligne le Dr Dinet. Les médecins de la ville sont submergés de demandes. C’est un truc de fou. Ils n’en peuvent plus et les urgences débordent.”
Depuis le mois de janvier, donc, cinq des six médecins du cabinet SOS de la ville jouent les médecins traitants. A tour de rôle, ils consacrent une journée par semaine à certains patients qui n’ont plus de médecin. “Nous avons le savoir-faire, on fait du partage de dossiers, on a les moyens humains et techniques”, assure le médecin. Les premières journées ont été consacrées aux visites à domicile, mais à terme les médecins n’excluent pas de recevoir leurs patients au cabinet. “Pour le moment, nous prenons en charge 14 ou 15 patients. Nous avons des critères ultra-restrictifs. Ceux que nous voyons sont des patients âgés, poly-pathologiques, dépendants et, bien entendu, qui n’ont pas de médecin traitant. Nous ne prenons pas les patients qui ne veulent plus de leur médecin parce qu’il n’a pas le temps de faire de visites à domicile, par exemple.” Dans les faits, c’est le CCAS qui redirige les patients qui correspondent aux critères vers les médecins. “On épluche les dossiers, on est très sélectifs, poursuit le Dr Dinet. En fait on marche sur des œufs.”
“Avec la Cpam, on est dans un vide juridique absolu”
Et pour cause. Les institutions n’ont pas vu d’un très bon œil cette initiative. “L’ARS nous a compliqué la vie et l’Ordre nous a reproché de faire de la captation de clientèle”, indique le médecin. Mais le plus gros morceau a été la CPAM. Qui n’a d’ailleurs jamais donné son aval à ce dispositif. “On est dans un vide juridique absolu. Nous n’avons plus aucun dialogue avec la caisse. Ils vont finir par revenir vers nous parce que nos cotations ne vont pas leur aller bien longtemps. Pour le moment, je cote mes visites à 33 euros. Sauf que je suis obligé de marquer “urgences”, alors qu’en fait on est sur du soin programmé. Mais si je ne le fais pas, mes patients ne sont pas remboursés.” Les médecins qui se chargent de ces visites, eux, ne bénéficient naturellement pas du forfait médecin traitant.
Du côté des médecins généralistes installés, les points de vue sont partagés. “On a un couple de médecins qui vont partir à la retraite bientôt et qui nous a appelés pour demander à ce qu’on s’occupe de leurs patients les plus fragiles”, assure le directeur du CCAS, Yves Colins. “C’est une mauvaise réponse à une bonne question !”, rétorque de son côté le Dr Jacques Darley, délégué régional de MG France pour la Bourgogne. “C’est comme d’habitude, on met un pansement sur une bassine qui fuit des litres”, se désole-t-il. “Face au manque de médecins, la municipalité a trouvé SOS. Je ne leur en veux pas, ils font leur travail d’urgence et c’est très bien. Mais sont-ils vraiment des généralistes ? En tant que médecin traitant, un médecin généraliste suit et coordonne les soins, connaît les antécédents, la famille. Là, on marche un peu sur la tête.”
Pour le Dr Darley, il est indispensable que les pouvoirs publics prennent des mesures pour offrir des conditions d’exercice intéressantes et attirer de nouveaux médecins. “Là on est dans une sorte de renoncement. Le principe est on ne peut plus choquant.”
“Restos du cœur des médecins traitant”
Pourtant la Mairie veut croire que sa solution, “qui coûte zéro euro à la collectivité” n’est que temporaire. En parallèle, une prime à l’installation de 15 000 euros et un accompagnement du projet d’installation sont proposés aux nouveaux généralistes qui souhaiteraient s’établir sur la commune. “Avec une contrepartie, qui est la prise en charge d’une partie des patients suivis par SOS”, précise Yves Colins. “Mais l’attractivité du territoire est aussi l’un des grands chantiers sur lesquels nous devons travailler. Nous ne souffrons pas uniquement d’un manque de médecins, mais aussi de cadres, de jeunes entrepreneurs, qui partent étudier ailleurs et qui ne reviennent pas”, admet le directeur du CCAS. Une dynamique qui pourrait porter ses fruits. Déjà, trois internes en fin de formation ont pris contact avec la municipalité. “Ce sont des enfants d’ici, qui ont le projet de revenir et de s’installer dans les deux ans”, indique Yves Colins.
Des projets d’installation qui pourraient relancer, s’ils se concrétisent, l’attractivité de la ville, mais qui ne suffiront probablement pas à ôter la casquette médecin traitant de la tête des médecins de SOS. “Si demain on me dit que je n’ai plus de raison de continuer, j’arrête et je serais très content, assure le Dr Jean-Luc Dinet. Dans le fond, j’espère sincèrement que nous ne sommes pas en train de créer les Restos du cœur des médecins traitants.”
Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier