Deux jours avant la Conférence nationale de santé, organisée par le Premier ministre et à deux semaines de l’ouverture des négociations pour la future convention médicale, l’Association des petites villes de France (APVF) a demandé la mise en place de mesures coercitives à l’installation des jeunes médecins dans les zones à forte densité médicale. Un véritable pavé dans la mare jeté par ces élus, “pour se faire enfin entendre sur les difficultés d’accès aux soins “croissantes dans notre pays”.
 

 

L’enquête présentée ce mardi par l’APVF (à lire en intégralité ici) est construite autour des témoignages de nombreux maires (qui ont rempli un questionnaire), et s’appuie sur les chiffres de l’Ordre des médecins, du Commissariat général à l’égalité du territoire et la Drees. On est devant “une vraie fragilisation de l’offre de soins”, résume Nathalie Nieson, présidente de la commission santé, députée maire de Bourg de Péage (Drôme). Fragilisation, alors qu’il n’y a “jamais eu autant de médecins en France, mais ils sont très mal répartis”.

 

“Il faut vraiment relativiser le terme de désert”

“Nous avons tous une grande difficulté à maintenir les médecins libéraux généralistes et surtout spécialistes, dont la disponibilité aux soins est insuffisante sur nos communes souligne l’élue. On observe également le vieillissement des praticiens. Parfois, 100 % des médecins ont plus de 55 ans alentour, sans perspectives de continuité de l’activité. C’est une grande source d’inquiétude.”

Cette thématique a été omniprésente lors des dernières campagnes électorales. “Les citoyens se tournent vers nous pour nous demander ce qu’on va faire pour y remédier, alors que ce n’est pas notre rôle”, surenchérit Xavier Nicolas, un pharmacien maire de Senonche (Eure et Loire), élu depuis 2001.

Nathalie Nieson réfute l’argument selon lequel les jeunes refusent d’aller s’enterrer dans un désert, alors qu’il a été lui-même abandonné par les services de l’Etat. “Il faut vraiment relativiser le terme de désert”, répond-elle. A Bourg de Péage, sa ville “il y a une belle qualité de vie, la mer proche, la montagne, des commerces. Mais un hôpital en gros déficit. Or, partout en France, on observe un phénomène d’enchaînement, un effet de ciseau. Si un hôpital ferme ou se restructure, les médecins libéraux se raréfient alentours”, témoigne-t-elle.

 

Installation hors convention dans les zones surdotées

Alors, des élus qui y croyaient ont pris des initiatives pour attirer les jeunes médecins vers leurs communes. Mais aucune ne marche, se désole Xavier Nicolas. “On a essayé les maisons de santé, mais la moitié sont vides s’il n’y a pas un bon projet de santé derrière. On a essayé d’offrir des bourses aux étudiants dès la deuxième année, mais quand ils ont terminé leur internat, ils retournent vers leur origine”… Troisième piste, “fédérer les internes pour en accueillir le maximum en maîtrise de stage”. Idem : au terme de leur internat, ils repartent dans leur région d’origine ou “répondent aux meilleures propositions”.

Après avoir tourné le problème dans tous les sens, lu les études parlementaires et de la Cour des comptes, surligné le rapport Legmann, l’ancien président de l’Ordre partisan d’une régulation à l’installation (ce qui a mis des milliers d’internes et chefs de clinique dans la rue…) l’APVF a fait sa religion. Pour commencer, elle lance une série de pistes de travail : régionalisation de l’internat “afin de favoriser une installation des étudiants et des néo-praticiens sur le territoire où ils ont été formés”, conventionnement piloté par les ARS, pour permettre à un médecin retraité, de continuer à exercer à temps partiel en cumulant ses revenus, nouveaux modes de financement pour sortir du tout T2A, renforcement des soins de proximité dans le projet médical partagé des futurs groupements hospitaliers de territoire (GHT), mise en place de territoires de santé, pratiques avancées….. Mais surtout, mesures coercitives à l’installation des jeunes médecins.

Dans les zones où les médecins sont plus nombreux que la moyenne nationale (villes universitaires, et le trio soleil, mer, montagne), l’APFV préconise d’imposer l’exercice hors convention à toute nouvelle installation. “Ils peuvent s’y installer s’ils le veulent, mais on veut qu’ils aillent là où on a besoin d’eux”, explique Xavier Nicolas. L’APVF imagine notamment des installations dans des “territoires prioritaires de santé” qui seraient à définir dans les zones les plus fragilisées, impliquant l’ensemble de l’offre de soins, y compris l’hôpital.

 

“Après tout, leurs études sont payées par nos impôts”

“Il faut que les médecins prennent conscience de la difficulté des petites communes, ils doivent être responsables, accepter une juste répartition. On ne peut rester sans rien faire, nous devons avancer ensemble”, surenchérit Nathalie Nieson. Pour les deux élus, ces mesures coercitives pourraient s’inscrire dans un cadre conventionnel, en s’inspirant du modèle de la convention des infirmières (incitation fiscales et financières à l’installation dans les déserts, interdiction de conventionnement dans une zone surdotée, jusqu’à ce qu’une infirmière libère une place). Elles pourraient aussi découler de la loi, sur le modèle des pharmacies d’officine dont l’implantation dépend d’une carte nationale.

“Après tout, leurs études sont payées par nos impôts, leur exercice est solvabilisé par nos cotisations sociales. Nous sommes contre le libéralisme sauvage. Imaginez que des professeurs réagissent comme les médecins. De nombreuses professions ont des contraintes de mobilité”, s’emporte presque Xavier Nicolas. Qui ajoute qu’il doit affronter les commerçants de sa ville, qui “râlent” contre les subventions allouées à la maison de santé, alors que les médecins “gagnent bien leur vie”, et que l’on ne fait rien “pour aider le commerce”.

L’APVF ne se sent pas découragée par la énième tentative avortée, des sénateurs cette fois-ci, de passer un amendement limitant la liberté d’installation, dans le cadre de la loi de Santé. “La question dépasse les clivages gauche-droite. Elle est de plus en plus prégnante, on continue le combat”, certifient Nathalie Nieson et Xavier Nicolas.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne