Vaut-il mieux mourir d’un cancer lié au tabac ou du terrorisme ? C’est en substance la question qui divise les ministères de l’Education nationale et de l’intérieur d’une part, et de la Santé d’autre part. En bref, faut-il autoriser les lycéens à fumer dans la cours de récréation pour leur éviter de s’agglutiner devant les lycées et devenir des cibles potentielles des terroristes. Les proviseurs ont décidé de faire passer la sécurité avant la santé publique.
 

 

“Quand j’ai appris que les lycéens étaient autorisés à fumer dans l’enceinte des établissements, mes cheveux se sont dressés sur ma tête !”, l’ancienne ministre déléguée chargée des Personnes âgées et de l’Autonomie et actuelle députée de Gironde ne mâche pas ses mots. Médecin retraitée, Michèle Delaunay s’est toujours attaquée avec ferveur à l’industrie du tabac. Elle vient d’ailleurs d’être élue présidente de l’Alliance contre le tabac.

 

“Nous avons pris le parti de garantir la sécurité des élèves”

A l’origine de sa colère, la circulaire 2015-206, adressée à tous les proviseurs de lycées le 26 novembre dernier. Co-signé par les ministères de l’Intérieur et de l’Education nationale, le courrier indique que par mesure de sécurité, les élèves ne doivent pas stationner devant les lycées. La circulaire évoque la possibilité de mettre en place “des zones dédiées pour éviter les regroupements dans la rue”. “En raison des menaces, nous avons indiqué qu’une tolérance était admise pour que les lycéens puissent fumer dans des espaces de plein air, à l’intérieur des lycées. Cette décision a été prise conjointement entre les deux ministères”, justifie le ministère de l’Education nationale, avant d’ajouter : “Il va de soi que cette mesure est exceptionnelle et provisoire. Nous avons pris le parti de garantir la sécurité des élèves”.

Un constat partagé par le SNPDEN-Unsa, principal syndicat de proviseurs. Après les attentats du 13 novembre, l’organisation avait signalé au ministère de l’Education le risque que présentaient les élèves rassemblés devant les établissements pour fumer. “Le ministère nous avait entendu et nous a alloué une marge de manœuvre”, explique Philippe Tournier, secrétaire général du syndicat. Depuis quelques semaines, les lycéens fument donc dans l’enceinte des établissements. “Nous ne sommes pas irresponsables. La menace de Daech contre l’école de la République est réelle. Quelle ne serait pas l’indignation de la population si des terroristes s’attaquaient à des élèves stationnés devant le lycée”, ajoute Michel Richard, secrétaire général adjoint du syndicat.

 

“Qu’un jeune ne puisse pas passer trois heures sans fumer est impensable”

Mais pour Michèle Delaunay, le débat n’est pas là. Si le danger des attroupements d’élèves devant les établissements scolaires est évident pour tous, l’introduction du tabac dans les lycées ne l’est pas. “La loi précise clairement que le tabac est interdit dans la totalité de l’enceinte des établissements scolaires. Qu’un jeune, souvent mineur, ne puisse pas passer trois heures sans fumer est impensable. C’est une situation d’alerte. Si on les autorise à fumer pendant six mois, ils auront le temps d’entrer dans un phénomène d’addiction”, s’insurge la députée de Gironde qui a écrit une question sur le sujet à la ministre de l’Education nationale.

“Un jeune qui commence à fumer a une chance sur deux de mourir du tabac. Je vais être cynique mais nous sommes loin des chiffres du terrorisme”, s’agace Michèle Delaunay qui rappelle que la loi interdit la vente de cigarettes aux mineurs.

 

“Une interdiction totale de fumer va créer des tensions”

Si la ministre de l’Education nationale n’a pas encore répondu à Michèle Delaunay, le ministère de la Santé a écrit une lettre aux proviseurs leur indiquant que “le contexte d’état d’urgence ne change en rien la réglementation sur l’interdiction de fumer en application de l’article 3511-1 du code de santé publique”. Les proviseurs s’exposent donc à une contravention.

Mais pour ces derniers, il n’est pas possible dans certains lycées de plus de 2000 élèves d’interdire totalement de fumer. D’autant que de nombreux établissement accueillent aussi des élèves majeurs, post-bac, en BTS ou classes préparatoires. “Dans le contexte actuel qui est très anxiogène, une interdiction totale de fumer va créer des tensions. D’autant qu’un sevrage brutal n’est pas une bonne solution”, juge Michel Richard. “Nous avons demandé un arbitrage du Premier ministre entre les ministères”, indique le secrétaire général adjoint du SNPDEN-Unsa. Manuel Valls devra donc trancher entre la menace terroriste et la menace de santé publique.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin