Le suicide du Pr Megnien à l’hôpital européen Georges Pompidou (HEGP), a aussi mis en lumière la souffrance des médecins et des personnels, malmenés par des réformes qui se succèdent, désorganisent les groupes et dégradent les conditions de travail. Echappant à 60 % à la médecine du travail, sans dispositif spécifique de prévention du burn out, les praticiens souffrent en silence, parfois jusqu’au drame.

 

Derrière le drame du suicide du Pr Jean-Louis Megnien, le cardiologue qui s’est défenestré du 7ème étage de l’hôpital européen Georges Pompidou, plane l’effet délétère des réformes qui ont secoué de soubresauts l’hôpital public, depuis quelques années. Des réformes qui ont parfois fait régner un sale climat dans les services, ainsi que le dénonce à l’AFP, le Dr Christophe Segouin, du syndicat SNAM-HP et membre de l’intersyndicale “Convergence HP”. La loi Hôpital, patients, santé et territoire, qui a renforcé le pouvoir des directeur d’hôpitaux aux dépens de la communauté médicale est ainsi pointée du doigt, conduisant parfois, selon le Dr Segouin, à une “collusion”‘ avec les chefs de pôles ou de services, dont les pouvoirs sont devenus “excessifs”.

 

Performance, retour budgétaire à l’équilibre, et contraintes

Malaise, harcèlement de praticiens, bureaux confisqués, rumeurs de couloirs, évictions, clans… La dégradation du climat qui a conduit le Pr Megnien, après neuf mois d’arrêt maladie, à mettre fin à ses jours sur son lieu de travail, n’est pas une découverte pour Avenir hospitalier, qui n’a eu de cesse de dénoncer “depuis des années” la souffrance au travail qui touche jusqu’aux lanceurs d’alerte. Sans résultats à ce jour. “Depuis des années, la succession de ces réformes a entraîné de la destruction, sans construction, explique le Dr Max-André Doppia, le nouveau président de l’intersyndicale Avenir hospitalier. “Le pouvoir ne veut pas voir la désagrégation induite par les réformes, il y a une véritable souffrance des praticiens et des professions de santé, de l’hôpital en général. Le décalage est énorme entre ce qui est affirmé : performance, retour budgétaire à l’équilibre, et les contraintes qui pèsent sur le personnel avec les difficultés psychologiques que cela peut entrainer”.

Le geste du Pr Megnein a également mis en évidence, parmi les dysfonctionnements relevés par la commission très vite mise en place par la direction de l’AP-HP, l’absence d’un “dispositif structuré centré sur la prévention de la souffrance psychique et la réaction à l’alerte suicidaire des personnels médicaux”. Il y a un an, une lettre d’un chef de service à la direction de l’AP-HP avait prévenu du risque suicidaire très élevé, couru par ce professeur qui convoitait la responsabilité de l’unité de médecine préventive cardio-vasculaire, mais en avait été éloigné. Il se sentait harcelé, mis à l’écart, pointé du doigt, témoignent aujourd’hui ses proches.

Membre de la CME et du conseil de surveillance de l’AP-HP et aujourd’hui membre du Collectif des amis du Pr Megnien, le Pr Bernard Granger avait rendu publique en décembre, une lettre ouverte qui mettait l’accent sur la maltraitance subie par son collègue. “Il m’avait demandé conseil début 2014. Il parlait déjà de harcèlement et avait pris contact ave un avocat, relate le professeur de psychiatrie de l’université René Descartes et responsable de l’unité fonctionnelle de psychiatrie de l’hôpital Tarnier. Je l’avais orienté vers la personne ressource à la CME. Nous avons vite sympathisé. C’était un collègue attachant. Il m’avait informé plus tard que la tentative de médiation n’avait pas abouti”. Le Pr Granger avait mis en garde la direction générale de l’AP-HP sur la situation particulière à l’HEGP, lui donnant le conseil d’apaiser les conflits. “Mais le directeur a eu une attitude partisane. En confortant la directrice, Anne Costa, Martin Hirsch a conforté un clan, il a mis de l’huile sur le feu” accuse-t-il en soulignant qu’aucun autre établissement de l’AP-HP n’essuie autant de scandales et ne souffre d’autant de dysfonctionnements que Georges Pompidou. “Marisol Touraine a apporté un peu d’oxygène en demandant une enquête de l’IGAS. Elle a noté qu’il n’y avait aucun dispositif organisé pour prendre en compte la souffrance des médecins. Toutes les personnes impliquées devront rendre des comptes, les médecins, la directrice de l’HEGP et Martin Hirsch” conclut-t-il, en reprenant les termes du courrier envoyé au directeur de l’AP-HP lui rappelant que le harcèlement constitue bien un délit, dont la suspicion doit être signalée en tant que telle, au procureur de la République. “Les conséquences de la souffrance psychique, notamment lorsqu’elle survient dans un contexte conflictuel ou d’échec professionnel et leurs liens avec le travail à l’hôpital, son arrêt ou sa reprise ne sont pas suffisamment prises en compte”, a déploré la commission nommée par la direction au décours du suicide du Pr. Megnien.

Message reçu par Marisol Touraine qui, sans attendre les conclusions de la police, de la justice et de l’IGAS, a demandé “qu’à partir de ce drame, on mette en place en France une politique résolue pour répondre à la souffrance au travail qui peut aussi concerner les médecins”, la ministre regrettant qu’il n’y ait pas “de processus à même de prendre en compte la souffrance au travail des médecins”. Ce qui, vu de l’extérieur, peut paraître un comble.

 

La durée de vie d’un médecin est comparable à celle d’un ouvrier

Selon une enquête du Centre national des professions de santé (CNPS), menée par Stéthos international, portant sur 1 905 répondants en novembre dernier, plus d’un médecin sur deux (50,3 %) confie avoir été en situation de burn-out, dont 46,3 % dans le secteur hospitalier public (50,1 % du secteur privé). En incluant les addictions associées, les pourcentages grimpent à 49,5 % pour le public et 54,2 % pour le privé. Tout secteur d’activité confondu, huit médecins sur dix assurent préférer aller se faire soigner dans un lieu éloigné de leur de travail, un peu moins de la moitié préfèrerait recevoir des soins dans un centre qui leur est spécifiquement réservé. “Les médecins font partie des professions qui se suicident le plus. La durée de vie d’un médecin est comparable à celle d’un ouvrier, pas d’un cadre supérieur”, confirme le Dr Bernard Salengro, médecin du travail, syndicaliste à la CFE-CGC et vice-président de l’Institut de recherche et sécurité. “Pourtant, ces praticiens savent tout du risque, mais il s’estiment au-dessus de cela bien qu’ils soient confrontés au stress, à la mort et à la souffrance, ils ont des problématiques relationnelles. Depuis leurs études, ils se sont battus pour être les meilleurs, alors ils ne savent pas travailler en groupe, en équipe”, constate-t-il. “On voit à l’hôpital, des cas de harcèlement qui ne seraient pas envisageables en entreprise, où on n’ose pas aller aussi loin car de nombreux pare feux sont mis en place. A l’hôpital, on oscille entre la cour d’école et le Moyen-âge. C’est effarant !”.

Quand un médecin se sent tomber en burn out, que se passe-t-il à l’hôpital ? La direction de l’hôpital public a l’obligation d’organiser un service de santé au travail pour tous les personnels, mais à défaut de dispositif contraignant, 60 % des médecins s’en dispensent. “Ce qui est bien dommage, commente le Dr Salengro. Les médecins du travail ont des moyens et des outils. Ils ont notamment un devoir d’alerte qui oblige l’employeur à agir, sauf à risquer une mise en danger délibérée de la vie d’autrui. Ce peut être très grave pour lui”. Restent les initiatives syndicales. Le Collège français des anesthésistes réanimateurs (CFAR) et la Commission santé du médecin anesthésiste réanimateur au travail (SMART), présidée par le Dr Doppia, ont mis en ligne sur leur site une série de fiches d’auto-évaluation, sur les risques psycho sociaux et notamment, le harcèlement au travail. Initiative qui leur a valu, en juin dernier, une lettre de félicitation de Marisol Touraine. La ministre a ainsi demandé à ses services de “relayer le dispositif de prévention individuelle que vous avez mis en place : numéro vert destiné à tous les professionnels de l’anesthésie et aussi à leur entourage personnel et/ou professionnel” peut-on lire dans cette lettre. Mais depuis, rien de concret de plus de la part du ministère.

 

Une course à l’acte au détriment du temps soignant

“Dans le temps, il y avait des cadres infirmiers. Aujourd’hui, la fonction est désincarnée, les dispositions institutionnelles ont créé un encadrement distant, c’est le management qui prime et on ne sait pas qui c’est. Il n’y a plus de critères d’identification à une personne ou à un groupe. Or, les chefs de services sont nommés à vie. Quand ils sont bons, tant mieux, mais sinon ? C’est très grave”, développe le président d’Avenir hospitalier. Il s’interroge notamment sur le glissement qui fait que dans certaines situations, “on voit des gens accepter de répondre à une injonction, du type ‘ne lui adressez-plus la parole’, alors qu’on sait que cela fait mal, voire on ne l’imagine même plus. C’est de la collusion managériale. Au CHGP, hôpital flambant neuf, il y a une forme de féodalisme qui perdure”‘… Le Dr Doppia aimerait que l’on réponde à cette question de l’acceptation banalisée d’une injonction douloureuse pour la victime, “ou alors, c’est que l’on ne s’intéresse pas à la vie des services”. Pour sa part, le président du SNAM-HP, membre de Convergence HP, Christophe Segoin, tient à dénoncer l’impact de la tarification à l’activité, instaurée en 2009, qui a conduit à une course à l’acte au détriment du “temps soignant, source de notre vocation”, fait-il valoir à l’AFP.

De plus, Avenir hospitalier dénonce fermement l’absence de syndicalistes médecins au sein du Comité hygiène, sécurité et conditions de travail (CHSCT). “Nous voulons que les syndicats entrent dans les CHSCT pour aborder les conditions de travail, car on ne dit rien en CME (commission médicale d’établissement)”, assène le Dr Max-André Doppia. Cette absence est une aberration, il s’agit d’un droit constitutionnel qui ne nous est pas reconnu”.

Alors que se profile, à marche forcée d’ici 2017, l’entrée en vigueur de la dernière réforme en date issue de la loi de santé, qui crée des groupements hospitaliers de territoire (GHT), les deux intersyndicales demandent à élargir le rôle des commissions régionales paritaires à un rôle de médiation, de prévention et de gestion des conflits. Elles souhaitent notamment pouvoir saisir les commissions régionales, pour qu’elles envoient sur le lieu du conflit, des intervenants qui pourraient formuler un diagnostic et émettre des recommandations.

Un rôle entre le pompier et le casque bleu, pour un hôpital dont Marisol Touraine, semble-t-il, découvre l’étendue de la souffrance.

Mis à jour le mardi 19 janvier à 16 heures.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne