Qui s’y retrouve dans les aides financières ou fiscales à l’exercice dans les zones à démographie médicale déficitaire ? Pas grand-monde a priori, alors qu’elles représentent sans véritable garantie d’efficacité, des espèces sonnantes et trébuchantes pour l’assurance maladie. Marisol Touraine veut profiter de la prochaine convention médicale pour faire un peu de ménage.

 

Les aides démographiques conventionnelles doivent être revues et “simplifiées” pour mieux les adapter “aux besoins des territoires”, a indiqué Marisol Touraine, dans sa lettre de cadrage à l’UNCAM (Union nationale des caisses d’assurance maladie), en décembre dernier. Les négociations pour une nouvelle convention entre les syndicats médicaux et l’assurance maladie doivent démarrer dans un mois, à la mi-février, et ce chantier de la revitalisation démographique sera l’un des outils permettant de “garantir l’accès aux soins pour tous sur l’ensemble du territoire”, selon les propos de la ministre, dans le contexte du Pacte territoire santé, qui entame sa phase 2.

“On parle de réformer les aides, mais personne n’a jamais procédé à une véritable évaluation des aides existantes sur le terrain, et qui foisonnent. Certaines fonctionnent, d’autres pas. Or, on ne sait pas vraiment pourquoi”, remarque le Dr Luc Duquesnel, le président de l’UNOF-CSMF.

 

20 millions d’euros pour 25 médecins installés

Les aides conventionnelles à l’exercice dans les zones déficitaires sont depuis bien longtemps dans le collimateur de la Tutelle. Par le passé, la Cour des Comptes n’avait pas manqué de faire de grands effets de manches pour étriller ces aides, objets de l’avenant 20 à la convention 2005, prévoyant une majoration (sans plafond) de 20 % de leur rémunération pour les généralistes libéraux exerçant en zones déficitaire. Ce qui a représenté une moyenne de 27 000 euros par médecin (le plus heureux a touché 100 000 euros), 20 millions d’euros de coût pour la CNAM et… seulement 25 médecins, quasiment tous installés de longue date dans ces déserts. Peu défendue par la caisse nationale, l’option qui avait été vigoureusement promue par Xavier Bertrand, le ministre de la Santé de l’époque a surtout représenté pour quelques heureux élus, un bel effet d’aubaine. A refaire.

La convention 2011 reprend l’idée, mais la recadre sévèrement. Deux dispositifs sont proposés aux médecins libéraux exerçant en premier secteur (ou en secteur 2 s’ils ont signé pour l’option de coordination ou encore s’ils acceptent de pratiquer des tarifs conventionnels stricts pour les patients de zones déficitaires). L’option santé territoriale, exige un engagement de trois ans du praticien, qui doit exercer un minimum de 28 jours par an dans une zone sous dotée (le nouveau zonage de l’ARS a été effectué en 2012). Elle donne droit à une rémunération complémentaire égale à 10 % du montant de l’activité réalisée dans le cadre de l’option (plafonnée à 20 000 euros) et à une prise en charge des frais de déplacement (des conditions spécifiques sont prévues pour les praticiens qui seraient amenés à sortir d’une zone déficitaire, du fait d’un nouveau zonage des ARS).

 

“5 000 euros d’aide à l’informatisation, c’est un vrai plus pour un jeune qui s’installe”

Le deuxième choix, c’est l’option démographique, ouverte aux mêmes praticiens. Le signataire s’engage à réaliser les 2/3 de son activité dans une zone sous dotée, y être installé à proximité, ne pas changer de lieu d’exercice pendant trois ans, assurer sa permanence des soins. Il recevra en contrepartie, s’il exerce en groupe, une aide à l’activité égale à 10 % du montant de l’activité (plafonnée à 20 000 euros) et une aide à l’investissement de 5 000 euros par an pendant trois ans. Si le praticien exerce dans le cadre d’un pôle de santé, il recevra une aide à l’activité équivalente à 5 % du montant de l’activité (plafonnée à 10 000 euros) et une aide à l’investissement de 2 500 euros par an pendant trois ans.

L’option démographie, c’est le choix de Marlène* généraliste en Mayenne, qui s’est associée l’an passé en zone déficitaire après des remplacements et une dizaine d’années d’assistanat à temps partiel, dans le même cabinet. “Lorsque je suis venue il y a dix ans, ces aides n’existaient pas. Elles n’ont pas été déterminantes pour mon choix d’installation, mais c’est la cerise sur le gâteau, d’autant que je ne m’y attendais pas. 5 000 euros d’aide à l’informatisation, c’est un vrai plus pour un jeune qui s’installe”, reconnaît-elle volontiers. Elle n’a eu qu’à signer un formulaire envoyé par sa Cpam et la voilà dans l’option, dont elle découvre les subtilités, au fil des jours.

“Les honoraires bonifiés ne concernent que les patients vivant en zone déficitaire définie par l’ARS. C’est leur lieu d’habitation qui est pris en compte, non le lieu d’exercice du praticien”, signale-t-elle. Puisqu’elle n’est pas au plafond, Marlène a perçu pour sa première année d’installation, une somme de 13 000 euros de sa Cpam. Mais quelle ne fut pas sa déception, lorsque la caisse lui a réclamé 1 900 euros de trop perçu, six mois plus tard ! “A priori, la Cpam s’est trompé de zonage, elle s’est basée sur celui de 2004 pour comptabiliser les patients en zone déficitaire. Je dois rembourser, mais mon collègue, lui, n’a pas eu de rattrapage.” Néanmoins, la jeune généraliste conseillerait volontiers cette option à un futur installé.

 

Des aides méconnues des jeunes

Pourtant, les résultats sur la revitalisation démographique ne semblent satisfaire ni l’assurance maladie, ni la ministre de la Santé. Au total, relève Le Figaro, ces aides ont coûté 28,3 millions en 2014 et ont bénéficié à un peu plus de 2 000 médecins. La CNAM les trouvent mal ciblées : à peine plus de la moitié de médecins exerçant dans un désert l’ont souscrite, et 10 % seulement de nouveaux installés. Pourtant, l’assurance maladie ne songe pas à les supprimer totalement, car on noterait une légère diminution du taux de départ dans les déserts, assorti d’une légère augmentation des installations. Encore faut-il avoir connaissance de l’existence de ces aides…

“Nous, les futurs médecins généralistes, on n’est pas du tout au courant des aides proposées par la convention, tranche Trystan Bacon, le président de l’ISNAR-IMG. Nous connaissons et nous appuyons les mesures gouvernementales, les contrats d’engagement de service public (CESP), et les praticiens territoriaux de médecine générale (PTMG), reconduits dans la phase 2 du pacte territoire santé”. Le CESP offre une bourse de 1 200 euros par mois aux internes qui font le choix de s’installer dans une zone à la démographie déficitaire. Il devrait y en avoir 1 500 d’ici 2017. Le PTMG bénéficie d’une garantie de rémunération de 3 640 euros par mois pendant trois ans, en contrepartie d’un seuil minimum d’activité, et offre une bonne protection sociale. “Mais il faut rendre ces modèles plus lisibles. Les internes ne savent pas forcément que cela existe. Les correspondant installations des ARS, instaurés par le pacte territoire santé, doivent aller à la rencontre des étudiants dans les facultés pour promouvoir ces aides. Ce n’est pas le cas”, regrette Trystan Bacon.

 

Comment s’y retrouver, en effet entre les aides qui transitent par les ARS, celles des territoires, des communes et des départements, les aides fiscales (PDS), les zones franches urbaines,de revitalisation rurale et l’on en oublie peut être ? “Le système est illisible pour les jeunes qui s’installent et il n’a jamais été globalement évalué. C’est un travail indispensable à mener, avant de remettre tout en cause”, répète le Dr Luc Duquesnel. L’UNOF a planché sur le sujet et propose notamment d’étendre aux zones déficitaires et aux zones de montagne, les avantages liés aux zones franches urbaines, d’aider les professionnels qui exercent dans ces zones à se regrouper et de faciliter la poursuite d’activité pour les médecins qui y prennent leur retraite.

Alors restent quelques exemples fameux, que l’on s’échange comme symboles de réussite pour attirer les jeunes vers la médecine générale. Offrir un logement aux internes qui viennent faire leur stage en médecine générale, c’est un modèle qui fonctionne en Mayenne et qui existe aussi dans sa version “luxe”, avec doublement du salaire des internes, logement et frais de transport offert. Ce paquet cadeau a permis de redresser la courbe démographique en Corse où il fonctionne depuis 6 ans, signale le Dr Jean-Paul Hamon, le président de la FMF. Dans la Creuse, on offre logement et petite prime pour y attirer les internes. “Et ça marche, confirme le Dr Hamon. Mais on ne pourra jamais demander à un jeune de venir avec femmes et enfants dans une zone où il n’y a rien”, lâche-t-il. Un principe de bon sens, toujours bon à rappeler.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne

 

* Le prénom a été changé.