Pour répondre aux appels, de plus en plus nombreux, de médecins qui s’interrogent sur la conduite à tenir face à des patients qui pourraient se radicaliser, l’Ordre des médecins publie une série de conseils. Le Dr Jean-Marie Faroudja, président de la section Ethique et déontologie, met en garde contre les amalgames, rappelle que des dérogations au secret médical existent pour les mineurs, et revient sur les limites du secret médical.
Egora.fr : Vous avez de plus en plus d’appels de médecins en demande de conseils face à des patients radicalisés. Depuis quand ? Que vous disent-ils ?
Dr Jean-Marie Faroudja : Incontestablement, il y a des appels au niveau de l’Ordre des médecins de la part de confrères ou même de patients qui s’interrogent sur la conduite à tenir. On a eu le cas d’un médecin relatant le cas d’un jeune homme qui s’est laissé pousser la barbe, qui vient en consultation en djellaba, et qui se demande s’il doit le signaler. On a aussi eu des appels de familles. Certaines téléphonent en disant qu’elles sont inquiètes pour leur enfant. Alors il faut savoir si l’enfant est mineur ou pas, parce que la conduite à tenir est différente. Elles se demandent s’il faut appeler un médecin, s’il faut hospitaliser leur enfant… La question qui se pose à ce moment-là est de savoir si la radicalisation est une pathologie psychiatrique. On sait qu’elle concerne peut-être des gens plus fragiles que d’autres.
Depuis quand observez-vous cette recrudescence des appels ?
Depuis quelques mois déjà. Ça date d’avant les attentats du 13 novembre.
Quels sont les signes qui doivent alerter les médecins ?
Le ministère de l’Intérieur a organisé des journées de formation pour essayer de définir ce qu’est la radicalisation. Il ne faut pas confondre le fondamentalisme avec une personne qui consacre une certaine partie de sa journée en prières. Ce n’est pas forcément anormal dans l’exercice de sa religion. On ne peut pas soulever l’hypothèse d’une radicalisation devant un ou quelques éléments disparates, comme le fait de prier souvent, de s’habiller d’une certaine façon. Il faut un faisceau d’arguments. C’est pourquoi nous avons décidé de mettre sur le site du CNOM des informations au sujet de ce problème, en essayant de donner au médecin des conduites à tenir en fonction des situations particulières. En sachant que le secret médical est général et absolu. Sauf dérogation légale, il ne peut être franchi.
Quelle doit être l’attitude d’un médecin face à patient qu’il estime en voie de radicalisation ?
Il faut bien dire que le secret médical est très particulier et si les patients se confient à leur médecin, c’est parce qu’ils ont confiance en lui. Mais il est évident que quelqu’un qui se radicaliserait ou qui aurait des projets violents ne va pas le dire à son médecin. Notre initiative vise à mettre en garde le médecin au cas où il serait sollicité. S’il est sollicité pour un mineur, dans ce cas-là, il y a des lois qui font qu’il n’y a pas de secret médical qui empêche le médecin de mettre en route une protection de l’enfance, conformément au Code de l’action sociale et des familles. Dans ce cas, il appartient au médecin de le signaler aux autorités compétentes, et notamment à la cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP).
Et pour les personnes majeures ?
Si par hasard un médecin assiste à quelque chose de potentiellement grave, avec un danger imminent, dans ce cas, il pourrait signaler aux autorités compétentes, ce qu’il a constaté. Mais dans ce cas, il y aurait violation du secret médical. Violation dont il devrait éventuellement répondre devant un tribunal ou une juridiction disciplinaire ou pénale s’il était poursuivi. Imaginez qu’un médecin signale quelque chose qui lui paraît potentiellement dangereux, la personne mise en cause pourrait tout à fait porter plainte devant le Conseil de l’Ordre en disant qu’il s’est confié au médecin dans le cadre d’une consultation et que le médecin a diffusé cette information. Le médecin a donc violé le secret médical. Oui, il y aurait une procédure, et il appartiendrait à la juridiction disciplinaire d’apprécier les faits en tenant compte de toutes les circonstances, tout aussi bien devant un tribunal pénal.
Cette discussion concernant les limites du secret médical a été soulevée lors de notre dernier congrès. A propos de l’aviateur de la Germanwings, on a dit : “Comment se fait-il que les médecins qui savaient n’ont rien fait ?” A partir de quand le médecin peut s’affranchir de cette obligation ? Dans tous les cas, lorsque le médecin s’affranchit de cette obligation de secret, s’il ne s’agit pas d’une dérogation légale, il pourrait en répondre devant une juridiction, avec toutes les circonstances qui pourraient expliquer ce qu’il a cru bon de faire en son âme et conscience. Et, personnellement, je préférerais être traduit devant une juridiction pour violation de secret médical et avoir évité un drame plutôt que, tous les jours, me regarder devant la glace et me dire que j’aurais pu éviter la mort de nombreuses personnes.
Auprès de qui les médecins peuvent-ils se tourner pour avoir de l’aide au quotidien ?
Il y a le Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation. Mais lorsque le médecin se pose une question déontologique, l’Ordre des médecins est tout à fait en mesure de lui apporter une réponse, un soutien, des conseils. Chaque cas est un cas particulier, comme toujours en médecine, et le médecin peut se trouver devant des situations que l’on ne peut imaginer. Dans ce cas, il peut se rapprocher de son Conseil départemental, qui répondra de son mieux. Et si le Conseil départemental s’interroge sur la meilleure, ou plutôt la moins mauvaise conduite à tenir, le CDOM s’adressera au Conseil national et la section Ethique et déontologie s’efforcera de trouver une réponse la plus adaptée à la situation.
Consulter le document de l’Ordre des médecins dans son intégralité.
Consulter le Kit de formation de prévention de la radicalisation du ministère de l’Intérieur.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier