Retour sur ces médecins qui ont marqué l’année 2015.

Le Dr Véronique Mollër, médecin généraliste à Magny-les-Hameaux (78) est une délinquante statistique aux yeux de la sécurité sociale. En juin dernier, il lui a été reproché d’avoir prescrit trop d’arrêts de travail au regard de la moyenne régionale. Après deux mois de pause lors de laquelle la généraliste a hésité à déplaquer, elle a finalement décidé de reprendre son activité et de répondre par l’absurde aux attaques de la Sécurité sociale. Elle nous parle de l’évolution de sa situation depuis le mois d’août dernier.

 

“Après avoir reçu une première lettre de l’Assurance maladie fin juin, j’ai arrêté de travailler deux mois, en juillet et en août. Lorsque je suis retournée travailler, les patients étaient très contents de me voir revenir. Certains croyaient que j’avais été interdite d’exercer par la CPAM ce qui n’était pas le cas.

Fin août j’ai reçu une lettre de la caisse me proposant une mise sous objectif. Il m’a été proposé un objectif de -22,4% des arrêts pendant 4 mois, du 15 septembre au 15 janvier. En cas d’échec, j’aurais dû payer une amende de 6 340 euros. J’ai dit non, ce qui était mon droit et de toutes les façons j’avais dit que jamais je n’accepterai ce type de sanction. Je ne pouvais pas diminuer mes arrêts car, contrairement à ce que pensait la caisse, je n’en faisais pas de complaisance. Je n’avais aucun moyen de les diminuer mis à part de mettre les gens à la porte et ce n’est pas ma façon de travailler.

 

Représentants des patients au Medef

J’ai alors reçu un courrier m’apprenant que j’allais être convoquée à une commission des pénalités lors de laquelle je risquais une mise sous accord préalable. J’ai été convoquée le 19 octobre.

Je n’attendais strictement rien de ce rendez-vous. La sécu organise ce type de convocation dans le seul but de nous faire croire qu’elle nous écoute. Il y avait 9 personnes parmi lesquelles les trois mêmes personnes de la CPAM que lors de mon rendez-vous en juillet, trois médecins et trois représentants des patients qui étaient en fait des chefs d’entreprises du Medef!

J’ai réexpliqué ce que j’avais déjà dit en juillet de manière plus rapide et en me concentrant surtout sur les explications médicales. Mais je savais que ça ne les intéressait pas. La seule chose qui compte pour eux, c’est les chiffres. Alors j’ai décidé de leur parler de chiffres. Ils avaient l’air un peu avachi, tout d’un coup ça les a réveillés !

 

Quelqu’un qui a besoin d’être arrêté 30 jours, je le fais en 4 fois

Ils ont osé me répondre qu’ils ne m’avaient jamais parlé chiffres mais je leur ai rappelé qu’il n’y avait que cela dans tous les courriers que j’avais reçus. Un écart type de 3,25, une moyenne à 2,08, une cible à 2,02, une moyenne régionale de 0,75… Le directeur adjoint n’était pas du tout content. D’autant que j’ai poursuivi en lui expliquant que la seule chose qui l’intéressait était de faire baisser la moyenne. Etant donné que je ne veux pas toucher aux indemnités journalières pour la faire diminuer, le seul levier dont je dispose est d’augmenter le nombre d’actes. J’ai peu de malades qui sont arrêtés longtemps et je ne les vois pas beaucoup puisqu’ils souffrent de pathologies chroniques. Mais désormais, pour les statistiques de la caisse, je les fais venir toutes les semaines et je les prolonge.

Je pense que mon argumentation ne leur a pas beaucoup plu mais ils ne peuvent pas me reprocher de voir les gens plus souvent. Sauf qu’ils ont réalisé que ça n’allait pas diminuer les indemnités journalières mais qu’en plus ça ferait plus d’actes à rembourser !

J’ai eu la chance d’être ciblée sur une moyenne. Mais j’ai rencontré des médecins qui étaient ciblés sur un nombre absolu d’arrêt. Là c’est beaucoup plus compliqué, il faut compter les arrêts. Alors que moi quelqu’un qui a besoin d’être arrêté 30 jours, je le fais en 4 fois. C’est très bête mais à des questions bêtes, on ne peut apporter que des réponses bêtes.

Finalement j’ai reçu un courrier le 24 novembre m’annonçant que j’étais mise sous accord préalable pour une durée de 2 mois, entre le 15 mars et le 14 mai. Ils ont bien expliqué qu’ils avaient compris mes arguments, notamment celui selon lequel ma patientèle est trois fois supérieure à la moyenne nationale, mais que j’avais tort. Selon eux, mes explications ont tout de même permis de tempérer un peu la sanction.

 

Je sais que ce n’est pas moi qui ait mal fait mon travail

J’ai décidé de les poursuivre devant le tribunal administratif. Je n’ai pas à être punie puisque je n’ai rien fait de mal. D’autant qu’ils ne se basent que sur des statistiques. Ils n’ont aucun accès aux dossiers médicaux.

Depuis cette commission des pénalités, je vais beaucoup mieux. J’ai réalisé qu’en face de moi, il y avait des gens qui ne comprenaient rien et qui devaient obéir à des objectifs de la CNAM. D’ailleurs, je pense qu’ils doivent avoir des primes sur objectifs. Je sais que ce n’est pas moi qui ait mal fait mon travail.”

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin