Retour sur ces médecins qui ont marqué l’année 2015.

Passionnée d’écriture le Dr Isabelle Luck a souvent rendu hommage à ses confrères libéraux en manque de reconnaissance. En juin dernier, elle répondait, dans une lettre poignante, à une responsable PS insinuant que les médecins étaient redevables à la nation qui a payé pour leurs études. En quelques minutes, elle a rédigé un hommage aux étudiants en médecine qui a connu un succès retentissant sur Internet. Six mois plus tard, elle nous raconte pourquoi elle est toujours aussi pessimiste sur l’avenir de son métier.

 

Au mois de juin dernier, le docteur Isabelle Luck, généraliste installée à Elancourt dans les Yvelines, lit dans la presse les propos de Florence Augier, secrétaire nationale chargée de la vie associative au Parti socialiste. Cette dernière veut s’attaquer à la problématique des déserts médicaux et propose “d’imposer aux médecins en début de carrière, des affectations transitoires qui serviraient à payer en quelque sorte, les frais que la nation a dépensé pour eux”. Un discours qui a profondément agacé le Dr Luck. “Je me suis couchée, et ça me trottait dans la tête. Comment peut-on dire que nous sommes redevables à la société pour nos études ? En tant qu’interne, on consacre 70 heures par semaine à l’hôpital ! J’étais tellement énervée que je suis me suis relevée et j’ai écrit ce texte, pour décrire réellement ce qu’on vit pendant nos études. En trois quarts d’heure c’était fait.”

“Avez-vous la moindre idée des difficultés personnelles à la fois intellectuelles, physiques, émotionnelles et financières qu’elles représentent pour celui qu’elles construisent si lentement ? Avez-vous songé aux sacrifices faits par ces jeunes qui se lancent dans cette aventure à 17 ou 18 ans ? Ni à ceux faits par leur famille qui les soutient moralement et financièrement durant près de 10 ans ? […] Croyez-vous qu’un diplôme de Docteur en médecine s’obtient par hasard comme en grattant un ticket de jeu ou en ouvrant une pochette-surprise ? Que faisiez-vous entre 17 et 27 ans, Madame ?”, écrit Isabelle Luck.

 

Un buzz incroyable

Le lendemain, elle publie son texte sur Facebook, et le bouche à oreille fait le reste. Rien que sur Egora, cette lettre hommage “aux médecins qui ont sacrifié leur jeunesse leurs études” a été lue par plus de 8000 personnes. “Cela a fait un buzz incroyable, raconte le médecin, presque gênée. J’ai reçu des centaines de courriers, de mails, de messages. Enormément de confrères m’ont remerciée. Il y a même un prêtre du Liban qui m’a écrit une superbe lettre.” Le cabinet de Florence Augier aussi a eu vent de ce buzz. “Son attaché de presse a appelé à mon cabinet un jour où je ne travaillais pas. Apparemment, Mme Augier a reçu aussi beaucoup de mails de médecins énervés. Mais je n’ai jamais rappelé et eux non plus.” Isabelle Luck reconnaît que Florence Augier “a pris pour tous les autres”. Mais pour la généraliste, comme pour beaucoup d’autres confrères, cette sortie de la responsable PS, en plein mouvement contre la loi de santé, était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Cette année, Isabelle a maintes et maintes fois pris la plume pour défendre sa vision de la médecine libérale qu’elle sent “dévalorisée” et en manque de reconnaissance. En décembre dernier, alors qu’elle faisait grève contre la loi de santé, dans un autre texte très personnel, elle confiait :

“Je m’étonne d’en être venue à devenir pessimiste devant l’avenir et de souffrir à chaque fois que j’entends dans les médias que les médecins sont des nantis qui ne pensent qu’au fric et ont eu leurs études payées par les Français… J’ai un ras-le-bol depuis un moment de l’amoncellement progressif de ces mesquineries qu’on nous impose et qui empiètent sur notre indépendance au service des patients. Et surtout je me fais peur à avoir de plus en plus souvent l’envie de changer de métier, ce métier que j’aime et qui fait du bien à ceux que j’écoute quotidiennement dans mon cabinet, dont je traque la cause du déséquilibre par un examen clinique soigneux et répété si besoin.”

 

La génération sacrifiée

Un an plus tard, alors que la loi de santé est définitivement votée, la généraliste n’est pas plus optimiste. “Quand j’ai choisi de faire médecine après le bac, le médecin était respecté et honoré. Mais nous, nous sommes un peu la génération sacrifiée. On veut nous obliger à faire une médecine à la va-vite. On veut faire de nous des petits soldats qui soient rentables. Moi, je ne veux pas exercer cette médecine, je veux rester au service de mes patients avec les valeurs qui sont dans le serment d’Hippocrate. Moi, je ne peux pas travailler en recevant cinq patients par heure. Alors, pour l’instant je résiste et je travaille à mon rythme.”

Déçue par les changements qui touchent son métier, Isabelle Luck a aussi décidé de se battre. Elle est notamment devenue conseillère ordinale. Depuis trois ans, elle est aussi membre de l’UFML et a été élue aux dernières URPS. “Cette année, j’ai été de toutes les manifestations. En mars, nous étions 50 000 médecins dans la rue. C’est énorme au regard du nombre de médecins libéraux qui exercent en France. Pourtant personne ne nous a écoutés. Je suis très inquiète pour notre société quand on voit que Valls nous dit : la loi va être votée, et après on discutera à la Conférence de santé. Je ne trouve pas cela très démocratique.”

Aujourd’hui, à 58 ans, Isabelle Luck pense de plus en plus à la retraite. “Je sais que je ne pourrai plus vivre dans ma maison, je devrais surement la vendre, et vivre avec 2000€ par mois. Je m’y suis préparée.” Loin de ses patients, elle continuera quand même à écrire, sur la médecine… Ou sur autre chose.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu