Retour sur ces médecins qui ont marqué l’année 2015.
Au lendemain du premier vote de la généralisation du tiers payant en avril, 98% des médecins généralistes de Roanne fermaient leur cabinet. Un mouvement d’une ampleur inédite, qui a donné naissance à la coordination du Printemps Roannais. Toute l’année, ces médecins se sont organisés, loin des syndicats, pour se faire entendre. Le Dr Philippe Mottet est l’un d’eux. Il revient sur les grands moments de cette année agitée, entre exaltation et découragement.
“L’année a été mouvementée pour nous, mais pas vraiment pour notre ministre. Ça fait huit mois qu’on essaye de l’interpeller sur les méfaits de sa loi, et a priori elle n’a rien entendu. Alors, c’est sûr qu’on se décourage, je le reconnais. Aujourd’hui, la loi de santé est votée. Même si la généralisation du tiers payant me paraît être bel un effet d’annonce, histoire de se mettre bien avec son électorat. Juste avant la présidentielle de 2017, ça tombe bien.
La naissance du Printemps roannais est venue d’un défi de la part d’un de nos collègues. Après le vote du tiers payant, il nous a dit : “Ils ont osé voter cette loi la nuit, il faudrait leur montrer qu’on existe”. C’est pour ça qu’on a créé le Printemps roannais.
La quasi totalité des médecins généralistes de Roanne en grève
Cette mobilisation était une première à Roanne. Même si les médecins d’ici sont des gens très unis. Entre médecins on s’entend bien, et on échangeait déjà pas mal de mails entre nous. Dès que notre collègue a décidé de lancer ce défi, tout le monde a adhéré.
La mobilisation chez nous était surtout axée autour du manque flagrant de médecins. Avant de créer une loi sur le système de santé, il faut d’abord un nombre suffisant de généralistes. Or on est dans un désert à Roanne. Notre but était de trouver des médecins, et surtout de ne pas décourager les jeunes.
Le mouvement massif de grève du mois de mai était unique en France. La quasi-totalité des médecins généralistes de l’agglomération était en grève. C’était un peu un modèle pour d’autres régions. Ce qu’on espérait, c’est que ça fasse un peu plus effet boule de neige. Et ça n’a pas été le cas. Il faut dire que nous sommes des gens non-syndiqués, et donc les syndicats n’ont jamais été derrière nous. Finalement, on a été un peu tous seuls.
Pendant l’été, notre mouvement est un peu tombé au creux de la vague. Comme partout. Tout le monde est parti en vacances, mais on s’était promis de remettre en place des actions en septembre. Mais quand on a repris, ça n’avait pas la même vigueur qu’au mois de mai. Cette idée de déconventionnement massif, elle existe toujours. Nous avons écrit notre lettre. Nous l’avons envoyée au président de la coordination. Ça reste une menace.
La lettre de déconventionnement est prête
Et la dernière chose qui nous a beaucoup attristés, ce sont les attentats du 13 novembre. Nous étions partis pour une manifestation à Paris. Ça a complètement coupé le mouvement.
Actuellement, on est dans une période d’attente. On est en train de réfléchir sur la conduite à tenir. La lettre de déconventionnement est prête, mais on se pose des questions sur les autres moyens d’agir. On pense à remettre notre carte CPS au Conseil de l’Ordre ou à la Sécurité sociale, histoire de ne plus être sous tutelle de la Sécurité sociale.
Notre combat évolue. La désertification médicale ne va pas se résoudre du jour au lendemain. Aujourd’hui ce que nous voulons, c’est attirer les jeunes médecins. On discute avec les mairies pour créer des maisons médicalisées afin de salarier des médecins. Les jeunes souhaitent avoir des horaires stricts dans leur travail, et le fait de les salarier pourrait les attirer. Ce sont les débats que nous avons actuellement dans la coordination.
Je n’avais jamais fait grève auparavant. Je fais partie du bureau du service de garde du Roannais, je suis impliqué dans mon métier, dans la coordination de mon métier. C’est important. Ça me sort de mon isolement, car c’est de ça dont on souffre. Ça me permet d’avancer, même si certains jours, je suis très découragé.
Le fait de constater que les médecins étaient capables de se mobiliser, et de faire des choses ensemble, ça m’a revigoré. Ça m’a rassuré. Déjà, je me suis rendu compte que tout le monde était comme moi. Et même qu’il y a avait bien pire que moi. Notamment les femmes. Beaucoup de femmes ont envie de déplaquer, et de s’orienter vers une autre médecine, salariée, du travail ou à la Sécurité sociale. On se rend compte de la souffrance morale de nos confrères. Depuis six mois, je vois que beaucoup sont au bout du chemin. Proches du burn out. J’en ai pris conscience particulièrement cette année.
Si je devais retenir une rencontre de cette année, ce serait celle avec le Dr Bouet, président du Conseil de l’Ordre national. C’est quelqu’un de très ouvert et qui nous a beaucoup encouragé dans notre combat. Il a dit qu’il nous comprenait et que cette loi serait délétère pour nous tous. Ce monsieur a fait un tour de France des médecins. Il a été admiratif de ce que nous avons fait. Et il trouvait que nous étions des gens très impliqués dans notre profession, ce qui nous encourage à poursuivre !
On a l’impression que l’Ordre nous écoute
C’est réconfortant d’entendre ce message de la part de l’Ordre. On voit qu’ils font un travail de fond. Ils vont essayer de faire des choses en 2016, ce qui pourrait peut-être aider à ce que cette loi soit retoquée. Jusqu’ici, j’avais plutôt une attitude de défiance vis-à-vis de l’Ordre. On les considérait plutôt comme des gendarmes, qui contrôlent notre façon de travailler. Là, on a l’impression qu’il nous écoute.
Mon souhait aujourd’hui, c’est de retrouver un peu de calme dans la profession, d’apaisement. Histoire d’avoir un peu plus de temps avec mes patients, parce que là, c’est la course du matin jusqu’au soir. Et surtout qu’on ne parle plus de nous en 2016. Qu’on parle d’autre chose. Ça voudrait dire qu’on est enfin dans la concertation, et plus dans le rapport de force permanent.”
Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier