Supprimer le numerus clausus et en finir avec les ECN : voilà deux des propositions avancées par le député UDI Philippe Vigier pour lutter contre la désertification médicale. Pour ce docteur en pharmacie, qui a passé un internat régionalisé, c’est le seul moyen d’éviter que la médecine libérale aille dans le mur. Et il n’exclut pas une certaine régulation à l’installation… Pour le député, la désertification est l’un des éléments qui a poussé les gens à voter pour les extrêmes.
 

 

Egora.fr : Vous faites des propositions pour lutter contre la désertification médicale. Elles passent par une refonte des études de médecine. C’est là qu’il faut agir ?

Philippe Viguier : Ça passe par l’évolution. On est dans le mur, la désertification médicale progresse en France. Pas uniquement dans la ruralité, mais aussi dans les grandes villes, dans les quartiers… Ce phénomène s’aggrave, s’amplifie et c’est ce qui explique que dimanche on ait vu un vote se porter sur les extrêmes. La désertification médicale engendre naturellement beaucoup d’angoisse chez les personnes âgées, les jeunes mamans, ceux qui ont besoin d’un système de soin qui fonctionne. Et aujourd’hui, il ne fonctionne pas.

Vous proposez-donc la régionalisation des ECN ?

L’internat, c’est un concours national classant. Or il faut territorialiser les choses, parce qu’il y a des zones sur-denses et des zones sous-denses en terme de professionnels de santé. C’est ce que j’ai fait. J’ai passé mon internat avec la régionalisation. On pouvait passer trois régions, on avait un certain choix. J’ai choisi Paris, Besançon et Clermont-Ferrand. Et comme j’ai eu les trois, j’ai choisi Paris. Et l’intérêt de cet internat des régions c’est que ça vous territorialise, ça vous sédentarise là où vous faites votre cursus. Vous n’allez pas vous balader n’importe où. Ce qui ne veut pas dire qu’après il ne peut pas y avoir des passerelles entre les régions. On peut imaginer en troisième année, quatrième année d’internat, qu’un étudiant aille faire un échange dans une autre région, et qu’il revienne après. Tant qu’il y en a un autre qui arrive en échange.

Mais au sein d’une même région, on peut avoir des zones désertifiées et des zones denses…

Mais bien sûr ! Mais c’est déjà au moins une première solution. Quand on sait qu’il manque plus de généralistes qu’ailleurs en moyenne dans une région donnée, on peut déjà plus ouvrir les vannes dans cette région que dans une autre. Non ? Ça marche mon truc. On adapte l’offre de formation au besoin de formation.

L’autre point, c’est que la médecine privée libérale est en train d’aller dans le mur. Et Madame Touraine avec sa loi de santé accélèrent cette foncée dans le mur en opposant comme elle le fait privé et public. Alors qu’il devrait y avoir une vraie complémentarité. Elle contribue à la décrédibilisation de la médecine libérale, d’autant qu’il n’y a pas de revalorisation depuis 4 ans. Quand vous cassez la clé dans la porte de votre appartement, vous payez 300 euros et vous dites merci… Et là, vous êtes malade, vous payez 23 euros et comme les gens ne payent rien, ils ne disent pas toujours merci ! La revalorisation est urgente. On ne va pas faire des médecins des travailleurs pauvres…

Vous parlez aussi du numerus clausus. Qu’est-ce que vous lui reprochez ?

Il faut bien comprendre une chose : il y a plus de médecins aujourd’hui qu’il y a 10 ans, la profession s’est beaucoup féminisée, les médecins avaient l’habitude de travailler 80 ou 90 heures, l’évolution de la société fait que, en plus, 9 sur 10 vont dans le public ou le para public. La somme ces quatre éléments, ça vous fait un cocktail détonnant qui fait que le nombre d’heures réalisées par les médecins libéraux est de plus en plus faible. Et c’est normal qu’une femme veuille moins travailler, élever ses gosses, avoir du temps pour elle… et d’ailleurs les hommes font ça aussi ! Mon frère était généraliste, il a travaillé 80 heures par semaine pendant 40 ans. Bon, c’est fini tout ça. Les forçats que nous avons été, c’est fini. La nouvelle génération veut bosser 40 heures. Mais je ne leur en veux pas.

Ça veut dire qu’il faut qu’on ouvre les vannes. Parfois, pour ¼ de point, ½ point certains ne peuvent pas être médecin… Il faut faire sauter le numerus clausus de manière à créer un appel d’air. Il faut faire sauter le numerus clausus, en attendant qu’on torde le cou à la désertification médicale. Il faut le faire pour qu’il y ait un électrochoc. C’est insupportable. Dans ma ville de Châteaudun on a perdu cinq médecins en un an et demi. Tous les jours on me demande si je n’ai pas une combine pour trouver un médecin… Il faut se rendre compte de ce que cela représente !

Et il va falloir qu’on agisse sur la régulation. Il n’y a pas 36 systèmes. J’ai déposé deux propositions de loi, qui ont été repoussées. Soit vous faites une régulation de l’installation, comme pour les pharmaciens. Soit vous dites que dans les zones hyper dotées, on impose le déconventionnement. C’est une voie. Il faut arrêter avec la langue de bois. Après ce qu’il s’est passé ces deux week-ends, je dis les choses encore plus haut et plus fort.

Et ces dispositions ne risquent pas de rebuter certains médecins ?

Si ça les rebute, ça les rebute. Quand vous êtes notaire, est-ce que vous vous installez où vous voulez ? Toute la vie, on a tous des contraintes. Qui n’en a pas ? On ne fait pas toujours tout ce qu’on veut, à toute heure. Personne. Quand vous allez au cinéma, et qu’il y a 100 places. Si vous arrivez 101ème et que vous ne rentrez pas, vous râlez ? Si on ne préserve pas la médecine libérale à côté de la médecine publique, on va dans le mur définitivement. C’est un problème de sécurité sanitaire.

Que pensez-vous de la proposition de Gérard Bapt de repêcher les 1ère années ayant échoué à la PACES pour aller vers de la médecine générale en zone sous-dotée ?

C’est du bricolage ! C’est lui qui a participé à écarter d’un revers de main mes propositions à l’Assemblée nationale sur la lutte contre la désertification médicale. Il essaie de se rattraper au cordage. Mais je ne lui en veux pas de commencer à comprendre qu’il faudra être audacieux et courageux, sinon on n’y arrivera pas. C’est le début d’un petit chemin, mais qu’il vienne plutôt directement sur mes propositions ! S’il est sur la voie de la compréhension, je l’accueille sur mon texte que je suis prêt à faire évoluer. Si on ne renverse pas la table, on n’y arrivera pas.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier