Le président gynéco-obstétricien du conseil de l’Ordre de Haute-Garonne est à l’origine d’un guide Soins et laïcité, qui passe en revue une trentaine de situations médicales où la religion peut interférer avec les soins. Après l’avoir présenté à la faculté de médecine de Toulouse mercredi, journée de la laïcité, Jean Thévenot explique ses motivations et ses préconisations.
Egora.fr : C’est un accouchement problématique en 2013, qui vous a amené à réfléchir à ce guide de de bonnes pratiques médicales Soins et laïcité. Que s’est-il passé ?
Dr Jean Thévenot : Il y a deux ans et demi, j’ai été confronté à un refus de soins par une patiente qui ne voulait pas que je l’accouche, puisque j’étais un homme (Le Dr Thévenot avait raconté cette histoire sur Egora, NDLR). Elle n’a pas eu le choix car il n’y avait personne d’autre, mais la scène avait été suffisamment violente pour que cela soit gênant et perturbant. Le mari était un intégriste, un extrémiste qui a d’ailleurs eu par la suite, maille à partir avec la police, car il était dans une filière djihadiste. Mais je ne veux surtout pas qu’on s’imagine que tous les patients de religion musulmane se trouvent dans des situations de refus de soins, bien au contraire.
A la suite de cet incident, je me suis placé dans une démarche d’amélioration des pratiques, consistant, à partir d’un incident médical extrême, à trouver des solutions pour qu’il ne se reproduise pas. Les refus de soins, cela arrive et concerne souvent des gens qui connaissent mal leur religion, c’est en tout cas ce que nous disent les religieux et les aumôniers.
Comment avez-vous procédé pour travailler ?
Nous avons mis en place un groupe de travail réunissant l’ordre des médecins de Haute Garonne, du Tarn, l’ordre régional de Midi Pyrénées, l’ARS, l’espace éthique régional, des médecins de diverses convictions et des représentants de tous les cultes. Notre groupe a réalisé 14 réunions de travail, pendant deux ans. Nous avons travaillé soit sur des cas cliniques, soit sur des situations particulières qui étaient portées à la connaissance de l’ordre des médecins, puisque nous avions lancé une enquête auprès des médecins de Haute-Garonne. A partir de là, nous avons rédigé une trentaine de fiches résumant les situations qui nous ont été le plus souvent décrites et ce qui nous a semblé être le plus pertinent.
Nous n’avons pas cherché l’exhaustivité, de la naissance à la fin de vie, en passant par les médicaments cacher et halal, les jeunes religieux, la prière dans les lieux de soins, c’est évolutif. Le guide a été présenté à l’occasion de la journée de la laïcité à la faculté de médecine de Toulouse, et il sera diffusé à 13 000 exemplaires en Midi-Pyrénées y compris après des aumôniers et religieux. Nous voulons que ce travail soit largement utilisé, il est consultable sur le site du conseil de l’Ordre de Haute-Garonne et le sera prochainement sur le site du conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM).
Quelles sont les conclusions que vous pouvez tirer de cette consultation ?
Dans certaines situations, on peut être confronté à des croyants qui connaissent mal leur religion et peuvent entrer en conflit avec les soignants qui proposent des soins pertinents. Il y a aussi le cas de croyants qui connaissent bien leur religion, refusent un certain type de soins, ce qui est leur droit, mais il faut alors que les soignants, médecins, sages-femmes, infirmières, puissent les informer. Ce qui sous entend, que ces soignants connaissent eux aussi, la religion en question. Pour moi, la laïcité, ce n’est pas la négation des religions, bien au contraire, c’est la connaissance de la religion du patient que nous avons à soigner. Je ne veux pas dire qu’il faut avoir étudié la Bible, le Coran ou la Torah, mais il faut avoir la connaissance des éléments qui peuvent venir interférer avec les soins.
Je pense notamment au refus de transfusion par un témoin de Jéhovah. Quand on connait le précepte, cela peut aider. Je pense aussi au refus de soins pour sexe du soignant. J’ai discuté avec des imams qui m’ont expliqué que cette interdiction figurait effectivement dans le Coran. J’ai été appelé par un collègue pour résoudre une situation de ce type, une patiente musulmane refusant de subir une césarienne, car le praticien était un homme. La patiente était avec sa mère et son mari, qui clamait qu’aucun homme ne toucherait jamais sa femme… La situation était tendue, l’obstétricien était à bout de nerfs, tout le monde était énervé. J’ai dit au mari qu’effectivement, un croyant doit être soigné par une personne du même sexe. Mais je lui ai également dit que le Coran considérait que la santé était largement prioritaire par rapport au sexe du soignant. Un croyant musulman doit à tout prix se faire soigner, et sa santé est plus importante que tout le reste. Alors la mère s’est levée et à dit au mari : “Tu vois Mohamed, le docteur connaît mieux le Coran que toi”… Du coup, tout le monde a ri, l’atmosphère s’est détendue et on a pu résoudre la question.
Un soignant peut avoir une attitude consistant à dire qu’il ne veut rien savoir au sujet de cette religion, qu’il applique le protocole et rien d’autre. Je pense qu’il faut au contraire comprendre ce que pense le patient, car cela fait partie du soin. Un patient peut être gros, petit, maigre, grand, chauve, ouvrier ou professeur d’université, nous devons lui donne des soins de la même manière, et cela inclue aussi de prendre en compte son sentiment religieux. C’est dans notre intérêt et dans celui du patient.
Avez-vous le sentiment que depuis 2013, année de mise en chantier de votre travail, le climat s’est dégradé de ce point de vue-là dans les établissements ?
Dégradé non, mais on a régulièrement des incidents qui nous sont signalés. J’espère que cette brochure permettra de les limiter.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne
Retrouvez le guide Soins et laïcité, réalisé par le Cdom 31.