Au XVIème siècle, le belge André Vésale, devenu professeur d’anatomie à tout juste 20 ans, révolutionne la pratique de la dissection, encore marginale à cette époque. Et c’est l’une de ses dissections, qui a mal tourné, qui lui a valu d’être condamné à mort lors de l’Inquisition, puis envoyé en pèlerinage pour se repentir. Retour sur le parcours étonnant du père de l’anatomie moderne.

 

En 1553, André Vésale a 18 ans et quitte sa Belgique natale pour s’installer à Paris où il commence des études de médecine. Il loue un petit logement rue de la Grange-aux-Belles, tout près du gibet où sont pendus les nombreux condamnés à mort de la ville. Mais la vue du sang et des cadavres ne fait pas peur à ce jeune étudiant, bien au contraire. A Louvain déjà, son père, apothicaire de Marguerite d’Autriche, habitait lui aussi près d’un gibet. Depuis tout petit, André Vésale est habitué à observer les cadavres et il s’est découvert une fascination pour le corps humain, les organes, les muscles… C’est donc plein de motivation qu’il entre en école de médecine.

Pourtant, la réalité est bien décevante. Les cours ne consistent qu’en la lecture, en latin, des textes anciens de Galien et d’Aristote. Le jeune étudiant fuit alors très vite les amphithéâtres pour se réfugier au gibet, où il récupère des pièces de cadavres qu’il pourra disséquer en cachette.

 

Le cours s’apparente surtout à une boucherie

A cette époque, la Faculté de médecine organise deux dissections annuelles dans un grand amphithéâtre. C’est un barbier qui se charge habituellement de faire la démonstration devant des milliers d’étudiants, tandis qu’un professeur lit en même temps un texte de Galien. A cette époque tout acte de chirurgie est confié à un barbier, qui a à sa disposition les lames les plus tranchantes. Bien souvent, celui qui “opère” à la fac de médecine n’a que très peu de connaissance en anatomie et le cours s’apparente surtout à une boucherie.

Ce matin-là, la dissection hivernale est compromise : le barbier est souffrant. Dans l’assistance, les étudiants commencent à entonner le nom de leur camarade Vésale qui s’est déjà fait une réputation d’expert de l’anatomie. Ce dernier ne se fait pas prier et se met à disséquer devant tout l’amphithéâtre et le professeur, soulagé de n’avoir pas eu à s’en charger lui-même. André Vésale réalise alors une dissection si précise et minutieuse qu’il fascine son auditoire et ses professeurs. C’est ainsi qu’à tout juste 20 ans, il devient professeur d’anatomie et se voit confier dorénavant toutes les dissections menées à la fac de médecine.

André Vésale voit s’ouvrir devant lui une brillante carrière. Mais son avenir est compromis quand François 1er et Charles Quint, empereur du Saint-Empire, entrent en guerre. Vésale, belge, et donc sujet de Charles Quint, est contraint de rentrer chez lui, à Louvain, où il soutient sa thèse. Il devient médecin en 1537, alors qu’il aurait préféré la chirurgie. Mais à cette époque l’Eglise voit d’un mauvais œil la découpe de chair humaine, et un homme savant, qui est allé en fac de médecine, ne pouvait s’abaisser à de tels actes.

 

Il enchaîne les séances de dissections publiques

Le jeune homme décide alors de s’enfuir en Italie, pays avant-gardiste de l’époque. Il s’installe à Padoue où il est nommé professeur d’anatomie. Ici, protégé de l’Inquisition menée par l’Eglise catholique, il enchaine les séances de dissections publiques, qui sont chaque fois suivies par une foule d’étudiants et de curieux. Les autorités de Padoue lui procurent régulièrement des corps et vont même jusqu’à programmer les exécutions en fonction du calendrier des dissections.

C’est à Padoue aussi qu’André Vésale écrit son fameux De humani corporis fabrica, dans lequel il défend que l’anatomie doit être vue, et pas seulement décrite, et fait de la dissection un acte fondamental de la médecine. Pour réaliser ce traité, il fait appel à un ami, le dessinateur Jean van Calcar, chargé de reproduire minutieusement les organes au moment même où ils sont disséqués. Les planches d’anatomie se composent d’un dessin des organes que l’on peut découper puis d’un corps sur lequel on doit placer les différents éléments pour réaliser un être humain en trois dimensions. Plusieurs des théories de Galien y sont réfutées, dans un texte en allemand et non pas en latin. Dans le monde universitaire, c’est une véritable révolution, voire un scandale… Le traité sera en tout cas un immense succès.

Désormais reconnu dans toute l’Europe, Vésale est appelé auprès de l’Empereur Charles Quint dont il devient le médecin personnel. Et il mène une toute autre vie à la cour de Madrid.

 

André Vésale est condamné à être brûlé vif

C’est alors qu’il est appelé en consultation d’urgence par une grande aristocrate. Cette dernière meurt dès son arrivée et le Dr Vésale programme une autopsie pour le lendemain. La famille et plusieurs médecins sont présents, l’anatomiste s’exécute quand soudain le frère de la défunte se lève en jurant avoir vu le cœur bouger à plusieurs reprises. Le “père de l’anatomie” avait autopsié une vivante, il se retrouve donc devant le tribunal de l’Inquisition.

A son procès, on reproche à André Vésale, non seulement d’avoir autopsié une femme alors qu’elle était encore en vie, mais aussi d’avoir déclaré que la femme avait le même nombre de dents que l’homme, d’avoir dénigré les médecins et donné tort à Galien dans la Fabrica. Pour l’Eglise c’est trop : André Vésale est condamné à être brûlé vif.

Heureusement, le roi Philippe II vient au secours du médecin. Il échappera au bucher s’il part faire pénitence à Jérusalem. C’est ainsi qu’André Vésale quitte sa maison, sa femme et ses enfants pour un long pèlerinage vers Chypre puis la Terre Sainte. Après une période de repentance, il a l’autorisation de rentrer. Justement, l’Université de Padoue lui propose de reprendre son poste de professeur d’anatomie. De quoi prendre un nouveau départ, loin de Madrid.

Il trouve une place sur un bateau de pèlerins qui doit le ramener en Italie. Seulement le voyage se transforme en cauchemar. Une tempête arrive et l’équipage n’est pas formé pour y faire face. De plus, la nourriture est avariée et l’hygiène à bord est catastrophique. André Vésale se sent mal, il pense avoir attrapé le scorbut comme de nombreux passagers. Le capitaine du navire le débarque alors sur l’île de Zante, au large du Péloponnèse. A bout de force, seul et sans aucun moyen de se soigner, le père de l’anatomie moderne meurt après quelques jours d’agonie. En réalité, il souffrait du typhus.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : A.B.

 

D’après Ces histoires insolites qui ont fait la médecine, de Jean-Noël Fabiani et Medarus.org.