Une délégation d’élus du conseil national de l’Ordre des médecins (CNOM)* s’est retrouvée, ce samedi, à l’université Claude Bernard de Lyon, face à plus de 200 médecins. Un défouloir où la future loi de santé s’est invitée en vedette américaine. Il s’agissait de la huitième étape régionale sur les douze inscrites dans le cadre de la grande consultation lancée par le CNOM en vue de rédiger une plateforme, émanation des souhaits de la profession.
 

 

Si l’étape lyonnaise a été marquée par la solennité du moment – une minute de silence, nous étions huit jours après les attentats de Paris – elle s’est aussi fait l’écho du bouillonnement d’opposants à la loi de santé, qui veulent plus de soutien de la part de l’Ordre, de jeunes installés venus nombreux demander de l’aide pour remettre d’équerre un système de santé parfois de guingois. Et de plus anciens, affolés de l’avancée des déserts médicaux que les concepts théoriques nationaux n’arrivent pas à endiguer et qui ne veulent ni d’une privatisation vers les mutuelles ni d’une étatisation. Mais au final, tous “reconnaissants” – ils en ont témoigné – de voir l’Ordre venir à leur rencontre pour écouter la parole du terrain.

 

“Ce projet de loi de santé n’est adapté ni à la situation, ni aux enjeux”

“L’Ordre est une institution à inscription obligatoire, nous avons demandé qu’il apparaisse plus dans les institutions publiques”, a expliqué le Président Bouet, après que le film sur la valorisation du métier de médecin, diffusé plus de 800 fois sur les différentes chaînes de télévisions, a été projeté dans l’amphi. “Nous n’avons eu de cesse de répéter depuis mars 2013 que ce projet de loi de santé n’était adapté ni à la situation, ni aux enjeux. Il comporte des éléments qui sont incompatibles avec notre vision de la réorganisation des soins. Nous voulons écouter l’expérience et la parole du terrain et en extraire des propositions concrètes pour construire le système de santé de demain”, a-t-il fait valoir.

Cette consultation ne peut être comparée avec la Conférence nationale de santé organisée par le Premier ministre, qui se tiendra en février. “Nous, on parlera de tout”, a tâclé le président. A savoir (liste non exhaustive) les difficultés de tous les exercices, la formation, initiale et continue, l’absence de visibilité pour les futurs médecins, l’inexistence de profil de carrière pour les libéraux malgré l’expérience, les difficultés d’accès aux soins, les modes de rémunération, les relations avec les caisses, les normes qui recouvrent tout, les difficultés de l’exercice interprofessionnel, les difficultés d’accès aux soins, etc.

Patrick Bouet en est persuadé : le vote de la loi de santé par le Parlement est “inéluctable, les parlementaires veulent tourner la page” (le vote ultime de l’Assemblée nationale a lieu ce mardi, celui du Sénat, vers le 15 décembre), mais ce n’est pas une raison suffisante pour “baisser les bras, car ce n’est pas parce qu’elle est votée que la loi sera applicable. Il faut maintenant faire en sorte que certains éléments ne soient pas applicables”.

Le calendrier plaide en ce sens, estime le président de l’Ordre : en 2016, on connaîtra les programmes du monde politique, “qui vont chacun porter les propositions de la profession” et en 2017, année électorale, ce sera la période de toutes les promesses. Une fois l’élection passée, “la majorité élue gouvernera en fonction des programmes et des forces majoritaires et il y aura une loi de réforme du système de santé, qui proposera un autre contrat professionnel. L’Ordre portera les propositions de la profession”, a relaté le président du CNOM. Une autre loi car cette loi de santé qui ne comporte pas de volet formation, est “vouée à l’échec”.

 

“La maison médicale n’est pas le modèle de demain”

“L’accès aux soins n’est pas garanti par le tiers payant”, a lâché un médecin généraliste du Rhône. “Pour les personnes âgées, on a un gros problème de transports, qui ne sont souvent plus pris en charge. Comment les faire venir dans les maisons médicales ? Il en faut, mais il faut aussi des transports”, a–t-il témoigné.

“Nous n’avons cessé de dire que le tiers payant n’apporte rien de plus en matière d’amélioration du système de santé, nous ne l’accompagnons pas. Mais nous n’avons pas été entendus à la hauteur de ce que nous disons depuis 2013”, a reconnu Patrick Bouet. “La maison médicale n’est pas le modèle de demain. Il faut construire le cabinet virtuel, on a des intérêts communs à agir en coopération avec d’autres acteurs, car ils sont porteurs de résultats”, a-t-il plaidé.

Pour l’Ordre, qui ne s’est pas fait que des amis à l’association des maires de France, le concept de proximité doit être redéfini, en favorisant la mobilité des personnes et redéfinissant les enjeux professionnels. “Les maisons médicales ne sont pas un modèle unique, elles ne peuvent pas survivre au problème de financement et certaines vont fermer” prophétise le président du CNOM. Les délégations de tâches doivent s’envisager à partir des champs de compétences communs ou superposés entre médecins, infirmiers et kinésithérapeutes, a-t-il ajouté.

“Qu’on nous laisse du temps pour soigner, assez d’administratif”, a lâché un généraliste de Villeurbanne, “Aidez-nous à travailler ensemble, les médecins sont trop concurrentiels, le métier n’est plus attractif depuis longtemps”, a affirmé une jeune généraliste installée depuis 5 ans, “Dites clairement que vous êtes contre la loi de santé”, a supplié un adhérent de l’Ufml. “Nous craignons pour le secret médical avec l’open-data, on nous met pieds et poings liés face aux mutuelles et aux assurances”, a dénoncé un généraliste de Saint Etienne…

De fait, comme l’a résumé Patrick Bouet, “on ne sait pas où les pouvoirs publics veulent aller, vers la solidarité nationale ou un système concurrentiel avec les assurances complémentaires ?” Pour le président de l’Ordre, le gouvernement glorifie le parcours de soins, mais donne le champ libre aux complémentaires “qui créent des parcours avec des coupes fils”. Bref, “il faut de la lisibilité du système, en fonction des missions nouvelles, santé publique, prévention. Des tâches pour lesquelles le paiement à l’acte ne peut être l’alpha ou l’omega. On a le sentiment que le mode de rémunération libéral est en bout de cycle”.

 

“On n’est pas au courant de ce que vous faites, vous ne nous aidez pas”

“A quoi sert l’Ordre ? ” lance un participant. “On n’est pas au courant de ce que vous faites, vous ne nous aidez pas, pour la loi sur l’accessibilité, on a tout fait tous seuls, pour la mise en place de la loi ANI (protection complémentaire obligatoire des salariés)”, “pareil”, a renchérit une jeune consoeur…

“Si nous sommes là aujourd’hui, c’est pour que cela bouge. Les Ordres ont toujours demandé à être présents dans la formation. Nous avons souhaité, dans le cadre de la loi de santé, à avoir plus de pouvoirs pour agir au nom de la profession”, a répondu Patrick Bouet, enjoignant la salle à “aller sur le site, lire le fiches pratiques, lire les bulletins nationaux et régionaux. Il faut aller chercher l’information, je vous engage à être curieux !” a-t-il exhorté.

 

* Patrick Bouet, président du CNOM, Walter Vorhauer, secrétaire général, François Wilmet, délégué général aux relations internes et Patrick Romestaing, pour Rhône-Alpes.

 

La grande consultation ordinale comporte plusieurs outils, au-delà de la campagne publicitaire télévisée, pour la valorisation du métier : une série de 12 réunions en région avec les médecins, une grande consultation en ligne accessible depuis le 12 octobre, des rencontres avec 70 acteurs du monde de la santé à Paris et enfin une consultation des patients. Les résultats de la grande consultation par questionnaires auprès des médecins seront dévoilés le 16 décembre prochain. Le projet annoncé sera présenté en début d’année prochaine.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine Le Borgne