Le contexte international actuel fait du bioterroriste une menace réelle et immédiate. La variole est l’arme furtive par excellence. Un stock de 250 000 doses du vaccin, avec un coût équivalent à un ou deux chars Leclerc, permettrait à la France de protéger sa population, et particulièrement les jeunes générations qui, elles, ne sont pas vaccinées.

 

Daesh contrôle aujourd’hui de vastes territoires, ce qui lui donne potentiellement accès à d’importants matériaux, des hôpitaux, des universités et des laboratoires. Parallèlement, ce groupe cherche de plus en plus à séduire et à cibler des recrues ayant des compétences en biologie et en chimie. C’est pourquoi les experts réunis lors d’un débat intitulé “Maladie infectieuses ré-émergentes : enjeu de santé publique ou de sécurité nationale ?”, le 4 novembre dernier, avant les attentats de Paris, avaient souligné l’urgence à se préparer à faire face aux menaces que constituent les maladies infectieuses réémergentes pour les populations. Ils se sont appuyés sur les exemples de la variole et de la récente gestion de la crise Ebola pour essayer d’éclaircir la manière dont les États doivent anticiper.

Le Haut Conseil de santé publique (HCSP) a émis un avis en décembre 2012 encourageant les autorités à réviser le plan variole français : constitution d’un stock de vaccins de troisième génération à destination des intervenants de première ligne. Ce plan consiste à permettre à la France d’être préparée contre l’éventualité d’une attaque bioterroriste qui utiliserait le virus de la variole. Lors de ce débat, les trois experts présents, Andrew C. Weber (coordinateur adjoint pour la réponse Ebola au département d’État des États-Unis, et ancien secrétaire adjoint à la Défense pour la sûreté nucléaire, chimique et biologique sous la présidence de Barack Obama), Mario Faure (président de l’Union des associations d’auditeurs de l’Institut des hautes études de Défense nationale) et le Pr Patrick Zylberman (professeur titulaire de la chaire d’histoire de la santé à l’École des hautes études en santé publique) se sont mis d’accord sur le fait qu’il fallait rapidement agir et qu’une décision politique devait être prise.

Andrew Weber a introduit son propos en partageant son expérience dans la lutte contre les proliférations nucléaires, chimiques et bactériologiques au sein du département d’État des États-Unis. Cela l’a amené à insister sur deux points fondamentaux concernant la menace bioterroriste : le contexte international actuel en fait une menace réelle et immédiate ; la nécessité d’une concertation internationale pour s’y préparer et s’en prémunir. Il a rappelé que nous avons une connaissance historique des pays étant capables et désireux de développer des arsenaux chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN) à l’échelle industrielle. Cette connaissance s’ajoute aux progrès technologiques et à la présence des groupes comme Daesh ou Al-Qaïda.

 

“La variole, c’est l’arme furtive par excellence”

Le Pr Zylberman a rappelé les conséquences que la crise Ebola a pu avoir sur les structures étatiques des pays concernés par le virus en parlant de “structures publiques en ruine”. Il a rappelé la théorie de la dissuasion by denial développée par Sam Nunn en 2001 : il s’agit pour un État, dans l’éventualité d’une menace bioterroriste, de préparer en amont de celle-ci un plan de réponse. “S’agissant du cas de la variole, c’est l’arme furtive par excellence. Le virus a été officiellement déclaré éradiqué à l’échelle globale en 1980. Plus de trente ans après le début des discussions à Genève, les échantillons de virus de la variole conservés aux États-Unis et en Russie n’ont toujours pas été détruits. Si la variole était réintroduite sur le territoire, ce ne pourrait être que de manière criminelle”, a expliqué Patrick Zylberman. Il a ainsi indiqué que la révision du Plan variole conseillée par le HCSP en décembre 2012 était conditionnée à la mise sur le marché de vaccins non réplicatifs dits de troisième génération, destinés aux intervenants de première ligne. La vaccination généralisée de la population n’est pas conseillée par le HCSP.

Mario Faure a mis l’accent sur deux aspects entourant la révision du plan variole français : le processus décisionnel et la balance coûts/bénéfices d’une telle révision. Il a indiqué qu’aucune décision politique n’a encore été prise. “La révision du plan variole est un cas typique de ce que je nomme le triangle des Bermudes décisionnel, confie Mario Faure. Il est de la responsabilité des États de prendre la décision de constituer un stock de vaccins afin de protéger leurs populations face à l’éventualité d’une menace bioterroriste. Les États sont les seuls clients susceptibles d’acheter ce type de vaccins. Dans la mesure où les règles de l’économie de marché ne s’appliquent pas à ce type de commandes, les États se doivent de s’assurer que les laboratoires les ayant développés puissent continuer à en produire.” Au regard du coût très modique que représente la constitution d’un stock de 250 000 doses du vaccin de troisième génération recommandé par le HCSP, Mario Faure a rappelé qu’un tel stock permettrait à la France de se doter d’une capacité de dissuasion efficace face à la menace variolique, “ce qui découragerait assez logiquement toute action malintentionnée à l’encontre du pays”. L’équivalent du coût d’”un ou deux chars Leclerc” permettrait ainsi à la France de protéger sa population, et particulièrement les jeunes générations qui, elles, ne sont pas vaccinées.

 

“Un stock de vaccins suffisant pour faire face à la menace”

“S’appuyant sur l’exemple de la gestion de la crise Ebola, nous constatons la nécessité de constituer des partenariats interétatiques face à ce type de menace en favorisant en amont des stratégies communes pour s’y préparer. En ce qui concerne la variole, les États-Unis ont aidé à financer le développement d’un nouveau vaccin et ont constitué un stock suffisant pour faire face à la menace présentée par ce virus, a souligné Mario Weber. J’aimerais encourager les autres États à coordonner ce type d’initiatives afin d’être préparés, car il est dans l’intérêt de tous qu’il y ait un stock mondial de ce type de vaccins. Malheureusement, il n’y a aucune circonscription électorale pour ces types de décisions politiques. Cependant, quand il s’agit du bioterrorisme, les enjeux ne respectent ni les lignes politiques ni les domaines de compétences des différents ministères”, a-t-il conclu.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Dr Philippe Massol