Il a suffi d’une petite phrase, reprise dans les médias : les médecins seraient les premiers fraudeurs à la Sécu. Et voilà le Dr Bertrand Legrand monté au créneau. Dans un contexte de mobilisation des médecins contre la loi de santé, le généraliste a enfilé son costume de justicier pour dénoncer cette contre-vérité qui porte atteinte à l’image des médecins.

 

C’est en lisant la presse sur internet, en fin de journée, que le Dr Bertrand Legrand est tombé sur une phrase, au détour d’un article sur les fraudes à la Sécu, qui l’a fait bondir. “Le cas classique, c’est le médecin qui facture des visites à domicile fictives, en tiers payant, et qui remplit et signe les feuilles de soins à la place de l’assuré”, indique un article des Echos.

Le texte s’appuie sur des données de l’Assurance maladie, qui communique les “chiffres clés de la lutte contre la fraude en 2014” et met en avant le fait que les professionnels de santé sont les premiers tricheurs. En effet, sur les 196,2 millions d’euros de fraude repérés en 2014, plus de 73 millions (37%) sont dus aux professionnels de santé.

 

“C’est la profession qui est attaquée ! C’est de la diffamation”

Mais le document de la Sécu ne rentre pas dans le détail des professionnels de santé, et ne donne aucun chiffre sur les médecins.”Avec cette petite phrase, la journaliste laisse entendre que ce sont les médecins qui fraudent le plus ! Ce sont les seuls professionnels de santé qu’elle mentionne et elle parle de ’cas classique’”, s’alarme Dr Legrand. Pour autant, cet abus de langage ne saurait être reproché aux seuls Echos. Plusieurs médias ont repris l’information, et certains n’ont pas hésité à titrer “Fraudes à l’assurance maladie : Les médecins sont les premiers tricheurs.”

Remonté, le fondateur de l’Observatoire du tiers payant qui recense les problèmes rencontrés par les médecins dans leur pratique, a alerté les responsables syndicaux, sans grand succès pour le moment.”Naturellement, les médecins qui font des actes fictifs méritent d’être sanctionnés. Mais là, c’est la profession qui est attaquée ! C’est de la diffamation. Et on ne parle pas d’un journal à petite diffusion”, regrette-t-il. D’autant que le contexte politique est sensible, à l’heure où la loi de santé s’apprête à être votée dans la version voulue par Marisol Touraine, contre l’avis de nombreux médecins. “Une affirmation comme ça, à la veille d’une grève, c’est moche”, glisse le Dr Legrand.

Agacé par ce détournement, le généraliste de Tourcoing a donc passé une bonne partie de la nuit à débusquer et à éplucher les rapports d’activités des CPAM département par département. “Pour le moment, j’en ai lu une vingtaine. Je vais tous les retrouver et les publier”, promet Bertrand Legrand. D’après ses premières recherches, les médecins sont loin d’être les premiers fraudeurs. “Dans le Haut-Rhin, il y a eu deux cas de médecins fraudeurs, sur 123 cas de fraude. Dans le Rhône, c’est cinq médecins sur 38 cas ; en Loire-Atlantique, c’est 15 médecins pour 881 cas… Ce ne sont pas les médecins qui sont majoritaires. Dans plusieurs départements, il n’y en a même aucun. Chez les professionnels de santé, ils sont derrière les infirmiers ou les kinés…”, assure le généraliste, qui regrette au passage que les caisses ne distinguent pas dans leurs statistiques les fraudes et les indus, pour lesquels il n’y a pas de faute du médecin. L’autre problème, ajoute-t-il, c’est que l’Assurance maladie ne donne pas le détail au niveau national. Ce qui peut prêter à confusion pour le grand public.

 

La fraude : 0,1% du budget de la Sécu

“Dire médecins pour parler des professionnels de santé, c’est vrai que c’est un peu englobant. C’est une formule un peu abusive”, plaide la journaliste des Echos, qui se défend de toute intention cachée et regrette les proportions prises par sa formule maladroite. Quant à l’exemple du médecin fraudeur lors d’une visite en tiers payant, il ne sort pas de son imagination. C’est l’Assurance maladie, dans une note datant de mars 2015, qui liste des exemples de fraudes et de sanctions. “La facturation par un médecin d’actes non réalisés, c’est le fait pour un médecin d’avoir facturé des visites à domicile, en tiers payant, sur des feuilles de soins papier remplies et signées par lui-même en lieu et place des assurés sociaux”, indique le site ameli.fr repris par Les Echos et de nombreux médias.

Pourtant, plutôt que de gonfler la polémique, d’autres préfèrent s’en tenir aux chiffres, et rappeler que ces 196 millions d’euros de fraude sont à mettre en relation avec des 178 milliards d’euros de dépenses de santé en 2014. Soit 0,1% du budget.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier