La France a énormément d’atouts pour se lancer dans l’accueil à grande échelle des patients étrangers, mais elle souffre d’autant de lourdeurs. Auteur d’un rapport remarqué sur la valorisation de la France dans ce secteur d’activité*, Jean de Kervasdoué** a répondu à nos questions, entre deux avions pour l’Arabie Saoudite où le professeur du Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM) œuvre au développement des échanges dans le domaine de la santé et de la formation.
 

 

Egora.fr : A la lecture de votre rapport et au vu du contexte international, on a le sentiment que notre pays a de gros atouts. Comparativement à d’autres pays, nos soins ne sont pas chers, notre médecine a une excellente réputation. Mais cette activité semble passablement en retard…

Jean de Kervasdoué : Ce marché s’est développé pour deux raisons. La première c’est que l’on trouve dans le monde aujourd’hui, des centaines de millions de personnes qui gagnent aussi bien leur vie que les Français les plus aisés. On estime que 300 millions de personne gagnent autant que 5 % des Français les plus riches dans les pays du Sud, en Chine, en Inde, en Amérique latine et dans les pays du Golfe. Or, ces personnes lorsqu’elles tombent malade, n’ont pas toujours une grande confiance dans leur système de santé national. Ensuite, il y a internet qui permet de trouver les services les plus réputés au monde, avec leurs conditions et leurs tarifs. Dès lors, les patients prennent l’avion et voyagent. Beaucoup de pays, notamment l’Asie et la Thaïlande, mais aussi l’Inde, Israël et la Turquie et, en Europe, l’Allemagne ont développé cette activité.

Nous avons une excellente médecine et une excellente chirurgie. Mais pour rendre ce service, il faut en passer par des contraintes de droit public à commencer par la politique des visas. Cette politique a été très restrictive après les décisions prises par le Président Sarkozy, et donc nous avons limité le nombre de médecins que nous acceptions et que nous formions. Il est devenu difficile de trouver des visas pour les patients et leurs familles. Ce facteur limitant devrait sauter. Et puis, alors que nous avons formé de très nombreux médecins étrangers, nous n’avons pas toujours fait vivre ce réseau formidable de gens qui nous sont reconnaissants. Ensuite, nos établissements hospitaliers publics et privés ont besoin pour l’accueil, de gens qui parlent anglais essentiellement, mais aussi arabe, russe et éventuellement espagnol à tous les échelons de la hiérarchie.

La France a une longue tradition humanitaire, qui l’amène à prodiguer gratuitement des soins. Or, vous soulignez le fait que certaines de ces personnes prises en charge seraient en capacité d’acquitter le cout de leurs soins.

Nous soignons énormément de gens gratuitement, cela se chiffre en centaines de millions. Je note d’ailleurs que les arguments qui sont utilisés pour critiquer le concept de soins payant aux étrangers, ne sont pas mis en avant lorsqu’il s’agit de soins gratuits. Ensuite, lorsqu’un patient étranger se présente dans un hôpital, fut-il assuré américain, britannique, canadien ou australien, on ne lui demande pas toujours ses références assurantielles. On sait bien que la rapidité des services de facturation des hôpitaux publics – qui dépendent du Trésor – n’est pas toujours frappante. Ce qui fait que l’on envoie six mois après une facture à un patient, sans avoir demandé d’autorisation préalable… Il ne faut pas dire que l’Arabie saoudite ou les USA nous doivent de l’argent, c’est faux. Ce sont les assureurs privés de ces pays qui nous en doivent.

Dans la période de restriction budgétaire que nous traversons, y a-t-il toujours la volonté politique de faire avancer ce dossier ? Le rapport Attali pour libérer la croissance, qui date de 2008, proposait déjà cette piste pour renflouer l’assurance maladie…

L’argument se retourne. Soigner des malades étrangers qui solvabilisent leurs frais, cela contribue à la rentrée de devises en période de difficulté budgétaire et au développement de nos établissements. Certes, cela ne sera jamais à la hauteur des sommes nécessaires : dans le domaine de la santé, les sommes sont considérables, les dépenses hospitalières s’élèvent à 90 milliards d’euros. Ici, on avance le chiffre de 2 milliards d’euros bruts, pour les soins aux patients étrangers, objectif atteignable en cinq ans. Cela peut contribuer utilement à la marge de certains établissements.

Mais pour réussir ce pari, il faut procéder à d’importants investissements…

Quand on veut faire des affaires, il faut investir. Il n’y a rien de nouveau là-dedans.

Vous demeurez confiant ?

Oui car nous avons beaucoup d’excellents échos avec les établissements hospitaliers autant publics que privés. Je crois que le secteur privé non lucratif et le secteur privé répondront plus vite que le secteur public. Et je pense que la province répondra aussi plus vite que Paris. Mais j’espère être démenti.

 

Les entraves à l’expansion de cette activité en hospitalisation publique et privée

– Elle s’est développée jusqu’ici dans la confidentialité. L’opinion publique n’y est pas favorable car elle craint que cela nuise à la qualité de tous les autres soins,
– L’Ordre des médecins interdit la promotion, la publicité d’une équipe médicale ou d’un médecin, ce qui rend difficile leur identification sur internet. L’Ordre devrait assouplir cette doctrine,
– Longueur du délai de réflexion entre la consultation et une intervention chirurgicale (15 jours pour la chirurgie plastique et réparatrice), mal comprise par un patient qui a déjà murement réfléchi à son opération,
– Difficultés pour l’obtention d’un visa, tant pour les patients qui viennent se faire soigner et leur famille, et les médecins qui veulent venir se former en France,
– La procédure des quotas des résidents étrangers est inadaptée, qualifiée de “longue, lourde, nationale et inefficace”,
– Insuffisance du parc d’équipements lourds qui conduit les patients à des délais d’attente “injustifiés” et des examens inutiles,
– Méconnaissance des langues étrangères, à commencer par l’anglais, par les personnels d’accueil,
– Le statut des agents commerciaux qui jouent déjà les intermédiaires entre établissements, n’est pas défini. Il n’existe pas d’agréments.
– Pour les établissements du secteur public, la séparation entre ordonnateur et comptable amène parfois à attendre plusieurs mois, le remboursement d’un trop perçu qui peut atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros.
– L’établissement public est contraint de passer un appel d’offre, pour traiter avec un prestataire en charge de la conciergerie (hôtellerie) ou des voyages. Peu compatible avec des décisions qui peuvent être à prendre dans l’heure.
– Difficulté de faire des devis et de négocier des prix. Un devis prend plusieurs jours, et ne peut s’appliquer qu’à un tarif pré-défini.
– Gel du recrutement dans une activité où il faut investir.
– Le rapport souligne la piètre qualité de l’hôtellerie et de la restauration hospitalière. Alors qu’avant l’entrée et après sa sortie, le patient va rechercher un hôtel de qualité internationale.
– Les praticiens ne savent pas, avec ce type de patients, comment concilier leur éthique avec l’intérêt de l’institution qui les emploie.
– Chaque hôpital devra lever l’ambiguïté qui existe entre cette prise en charge, jusqu’alors dans le service “privé” du patron, et son extension à tout le service. Le fait que les patients demanderont un forfait “tout compris” devrait permettre de lever toute ambigüité dans la matière, espèr ent les rapporteurs.
– Pour le secteur privé, qui souffre de la lourdeur de certaines normes, une TVA de 20% est prélevée sur les actes de chirurgie esthétique, ce qui n’est pas le cas dans de nombreux pays étrangers.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin

 

* Valoriser les atouts de la France pour l’accueil des patients étrangers par Jean de Kervasdoué. Juin 2014.

** Jean de Kervasdoué est titulaire de la chaire d’économie et gestion des services de santé au Conservatoire national des arts et métiers.