Pionniers des mouvements contre la loi de santé, initiateurs du Printemps de Roanne, les médecins généralistes viennent de voter en assemblée générale, pour un déconventionnement massif en cas d’adoption de la loi. 98% des médecins généralistes roannais étaient en grève la semaine dernière. Ils déplorent de ne pas être entendus par le ministère. Philippe Mottet, l’un des leaders du mouvement de Roanne répond à nos questions.
 

 

Egora.fr : Après une semaine de grève contre la loi de santé, quelle est la prochaine étape ?

Dr Philippe Mottet : Nous sommes montés d’un grade et nous menaçons de nous déconventionner. L’idée d’un déconventionnement a été adoptée en assemblée générale si la loi devait être appliquée. Nous allons nous réunir de nouveau jeudi et établir toutes les modalités nécessaires pour se déconventionner. Il nous faudra écrire une lettre de déconventionnement que nous allons donner à un huissier. Si la loi devait être appliquée, cette lettre serait immédiatement envoyée à la sécurité sociale.

Vous sentez-vous prêts à sauter le pas du déconventionnement ?

Nous ne sommes pas pris en considération par le gouvernement. La ministre n’a jamais daigné nous écouter ni nous parler. Nous sommes perçus comme des gens indésirables pour un quelconque dialogue, en conséquence, nous sommes prêts à y aller. Nous allons retrouver notre liberté d’exercer. Nous allons pouvoir mettre en action notre façon de concevoir la médecine. Nous ne ferons pas une médecine qui sera dirigée par les mutuelles, qui décideront des traitements que l’on devra donner aux patients, de leur hospitalisation…

En vous déconventionnant, ne redoutez-vous pas de faire une médecine sans patients ? N’avez-vous pas peur ?

On a toujours peur. Nous aimerions mieux que les choses se fassent de façon plus logique dans un dialogue apaisé. Mais si nous n’avons plus le choix, nous serons obligés de le faire. C’est la loi qui est liberticide. N’oublions pas que c’est la loi qui a pour but de donner la santé aux mutuelles. Ce sont elles qui dirigeront tous les remboursements. Elles vont pouvoir décider, en fonction des antécédents des patients, de leurs maladies ou du traitement qu’ils prennent, du taux de cotisation qu’ils vont devoir payer. Cela va entraîner une augmentation considérable des cotisations. Les gens ne pourront plus payer leur mutuelle.

Oui mais pour l’instant, c’est surtout la sécurité sociale qui rembourse les consultations. En vous déconventionnant, vous allez être accusés de prendre les patients en otage…

C’est plutôt le gouvernement qui nous prend en otage. Depuis six mois, nous essayons de leur parler. Nous voulons leur dire que cette loi est liberticide pour les patients comme pour les médecins et qu’il ne faut pas en arriver là. Nous n’avons plus d’autre solution que de retrouver nous-même notre liberté.

Comment s’est déroulé le vote pour le déconventionnement lors de l’Assemblée générale ?

Cela a été rapide. Chacun a donné son avis. A 98%, nous avons pris la décision de nous déconventionner. Il y a juste eu deux ou trois médecins qui n’ont pas voulu se prononcer à l’instant T. Nous avons prévu de dialoguer et nous déciderons ensemble de nous déconventionner à une date précise. Notre déconventionnement est lié au fait que nous refusons l’application de cette loi. Si le gouvernement décide de revenir sur cette loi, nous ne déconventionnerons pas.

C’est très peu probable…

Il va falloir qu’ils réfléchissent à l’avenir de la santé. La santé ne peut pas se faire sans les médecins généralistes. Il va bien falloir à un moment ou l’autre qu’ils discutent avec nous. Nous nous déconventionnerons tous massivement et collectivement. Si le gouvernement revient sur sa loi, nous nous reconventionnerons.

D’autres mouvements, notamment en Bretagne ont prévu de ne pas appliquer la loi. Et si l’un d’eux est sanctionné, ils se déconventionneront tous. Pourquoi plus simplement ne décidez-vous pas de ne pas appliquer la loi ?

Si la loi est appliquée, nous serons dans l’obligation de la suivre. Notre seule façon de ne pas l’appliquer sera de nous déconventionner. Nous n’aurons pas le choix. C’est notre dernier recours.

Que reprochez-vous au gouvernement ?

Nous aurions aimé que le gouvernement ait au moins l’intelligence d’expliquer cette loi. Le tiers payant généralisé ne représente rien par rapport à tout ce qu’il y a derrière. Ce tiers payant généralisé est obligatoire pour pouvoir appliquer le reste de la loi, à savoir diminuer la part de remboursement de la sécurité sociale et livrer la santé aux différentes mutuelles.

Nous ne sommes pas pris au sérieux par le pouvoir. C’est le silence total. Personne n’a jamais essayé de comprendre pourquoi nous sommes tous en colère. La ministre a même dit qu’elle ne croyait pas à la colère des médecins. Il faut qu’elle sorte de son ministère et qu’elle descende dans les campagnes et dans les villes moyennes pour comprendre ce qu’est la santé à l’heure actuelle. Nous souffrons. C’est un véritable désastre sanitaire. Il n’y a plus de médecins. Les derniers médecins courageux ont envie de faire autre chose. Nous n’allons pas pouvoir tenir très longtemps à ce rythme.

Avez-vous été contactés par d’autres coordinations qui elles aussi envisagent le déconventionnement massif ?

Oui tout à fait. La Bretagne et la Martinique seraient prêtes. Ça bouillonne…

Quel est le programme des jours à venir ?

Nous allons nous réunir jeudi et établir des groupes de travail pour étudier les conséquences du déconventionnement sur les remboursements, la comptabilité, etc. Puis nous nous retrouverons d’ici une quinzaine de jours pour mettre en commun toutes les informations et pour écrire notre lettre de déconventionnement qui sera adressée à l’huissier.

 

La Bretagne soutient Roanne

Président du CODTS (Comité d’organisation et de défense du territoire de santé) de Quimper, le Dr Nikan Mohtadi comprends l’exaspération des médecins roannais et soutient leur menace. “Nous ne sommes pas exactement dans la même démarche. Nous en Bretagne, sommes réunis au sein d’une structure associative. Si la loi passe, nous nous sommes engagés à ne pas l’appliquer. Et si l’un de nous est sanctionné, nous nous déconventionnons tous.” Le Dr Mohtadi regrette que les médecins ne soient pas écoutés par le gouvernement. “Le déconventionnement n’est pas un objectif mais un moyen de dissuasion. Avec les médecins de Roanne, nous avons le même diagnostique mais notre traitement est différent”, analyse le généraliste breton. “Si nous continuons à ne pas être entendu, je crains que l’exemple roannais ne se propage dans toute la France”, prévient-il.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin