La proposition de loi du député-maire (Les Républicains) Daniel Fasquelle ne contient que deux articles. Mais ils ont la froideur de deux balles de 7-65, pointées vers la loi Leroux sur les réseaux de soins mutualistes, adoptée en décembre 2013 après une année de remous et de manifestations. Frédéric Bizard, maître de conférence à Science-Po et économiste libéral réputé, soutient cette initiative.

 

La proposition de loi Fasquelle rappelle “le droit du malade au libre choix de son praticien et de son établissement de santé, principe fondamental de notre législation sanitaire”. Elle interdit, dans son article 2, aux compagnies d’assurance, mutuelles, organismes de prévoyance ou la sécurité sociale elle-même “de pratiquer ou de proposer des remboursements différenciés pour un soin, une prestation ou un dispositif identique.” Pas un mot de plus.

“Une proposition de loi étendant les réseaux de soins aux médecins est déjà sans doute écrite”, a prophétisé jeudi matin devant une salle comble, l’économiste de la santé et maître de conférences à Sciences Po Frédéric Bizard, faisant référence à la “détermination” de la Mutualité française à cet égard. Certes le calendrier politique couplé à l’agitation dans le monde de la santé libéral, ne penche pas vraiment pas en faveur des mutuelles d’ici la fin du quinquennat. Mais demain ?

 

“Marchandisation du soin”

Alors que l’intention du gouvernement, en 2012, était clairement d’inclure les médecins dans les réseaux conventionnés, la PPL (proposition de loi) Leroux n’a plus retenu un an et bien des manifestations et grèves d’internes plus tard que les secteurs de l’audioprothèse, du dentaire et de l’optique. Désormais, la loi permet aux mutuelles d’offrir à leurs adhérents, comme les assurances privées pouvaient le faire, du tiers payant et des remboursements différenciés, c’est-à-dire à la hausse, par rapport aux remboursements hors réseaux. Ce qui, pour le député maire, “affaiblit l’un des principes fondamentaux de notre système de santé : le droit du malade au libre choix de son praticien. On fait des patients une clientèle captive de certains professionnels de santé, entrainant une certaine marchandisation du soin”, a-t-il dénoncé pour justifier sa proposition de loi. Les huit principaux réseaux cumulent aujourd’hui 38 millions d’assurés et associent en moyenne 13 % des opticiens, 9 % des dentistes et 41 % des audioprothésistes. Les réseaux sont portés par des plates-formes commerciales au sein desquelles se regroupent plusieurs organismes complémentaires. Pour ce service, les mutuelles paient à la plate-forme une somme entre 3 et 5 euros par personne, payée par chacun des adhérents. Alors qu’un mutualiste sur cinq seulement, utilise ce service…

C’est un fait, estime Daniel Fasquelle qui s’appuie sur les travaux de Frédéric Bizard, les réseaux de soins sont loin de répondre aux labels qu’on leur accole, plus de justice et meilleure accessibilité aux soins. “Les réseaux, c’est un accord prix-volume-qualité. Les opérateurs de ces réseaux contractent périodiquement pour diminuer les coûts des prestations en contrepartie d’un apport de clientèle.”

 

“Le bilan des réseaux est globalement un échec”

Le réseau doit atteindre une taille critique pour offrir des prix bas aux adhérents, et un volume d’activité suffisant au professionnel de santé. Or, ce qui marche pour le secteur automobile, ne marche pas pour la santé “ce principe n’est pas compatible avec la diversité humaine et la complexité de la maladie”. Pour Frédéric Bizard, “le bilan des réseaux est globalement un échec, un réseau, c’est une stratégie de gestion du risque, avec hausse continue des primes : + 3,5 % en moyenne annuelle.”

S’appuyant sur les exemples des réseaux existants aux Etats-unis, l’économiste enfonce le clou en estimant que “c’est l’échec sanitaire et économique des réseaux de soins qui a permis la réforme Obama, alors que les Américains sont plutôt partisans du libre arbitre et redoutent les systèmes collectifs et égalitaires”. Or, les résultats sanitaires américains sont mauvais : 50 % de la population est atteinte de diabète ou en situation de pré-diabète ; le coût de gestion des réseaux a été établi à 600 dollars par habitant contre 280 dollars en France ; la politique de prévention est inexistante. Le seul point positif à ses yeux, concerne les prix bas. “Mais, précisément, le meilleur argument de vente pour les assureurs privés en Amérique, ce sont les réseaux, qui offrent des prestations médiocres et des soins low cost de piètre qualité”.

Pas question, pour le député-maire Fasquelle, que ce dispositif en opposition avec les principes fondateurs de notre sécurité sociale, s’étende dans notre pays. Là aussi, il pointe un échec. “La France présente un taux de renoncement aux soins pour des raisons financières de 15,4 % de la population. Elle est le deuxième pays européen au taux de renoncement le plus élevé, principalement pour les soins d’optique et dentaire. Incontestablement, cette technique de gestion du risque santé n’a pas permis de résorber l’accès aux soins où elle est en place depuis deux décennies. Elle n’a pas non plus permis de limiter la hausse des primes ou cotisations des contrats qui n’ont cessé de croître depuis des années”, a-t-il dénoncé.

Pour Frédéric Bizard, qui estime que la dérive éthique est extrêmement dérangeante, les réseaux de soins “ont intégré une logique assurantielle, avec gestion du risque et croissance des bénéfices. Alors que le credo mutualiste repose sur le partage du risque, l’accès aux soins et une maîtrise des cotisations”. Il estime que le maintien de la qualité est impossible dans une logique de réseau, “la plateforme de service n’a pas les ressources intellectuelles suffisantes pour cela, et il y a un frein à l’innovation, puisque le conventionnement est reconduit tous les trois ou quatre ans. On sacrifie le long terme au court terme. Les mutuelles françaises dépensent 40 centimes par an et par adhérent pour la prévention, les assurances privées, 60 centimes”, a-t-il rappelé.

 

3500 signatures d’opticiens pour la suppression des réseaux de soin

L’économiste demande la mise en place en urgence, d’un organisme de régulation, alors que le secteur en est dépourvu. Or, simple exemple, les mutuelles qui ne peuvent faire signer un questionnaire de santé dans le cadre des contrats collectifs responsables, utilisent les données collectées par les réseaux, pour faire de la gestion du risque et adapter le prix de leurs polices… “Nous sommes confrontés à un choix gouvernemental non assumé politiquement. Je crois au débat public, il faut demander l’avis des citoyens. Personnellement, je conteste la possibilité de différencier les remboursements, qui crée une médecine à deux vitesses. Et puis, le coût d’un réseau est inconnu”, listait le professeur.

Cette proposition de loi, qui a sans doute très peu de chances de devenir une loi, sert à “sensibiliser l’opinion”, estime-t-il. Alors qu’une pétition riche de 3 500 signatures d’opticiens court sur le net, pour demander la suppression des réseaux mutualistes, ce débat est d’ores et déjà bien lancé.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Catherine le Borgne