A Bréhan dans le Morbihan, le Dr Nicolas Thual est dépité. Il s’apprête à vendre son cabinet médical, implanté au cœur d’un pôle de santé qu’il a lui-même créé. En cause la concurrence des maisons de santé publiques fraîchement implantées et qui pratiquent selon lui “une concurrence déloyale”. Un propos réfuté par l’ARS Bretagne.

 

C’est l’histoire d’un pôle de santé privé installé à Bréhan dans le Morbihan depuis 2004. Un lieu pionnier en son genre rassemblant 16 professionnels de santé allant du médecin généraliste au dentiste en passant par le kiné, l’ostéopathe ou l’ambulancier. “On était tout jeunes. Nous avions investi dans notre outil de travail près de deux millions d’euros en bâtiment privé, sans même penser à demander des subventions”, se souvient le Dr Nicolas Thual, l’un des instigateurs du projet. Et le projet fonctionnait.

“Tout se passait pour le mieux. Nous avions travaillé sur une dynamique de coordination et mis en place un projet de soins. Chacun avait sa tâche. Nous avions un protocole informatique partagé. Sans le savoir à l’époque, nous avions créé ce que l’on appelle aujourd’hui un projet de santé”, témoigne le généraliste. Et le pôle de santé, très novateur pour l’époque ne passe pas inaperçu.

 

“Les maisons de santé proposent des loyers à 5 euros du mètres carré quand nous en demandons 15”

“Beaucoup de gens ont commencé à s’intéresser à nous. Paris a eu vent du projet. Nous avons été expertisés par la caisse centrale de la MSA. L’URCAM (devenue ARS) est aussi venue nous voir. Nous leur avons donné toutes les infos sur notre pôle de santé sans se poser de question”, constate le Dr Thual avec une pointe d’amertume.

Car à partir de 2008, le vent a commencé à tourner selon le généraliste breton. La première maison de santé à financements publics est arrivée à quelques kilomètres de Bréhan. Puis une seconde. Puis une troisième. “Au fur et à mesure, se sont installées des maisons de santé, subventionnées à près de 80%, sur un rayon de 10/15 kilomètre autour de notre pôle de santé”, se souvient le praticien. Résultats des loyers beaucoup plus attractifs que dans le privé. “Les maisons de santé proposent des loyers à 5 euros du mètres carré quand nous en demandons 15”, s’indigne le généraliste, avant d’ajouter, “Il s’agit là d’une concurrence déloyale entre le public et le privé. Lorsque j’accueille des internes en stages, ils me disent gentiment qu’il n’ont aucun intérêt à s’installer chez moi et payer 1200 euros de loyer quand ils peuvent s’en sortir à 400 euros mensuels à moins de 10 kilomètres d’ici”.

Lassé, le Dr Thual a décidé de vendre son cabinet et d’aller exercer, lui aussi, dans une maison de santé à financement public. En mars 2017, il s’installera à Rohan, dans une maison de santé flambant neuve à 6 kilomètre de Bréhan. Des vétérinaires se sont déjà montrés intéressés par la reprise du cabinet.

 

“Les médecins se font piquer par les communes d’à côté”

“Nous avons fait les comptes avec le comptable. Il est plus intéressant d’aller dans une structure publique pour être mieux payé et avec moins de contrainte. Même si je me retrouve avec le bâtiment sur les bras”, justifie le généraliste qui s’indigne contre le “mercato des médecins”. “Les médecins se font piquer par les communes d’à côté qui proposent des salaires toujours plus intéressants. Aujourd’hui on dresse des tapis rouges aux généralistes pour qu’ils viennent. Je suis tombée sur une offre d’emploi sur leboncoin pour un généraliste à Moréac, j’ai halluciné devant la liste d’aides proposées aux médecins. Je sais que je suis culotté de me plaindre en tant que médecin, mais je parle aussi en tant qu’investisseur”.

Le prochain départ du Dr Thual pose problème à Catherine Guillermic, la pharmacienne du pôle de santé qui craint de perdre une grosse partie de sa clientèle. Depuis quinze jours, elle a lancé une pétition pour dénoncer “les conditions inéquitables d’accueil des professionnels de santé dans des pôles médicaux publics, pouvant mettre en péril les pôles privés et les officines de pharmacie”. Elle a déjà recueilli 400 signatures. “J’ai alerté le conseil de l’Ordre et le sous-préfet. Tout le monde comprend la problématique mais il n’y a pas de solution. Si le médecin part, les répercussions seront énormes”, craint Catherine Guillermic. “La solution serait que l’Etat rachète les bâtiments privés. Nous avons investi énormément. Il ne faut pas nous laisser mourir”, alerte la pharmacienne.

 

“Il voulait que son projet reste purement privé”

Du côté de l’ARS Bretagne, tous les moyens sont mis en œuvre pour tenter de trouver une solution. “Chacun a un rôle à jouer. Il faut se mettre autour d’une table pour tenter d’améliorer la situation”, commente une responsable de l’ARS Bretagne. Si elle comprend les inquiétudes de la pharmacienne, elle se veut rassurante quant à la problématique de fuite de la clientèle. En revanche, elle s’interroge sur la notion de “concurrence déloyale” avancée par le Dr Thual. “Nous sommes sur un territoire avec une démographie médicale qui ne cesse de baisser. Parler de concurrence semble paradoxal”, estime-t-elle. D’autant que si le Dr Thual n’a pas bénéficié de financement c’est parce qu’il n’en a pas fait la demande. “Il voulait que son projet reste purement privé”, ajoute la responsable de l’ARS. En attendant, l’ARS promet de répondre à la problématique de concurrence entre privé et public. Un rendez-vous avec le sous-préfet est déjà fixé.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : S.B.