En tant que prescripteurs, les médecins ont une responsabilité dans les résidus de médicaments retrouvés dans la nature. C’est l’idée qui a poussé quelques généralistes du Pays de Remiremont (Vosges), à passer à “l’éco-prescription” : à bénéfice thérapeutique égal, ils prescriront les médicaments les moins toxiques pour l’environnement. Le Pr Philippe Hartemann, ex directeur du département de santé publique et environnement de la Faculté de médecine de Nancy, est à l’origine de ce projet.

 

Egora.fr : Concrètement, qu’est-ce que l’éco-prescription ?

Pr Philippe Hartemann : Vous avez certainement entendu parler des résidus de médicaments présents dans l’environnement, et en particulier dans les eaux. C’est un sujet qui est à la mode maintenant, mais qui préoccupe les scientifiques et les spécialistes depuis 15 ou 20 ans. On sait aujourd’hui que ça n’a pas d’impact sur la santé humaine. Les doses que l’on retrouve dans l’environnement sont très faibles, ce n’est rien du tout par rapport aux doses actives chez l’homme. Par contre, ça peut avoir un impact sur la flore et la faune, selon les concentrations. Et c’est là qu’il faut faire attention.

L’éco-prescription, c’est essayer, quand c’est possible, de choisir, à qualité thérapeutique égale et à prix égal, la molécule la plus éco compatible.

 

Comment peuvent faire les généralistes pour savoir quelles sont ces molécules ? Y-a-t’il une liste ?

Actuellement, en France, la réponse est non. Par contre, ça existe en Suède. C’est comme ça que mes collègues du pays de Remiremont ont été sensibilisés : nous avions organisé à Rouen, il y a quelques années, la première réunion santé-environnement pour les généralistes. Un médecin de Remiremont était présent et il a découvert les recherches d’un confrère suédois qui s’intéresse au sujet depuis longtemps. En Suède, ils ont fait un petit bouquin avec une entrée par type de médicament, classés par indice de toxicité sur les espèces aquatiques, de persistance dans l’eau, de son caractère mutagène… Avec ces quelques paramètres, on arrive à un indice qui permet de comparer les molécules entre elles. C’est ce document qui va être utilisé dans le pays de Remiremont. En sachant qu’on ne va pas travailler sur toutes les molécules mais seulement en cibler un certain nombre. Mais l’objectif des médecins n’est pas de faire une étude scientifique. Ils veulent changer les pratiques, permettre une prise de conscience.

 

Quand on voit la résistance de certains patients à substituer un princeps par un générique, leur faire accepter cette “éco-substitution” va peut-être être compliqué, non ?

Effectivement, la question s’est posée et la discussion a eu lieu. Les généralistes se sont dit que c’était leur rôle, et qu’en expliquant bien, on peut y arriver. Le sujet a été exposé à la population, a été relayé localement par les médias. En plus, on est dans une zone de haute montagne, donc il y a une sensibilité à l’environnement peut-être un peu plus forte qu’ailleurs. Quand on dit aux patients que ça peut toucher des torrents de montagne, des élevages, ça parle. Je fais tous les ans des conférences santé environnement dans cette région. Ça marche très bien, les habitants aiment beaucoup.

Dans ce contexte, on estime, que c’est possible. D’autant qu’il va y avoir deux actions en parallèle. Ils vont commencer par quelques molécules aux bénéfices thérapeutiques équivalents, peut-être cinq, c’est encore en cours de discussion. Ce sera relativement simple. Et dans le même temps, les pharmaciens vont mettre en place une campagne de collecte des médicaments, redire qu’il ne faut pas avoir des armoires pleines ou les mettre dans les égouts.

Ça fait partie du rôle des médecins d’alerter et d’informer sur ces questions, en tant que prescripteurs. Sans tenir des discours catastrophistes pour autant. Quand je lis dans la presse “Du Prozac dans l’eau du robinet”, ça me reste en travers. C’est une contre vérité totale sur le plan scientifique. Le Prozac est une des molécules les mieux traitées dans les processus de traitement des eaux.

 

Les médecins sont-ils plus sensibilisés à ces questions que le reste de la population ?

Non, pas forcément. Il y a des cas particuliers, un certain nombre de médecins convaincus, qui s’intéressent à l’environnement et il faut leur rendre hommage. Cela dit, il y en a de plus en plus, depuis une vingtaine d’années. Avec eux, justement, on intervient au cours des études de médecine pour sensibiliser les futurs médecins, et nous avons de plus en plus de succès… Mais les anciens médecins, sauf intérêt personnel, n’ont jamais eu de formation dans ce domaine. Et parmi les nouveaux, vu toutes les difficultés auxquelles ils doivent faire face, ce n’est pas forcément la priorité des priorités.

 

Vous travaillez à l’échelle européenne, la France est-elle en retard sur les questions de santé-environnement ?

Par rapport aux pays nordiques ou à l’Allemagne, la France est très en retard. C’est une prise de position politique, mais j’estime que c’est parce que, malheureusement, l’écologie en France n’a plus rien à voir avec de l’écologie. C’est de la politique. Alors que dans les autres pays, il y a une conscience écologiste qui n’a rien à voir avec la politique. Tout le monde fait de l’écologie, de droite comme de gauche. Il ne faut pas que le mot “écologie” soit transformé en un charabia gauchiste qui n’a rien à voir avec la santé. Ça c’est très triste.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier