C’était le 9 juillet 2006. L’équipe de France de football est à Berlin. Elle doit disputer la finale de la coupe du monde contre l’Italie. Si la France part favorite, la tension chez les joueurs et dans le staff est palpable. Le Dr Paclet, médecin des Bleus de 2004 à 2008 se souvient de cette journée pas comme les autres.
“La veille de la finale, j’avais une rage de dent phénoménale ! Il n’était pas question que je me fasse soigner ce jour-là. Merci la codéine qui m’a sauvée ! En plus l’hôtel était en plein sur la place de Branderourg, qui est en quelque sorte les Champs-Elysées berlinois. L’Allemagne venait de remporter la petite finale et avait décrochée la troisième place. Il y avait un bruit incroyable. Tout le monde criait. Les supporters défilaient dans la rue. Heureusement, nous avions réussi à loger les joueurs dans des chambres qui donnaient sur l’arrière de l’hôtel, mais du coup nous le staff, nous étions côté avenue. Il y avait une excitation mêlée de panique dans le staff. Nous avons tous très peu dormi.
Au réveil, l’ambiance du petit-déj était assez tendue. J’accompagne les joueurs faire leur réveil musculaire puis la matinée se passe. Au déjeuner, nous avons mangé tous ensemble. L’idée était de ne pas trop changer nos habitudes parce que c’était la finale. Nous suivions notre routine de journée d’avant match. Pour le médecin, ce moment est insupportable parce qu’il n’a rien à faire. Avec le staff, on tournait en rond. Il n’y avait pas de blessure à ce moment-là.
Les journées comme celles-là, le médecin est là pour prévoir le malheur
A 17h, arrive l’heure de la collation. Tout se passe bien. Les joueurs sont concentrés mais confiants. L’entraîneur fait son speech. Raymond Domenech fait très court. Il n’a pas besoin de dire grand-chose. Les joueurs sont conscients de l’enjeu. Puis nous embarquons dans le bus, direction le stade olympique de Berlin. Devant l’hôtel, près d’un millier de supporters français sont présents pour acclamer les joueurs.
Les journées comme celles-là, le médecin est là pour prévoir le malheur. Il doit être prêt à toute éventualité. Nous nous sommes réunis avec les trois kinés pour nous répartir les rôles. L’un des kinés reste dans le vestiaire en cas d’évacuation sur blessure d’un joueur, le deuxième entre sur le terrain avec moi lors de la première mi-temps et le troisième entre pour la seconde mi-temps. Notre scénario est très bien rôdé. C’est le septième match de coupe du monde que nous jouons, nous savons tous ce que nous avons à faire.
Lorsqu’avant le début du match, on pénètre sur le terrain, on voit cette statue de coupe du monde qui nous nargue au bout du couloir. On se dit qu’on aimerait bien la porter ! Mais il faut attendre, alors je prends place sur le banc, toujours selon un protocole bien établi. Le foot est un milieu très superstitieux donc chacun a sa place et il ne faut pas en bouger ! C’est toujours Domenech, l’entraîneur adjoint, l’entraîneur des gardiens, le doc, les kinés et les joueurs.
Quand sonne le coup d’envoi, il faut être complétement lucide et faire fi de ses sensations de supporters. Le métier de médecin doit passer avant ses sentiments personnels, sinon on risque de ne pas être objectif. Dès qu’il y a un choc, avec les kinés on observe les réactions des joueurs. En première mi-temps se produit le premier incident. Thierry Henry reçoit un coup de coude à la tête et tombe dans les pommes.
En tant que médecin je n’ai aucune autorité, c’est le joueur ou l’entraîneur qui décident
Là j’interviens sur le terrain. Comme d’habitude, je n’ai pas le droit de soigner le joueur sur la pelouse, donc l’arbitre demande à faire sortir Henry. Lorsque je me retrouve sur la touche avec lui je lui demande “Titi ça va ?”. Il me répond “oui oui ça va”. J’insiste et je lui demande “on est où là ?” “Ça va doc ça va” “Et on fait quoi en ce moment” “Je vous jure ça va, ça va !”. Si on devait appliquer les règles des KO au rugby, il ne revenait pas sur le terrain, mais à ce moment-là il agite son bras, l’arbitre lui fait signe d’entrer et il m’échappe complétement. D’ailleurs il ne va pas dans la bonne direction ! Il a passé une mi-temps dans le flou le plus total.
Tout cela pose une question médico-légale, a-t-on le droit de laisser entrer le joueur sonné sur le terrain. En tant que médecin je n’ai aucune autorité. C’est le joueur ou l’entraîneur qui décident. Du coup j’ai passé toute la première mi-temps à surveiller Thierry Henry pour savoir s’il n’allait pas replonger ou faire une connerie. J’ai quand même dit à Domenech, “attention Henry est KO”, alors il a envoyé Trezeguet à l’échauffement. Mais Henry est un joueur clé de l’équipe, il y a donc eu une grosse hésitation. Finalement Henry, petit à petit est re-rentré dans le match. A la fin de la première mi-temps, il avait complétement récupéré.
A la mi-temps, les joueurs étaient encore confiants malgré le but que nous avions encaissé du fameux Materazzi. Ils sentaient que cette équipe d’Italie était prenable. D’ailleurs alors que débute la seconde mi-temps, on sent que les italiens commencent à peiner et tirent la langue. On les domine physiquement.
Puis à un moment donné, Zizou est pris en l’air et retombe sur le bras. Il fait alors le signe de la moulinette qui signifie “il faut que je sorte, je ne peux pas continuer”. J’arrive près de lui et il me dit “doc, c’est fini mon épaule a sauté”. Je lui dis de se calmer et je demande au kiné de se coller contre moi pour que l’on ne puisse rien voir à la télé. Je dis alors à Zizou que je vais lui remettre. Je fais des cours à la fac en traumato du sport et je dis toujours qu’une luxation d’épaule, il ne faut jamais la réduire sur le terrain sauf cas exceptionnel. On ne sait jamais, il peut y avoir des lésions osseuses ou neurologiques que l’on pourrait aggraver. Mais là je me dis que de toute façon il arrête sa carrière et c’est son dernier match alors je décide de la remettre discrètement sur le terrain. D’un geste efficace, je lui remets l’épaule, sans que personne n’ai rien vu. On sort tout de même du terrain, pour qu’il récupère deux minutes. J’explique à Zizou qu’il ne doit surtout pas lever le bras en l’air. Il me répond “pas de problème”. A cet instant précis, il lève le bras pour faire signe à l’arbitre qu’il veut revenir sur le terrain !
Zizou s’est effondré en prenant conscience de ce qu’il a fait
Il a rejoué. Je pense qu’il souffrait parce que c’est toujours douloureux mais rien ne se voyait de l’extérieur. C’est passé pour un accident bénin. Il a ensuite mis une tête magistrale qui a été miraculeusement repoussé par le gardien italien. Zizou s’énervait parce qu’il n’y arrivait pas. C’est ça qui à mon avis l’a fait réagir si violement avec Materrazi. Moi j’ai passé toute la fin de cette seconde mi-temps à le surveiller. J’avais la trouille qu’il récidive ou qu’il aggrave les lésions, ce qui Dieu merci, n’a pas été le cas.
Ce fameux coup de boule, personne dans le stade ne l’a vu. On a juste vu Materazzi se tordre de douleur et le gardien accourir vers lui en faisant des signes à l’arbitre de touche. Tout le monde était dans le flou le plus total. C’est là que le 4ème arbitre revoit les images à la télé et qu’il voit le coup de boule. Zizou est alors expulsé. Je l’accompagne au vestiaire pour contrôler son épaule et lui mettre une attelle et je lui demande de me dire ce qu’il s’est passé. Je pensais qu’il avait injurié l’arbitre. Il me répond, “Je n’ai rien dit à l’arbitre, j’ai mis un coup de boule au grand dadet”. Il était très calme puis il s’est effondré en prenant conscience de ce qu’il a fait. Par la suite Domenech m’a dit que je n’aurais pas dû réduire sa luxation de l’épaule comme ça, au moins il ne se serait pas fait expulser, on aurait fini à 11 et on aurait été champion du monde !
Après la défaite, il y a un silence de mort dans le vestiaire. Tout le monde rentre à l’hôtel. Il y avait un repas commun mais personne n’avait envie de faire la fête.”
Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin