Si vous aviez tous les pouvoirs, quelle serait votre toute première réforme ? C’est la question qu’Egora a posé à plusieurs personnalités du monde de la santé. Economiste, spécialisé des questions sociales, dont la santé, Frédéric Bizard s’attaque à notre système trop “hospitalocentré” pour être efficace. Il créé donc de nouvelles structures de médecine de ville pour réaliser un virage à 90° vers l’ambulatoire.

 

Notre système de santé doit réussir son passage au 21e siècle, qui a été le cadre des changements les plus radicaux de l’histoire de l’Humanité. Nous sommes en train de vivre trois grandes transitions, une qui est démographie avec le vieillissement de la population, une épidémiologique, puisqu’on passe des maladies aigues aux maladies chroniques et il y a la transition technologique avec les NTIC de la santé. Il faut donc un plan global qui repense les composantes essentielles du système de santé. Moi, j’ai listé en tout 40 mesures*, qui ne remettent pas tout en question, mais qui permettent de faire basculer le système de santé dans le nouveau monde.

Parmi ces 40 propositions, il y en a une qui est plus forte et qui concerne notre système qui est historiquement hospitalocentré. Il faut réaliser le virage ambulatoire. C’est ce modèle qui a fait le succès de notre médecine au 20ème siècle, mais on sait qu’il fera notre échec au 21e siècle si on n’arrive pas à en sortir. L’hospitalocentrisme est présent non seulement dans les organisations et les dépenses de santé, mais aussi dans les têtes des professionnels de santé. Et cela est presque aussi difficile à faire évoluer. Tous les éléments de la triple transition que nous sommes en train de vivre vont dans le sens du virage ambulatoire. Ce n’est pas un dogme, c’est le sens de l’Histoire. Cela va aller très vite et on a déjà pris du retard. Il faut donc dénouer les nœuds gordiens à partir desquels s’est constitué cet hospitalocentrisme.

 

Passer du CHU au Centre ambulatoire universitaire

Pour moi, il faut étendre les prérogatives hospitalières en enseignement et en recherche aux centres ambulatoires de ville. On inscrit donc dans une nouvelle loi que ces centres ambulatoires de ville, qui répondront à un cahier des charges donné, seront des lieux de soin, mais aussi des lieux d’enseignement. On passe du CHU au CAU, Centre ambulatoire universitaire. Ce sont des centres de soin où, dans le respect des malades, sont organisés les enseignements publics, médicaux et postuniversitaires, ainsi que la recherche médicale et les enseignements paramédicaux.

Je pense que l’inscription dans la loi de ces CAU porterait une valeur symbolique essentielle pour faire basculer l’ensemble de notre système de santé vers un modèle ambulatoire. La réforme va prendre 5 à 10 ans, le temps de former des enseignants universitaires de médecine ambulatoire, que ce soit en médecine générale ou en médecine spécialisée, et réformer l’enseignement de deuxième et troisième cycle.

 

Mieux reconnaître la médecine générale

Cette réforme a plein d’applications connexes, qui sont pour la plupart des transformations positives qui vont dans le sens de l’Histoire. Déjà, cela permettra une meilleure reconnaissance des spécialités médicales relevant des soins primaires. Car s’il y a une sous reconnaissance de la médecine générale dont on parle souvent, c’est parce que ce n’est pas une médecine hospitalière, et donc considérée comme une médecine de deuxième ordre.

La création de ces CAU n’implique pas une disparition des CHU. De mon point de vue, le CHU reste la tête de pont de la recherche et de l’enseignement. Il faut des lieux d’excellence. Et on ne va pas faire des CAU, l’équivalent d’un CHU en termes de concentration de ressources technologiques et humaines. L’hôpital restera un endroit (et ce sera sa raison d’être) où on fait des interventions techniques, impossibles à faire ailleurs.

Cette réforme se fait en respectant tout le monde. Si on veut conserver un système performant, il y a deux concepts à faire basculer : la médecine libérale dans les structures ambulatoires, et le CHU vers un lieu d’excellence. On ne ferme pas de CHU, on ferme certainement des hôpitaux généraux car il y a beaucoup trop de lits. S’il y a un modèle qu’il faut conserver c’est le CHU, mais je le réforme pour lui redonner son lustre, et le décharger de sa mission de proximité. Je ne crée pas le CAU pour déshabiller l’hospitalisation publique. Les CAU seront liés aux CHU. Et tout cela a une logique à condition d’arrêter de penser que l’hôpital est une cathédrale dans laquelle il y a des lits. L’hôpital, c’est des ressources. Sa force ce n’est pas son nombre de lit.

 

L’enseignement en ambulatoire répond à une nécessité médicale

Les CAU quant à eux sont des cabinets médicaux de ville, il s’agira donc probablement de structures privées. Mais il faut renforcer les délégations de service public. Je peux donner un service public à un secteur privé à condition que j’aie une vraie régulation de ce secteur privé et que je m’assure qu’il satisfasse les conditions de service public, c’est-à-dire la continuité des soins, la neutralité, l’accès pour tous… Etc. Un autre point positif de cette réforme c’est qu’elle permettra d’inciter ces cabinets/CAU à être plus forts en matière d’équipements, à être plus regroupés et plus staffés. On ne va pas donner le “label CAU” à n’importe quelle structure. Il va falloir remplir un cahier des charges qui va impliquer un certain nombre de choses, dont un équipement informatique, numérique, immobilier qui permettra de le faire.

C’est fondamental. Aujourd’hui 90% des cas cliniques sont des cas ambulatoires. Donc que l’enseignement se fasse largement en ambulatoire répond à une nécessité médicale. La recherche doit aussi s’ouvrir à des secteurs gérés par l’ambulatoire, comme par exemple la gériatrie. Après ce sera aux spécialistes et aux experts de définir tout ça.

Tous les politiques aujourd’hui parlent du virage ambulatoire. Mais au-delà des mots qu’est-ce qui ferait vraiment basculer le système ? Pourquoi conserver l’enseignement et la recherche à l’hôpital quand on tient ce discours-là. C’est la solution qui me semble la plus efficace à mon sens.

 

* Dans un livre à paraître ce mois-ci, Frédéric Bizard détaillera ses 40 propositions pour réformer le système de santé.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Aline Brillu