C’était il y a trois ans. Lorine commençait sa première journée de médecin en prison. Elle avait 32 ans. Aujourd’hui, elle revient sur cette journée restée gravée dans sa mémoire. Elle nous parle aussi de son exercice quotidien de médecin en prison.

 

Devenir médecin en prison n’était pas forcement une vocation. J’ai rencontré un jour une personne qui exerçait ce métier et qui me décrivait son travail de manière très positive, avec une grande motivation. Lors de mes gardes en stages, j’avais déjà eu l’occasion de rentrer dans certains établissements pénitentiaires dans le cadre de la permanence des soins.

J’aime par-dessus tout travailler auprès des personnes qui vivent en situation de très grande précarité. Le public incarcéré correspond bien à ce type d’exercice. La prévalence des IST, la toxicomanie… Ces sujets m’intéressent. Je savais qu’en devenant médecin en prison, j’allais les retrouver en plus grande fréquence qu’en cabinet de médecine générale.

 

Rituel d’entrée

J’avais 32 ans lors de ma première journée. C’était il y a trois ans. Avant même de pouvoir commencer, j’avais dû envoyer tous mes papiers d’identité. A ce moment-là, on se pose plein de questions. Que vais-je trouver? Va-t-on m’accepter?

Le premier jour, le rituel d’entrée est totalement désarçonnant. Il faut présenter un badge, justifier son identité, se déshabiller comme sous les portiques d’aéroport. Ensuite, il y a une sorte de rituel où l’on récupère ses clés contre un jeton en métal. Puis il y a le passage des portes. Il y en a 8 à franchir. Il faut sonner à l’interphone à chaque porte. L’attente peut durer 5 minutes par porte sans que l’on sache pourquoi. Je me souviens très bien des bruits, qui m’avaient également marqués ce fameux premier jour. Le trajet pour aller au service médical est assez long. On entend des bruits de porte, des cris, de la musique. Tout cet inconnu faisait un peu barrière entre moi et ce que je m’attendais à trouver au niveau médical.

Une fois installée dans le bureau de consultation, j’ai tout de suite retrouvé mes marques. J’étais dans un environnement familier avec un visuel semblable à ce que je pouvais avoir connu dans mes stages hospitalier. Il y avait aussi une équipe, des infirmières et surtout un patient et une consultation de médecine générale. Dès le premier jour, je me suis donc sentie à l’aise. A la fin de ma première journée, je me souviens m’être dit qu’en fait c’était simple. Je savais faire. Je m’étais imaginé une image plus compliqué de l’exercice.

Pendant les dix premiers jours, j’ai été co-consultante avec un médecin qui avait plus d’expérience et dont je prenais la place. C’est lui qui m’a pointé du doigt les particularités de la consultation, les spécificités de certaines prises en charge et surtout qui m’a beaucoup briefé sur le type de relation à entretenir avec l’administration pénitentiaire. Qu’est-ce que l’on est autorisé à dire et dans quelle mesure? Doit-on intervenir sur certaines situations pour laquelle le patient aurait des besoins ?

 

Connaître le motif d’incarcération est un obstacle dans la prise en charge

Je ne sais pas pourquoi les patients sont incarcérés. Lorsque je les reçois lors de leur première consultation, il s’agit simplement d’une prise de contact médical comme on pourrait le faire avec n’importe quel nouveau patient. On insiste simplement un peu plus sur la consommation de stupéfiant et les antécédents de violences subies. A aucun moment le motif de l’incarcération n’intervient. Cela n’apporte rien dans le soin. Il arrive que je le sache par inadvertance et dans ces cas-là, je me sens plus gênée qu’autre chose. Je considère même que connaître le motif d’incarcération est un obstacle dans la prise en charge du patient.

Malgré le fait d’être une jeune femme, je n’ai jamais eu aucun problème avec les patients. Je pense que c’est lié au fait que l’unité sanitaire représente un endroit assez neutre au sein de la prison. Tant que je reste professionnelle, les gens savant qu’ils doivent rester dans leur rôle de patient. Ainsi, je n’ai jamais eu peur face à un détenu. En revanche, j’envisage la possibilité que cela arrive et je ne me dispense pas des règles de sécurité. Je suis toujours équipée d’une alarme portative individuelle car je consulte seule avec les patients.

Une de mes consœurs résume la situation en disant qu’être médecin en prison, c’est faire de la médecine normale dans un lieu anormal. Je suis assez d’accord avec elle. On s’imagine que c’est très particulier mais la particularité de la médecine carcérale est surtout liée à l’environnement. La relation médecin patient est ce que l’on en fait, avec chacun sa manière d’exercer et de voir les choses.

 

Je suis une médecin indépendante avec ma liberté de pratique

Les difficultés que je rencontre son liées à l’organisation des soins à l’extérieur pour les détenus. Les hospitalisations, les prises de rendez-vous avec les spécialistes sont un casse-tête quotidien pour nos services de secrétariat. Pour avoir une consultation orthopédique pour un détenu, par exemple, il va d’abord falloir que le CHU fixe un rendez-vous qui sera forcément lointain mais aussi que cela coïncide avec la disponibilité des escortes qui vont pouvoir accompagner le patient à l’hôpital. Il y a aussi beaucoup de refus au dernier moment des détenus qui n’ont pas le droit d’être informés à l’avance de leur date de rendez-vous et qui peuvent avoir un parloir à la même heure… C’est vraiment casse-tête.

Un des autre problèmes est que l’on est très régulièrement sollicité quant au secret médical. Il faut une vigilance de tous les instants.

Je ne sais pas combien de temps encore je vais exercer mon métier en prison mais avec les années, le risque est de perdre la naïveté et la critique de l’institution dans laquelle on évolue. Je me dis que le jour où j’arrêterai, ce sera le jour où je n’arriverai plus à me dire que je suis une médecin indépendante avec ma liberté de pratique.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin