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“Certains patients en savent plus sur leur maladie qu’un médecin généraliste”

Télésurveiller les patients pour s’assurer qu’ils respectent leurs traitements ? C’est une dérive qui a failli voir le jour et que redoutent les associations de patients. Pour améliorer l’observance, mieux vaudrait reconnaître le patient comme un acteur et un connaisseur de sa santé et développer la décision médicale partagée, explique Yvanie Caillé, présidente de l’association Coopération patients qui a participé au colloque qui s’est récemment tenu sur le sujet.
 

 

Egora.fr : Dans les conclusions du colloque* qui s’est tenu sur l’observance, vous commencez par remettre en question le terme même d’”observance”. Pourquoi ?

Yvanie Caillé : Oui, enfin, ce n’est pas nous directement. Ceux qui remettent vraiment en cause ce terme, ce sont les patients à qui nous avons donné la parole. Nous avons réuni 54 personnes atteintes de différentes maladies chroniques, de tout type d’âges et de condition, et nous les avons fait travailler en atelier autour de l’observance. Une des premières remarques qui a émergé, c’est un refus de ce terme d’observance, pour aller vers une autre terminologie qui serait celle d’adhésion. Adhérer à une stratégie, à un traitement, à un projet thérapeutique, plutôt qu’observer la prise d’un médicament.

Pourquoi ce terme est-il gênant ? Qu’est ce qui pose problème ?

Les patients ont insisté sur le fait que le problème n’est pas de prendre ou pas un médicament. Le problème est d’intégrer toutes les contraintes des maladies chroniques, dont le traitement, mais pas seulement. La vie avec la maladie chronique est difficile et pour suivre un traitement il faut y adhérer et être motivé, il faut avoir des projets et des passions, il faut être engagé. Les patients à qui nous avons donné la parole ont vraiment souhaité replacer la notion d’observance dans un contexte beaucoup plus global, qui est celui de mieux vivre avec sa maladie et ses traitements, plutôt que de se limiter à quelque chose à très courte vue comme la prise matin, midi et soir, de médicaments.

Ils disent qu’ils se sentent assez souvent réduits, par le système de soins, par la société en général, à l’état d’un organe ou d’une maladie. Ils revendiquent le fait d’être considérés comme des personnes à part entière, dans leur ensemble. Ils réclament une médecine beaucoup plus holistique.

Justement, vous incitez les médecins à changer de logique dans leur rapport aux patients. De quelle manière ?

Le principal critère d’adhésion à un traitement pour un patient atteint de maladie chronique, c’est la qualité de la relation avec son médecin. On est face à une médecine qui s’est construite historiquement sur la base du traitement de la maladie aigue. Il y a un siècle, les maladies chroniques n’existaient pas. On en mourait. La mission des médecins était de prendre les patients, de les soigner, de les guérir.

Mais depuis plusieurs décennies, il y a une rupture qui se fait avec l’émergence de ces maladies chroniques. Ce sont des pathologies dont on ne va pas guérir, mais avec lesquelles on va vivre de très longues années. On parle donc de suivi sur du très long cours et donc de relations médecin-patient qui vont s’étaler sur des années ou des décennies. Les patients insistent vraiment sur l’importance que cette relation soit de grande qualité, sur le fait qu’être écouté par leur médecin, le fait d’être pris en compte comme des personnes dans leur ensemble et pas juste comme un organe ou comme une maladie. Ils insistent sur la qualité de la relation avec leur médecin, la notion d’information sur les traitements ou la maladie, sur le fait que pour adhérer, il faut comprendre et être d’accord. Ils insistent aussi sur la notion de décision médicale partagée. Les patients souhaitent véritablement être engagés et impliqués dans le choix des thérapeutiques qui les concernent et plus seulement être dans une relation paternaliste où le médecin va décider pour eux. Ils souhaitent participer aux choix thérapeutiques, aux stratégies, pouvoir changer en cours de route, pouvoir faire en sorte que leurs difficultés soient entendues et que ça puisse donner lieu à des adaptations de traitement…

Aujourd’hui ce n’est pas le cas ?

Ça devrait être le cas. Mais manifestement, tous patients à qui nous avons donné la parole ne le vivent pas de cette manière. Ce que beaucoup constatent, c’est un manque de temps médical. Des médecins qui leur consacrent un temps de plus en plus réduit. Des consultations qui durent 10 ou 15 minutes, lors desquelles le médecin va passer beaucoup de temps derrière son écran pour regarder des résultats biologiques, pour faire des démarches plus ou moins administratives, et finalement un temps d’écoute et d’échange avec le patient qui est vraiment jugé trop court.

Vous parlez d’attitude paternaliste de la part des médecins…

Oui, historiquement les patients n’étaient pas en position de décider ni d’être informés. Aujourd’hui, il y a non seulement la maladie chronique qui fait qu’on est malade sur de très longues durées, donc on a un besoin d’engagement et d’être acteur, mais il y a aussi des outils qui permettent aux patients de s’informer sur leur pathologie, sur les traitements, sur les thérapeutiques… Informer, c’est pouvoir. On va vers une relation de plus en plus équilibrée, ou en tout cas de moins en moins déséquilibrée avec le médecin.

Internet est un moyen de connaissance, mais on y trouve tout et n’importe quoi, non ?

Effectivement. Mais on constate quand même que les patients internautes acquièrent beaucoup de compétences en surfant sur internet et notamment celle d’apprendre assez vite à faire le tri dans la qualité des informations. Ce qu’on voit sur les forums de patients, c’est une forme d’intelligence collective qui fait qu’évidemment, des bêtises sont écrites, c’est inévitable. Mais elles sont très rapidement corrigées, d’autres personnes interviennent et rétablissent la vérité. Finalement, le ton de la discussion va tendre vers quelque chose d’assez proche de la vérité médicale et scientifique. Il faut faire confiance aux patients par rapport à leurs usages d’internet.

Que répondez-vous aux médecins qui se demandent comment un patient peut accéder à un niveau de connaissance et d’analyse comparable au leur ?

Ce n’est pas du tout ce que revendiquent les patients. Ils ne revendiquent pas d’avoir des connaissances ou un savoir équivalent à celui des médecins. En revanche, ils accèdent à de l’information. Et très souvent, des patients atteints de maladies rares deviennent de vrais experts de leur maladie et face à un médecin généraliste, ils en savent beaucoup plus que lui. Même si, encore une fois, ce n’est pas un savoir médical. Ils ne revendiquent pas du tout d’être l’équivalent du médecin, qui a des compétences que le patient n’a pas. Les patients souhaitent acquérir des connaissances. Et elles ne sont pas destinées à challenger le médecin ou à le mettre en difficulté. Mais au contraire à enrichir la relation.

Quelles sont les réactions des médecins face à ce discours ?

A ce jour, nous n’avons pas eu de réactions négatives des médecins sur les publications de nos recommandations. Je n’ai pas connaissance de réactions hostiles de la part des organisations de médecins. En revanche, il peut y en avoir de la part de certains médecins à titre individuel. Il y a une enquête qui date de 2012, où 42% des médecins disaient qu’ils étaient inquiets de l’usage que pouvaient faire les patients du digital et notamment de la trop grande indépendance que ça pourrait leur donner. Donc oui, il existe des craintes de la part des médecins. Et il faut avant tout les rassurer sur le fait que ce n’est pas une question de prise de pouvoir des patients. Les patients ne sont pas du tout dans une position de défiance, au contraire. Il y a un certain nombre de médecins aujourd’hui qui ont compris l’intérêt du numérique et encouragent leurs patients dans ce sens. Ces médecins témoignent de la manière dont ça enrichit leur exercice.

Faut-il craindre une dérive vers de la télésurveillance des patients via les nouveaux objets connectés en santé ?

Il est clair que ces dispositifs doivent être envisagés comme un soutien et pas comme un outil de flicage. Il y a l’exemple notamment de la surveillance de l’apnée du sommeil, destinée à dérembourser les patients insuffisamment observants. On a eu le témoignage d’un patient qui a ce dispositif contre l’apnée du sommeil depuis assez longtemps, et qui ne peut pas s’en passer. Quand il n’a pas l’appareil, il ne peut pas dormir. Il avait l’habitude de suivre l’usage de son dispositif. Une puce électronique lui permettait de regarder combien de temps il l’avait utilisé chaque nuit. Et quand le prestataire est venu pour lui mettre la nouvelle puce qui permettait la télésurveillance, d’abord il n’a pas bien compris pourquoi on voulait le surveiller, et puis il s’est rendu compte qu’il n’avait plus du tout accès à son suivi. Tout était envoyé directement au prestataire, en laissant complètement le patient de côté. C’est un outil de flicage, qui va à l’opposé de l’autonomisation des patients qu’on pourrait souhaiter. Les patients ne veulent pas être surveillés à leur insu, mais veulent se surveiller. Donc il ne s’agit pas de jeter à la poubelle tout ce qui permet un suivi, mais il faut que les patients soient impliqués.

Cette disposition de télésurveillance a été retoquée en Conseil d’Etat. On espère que ça n’existera plus. Une des principales raisons pour lesquelles on a souhaité mettre en place cette démarche autour de l’observance, c’était la crainte que les pouvoirs publics, à l’occasion par exemple de la prochaine loi de finances, envisagent des dispositifs de dérembousement de la prise en charge ou des traitements basés sur la surveillance de l’observance. On a souhaité faire comprendre que c’est beaucoup plus compliqué que ça, et que les patients ne souhaitent pas du tout que l’on envisage l’observance avec une dimension de culpabilisation mais au contraire qu’on les accompagne dans cette bonne observance et qu’il ne soit pas question de sanctions.

 

* Coopération patients, Impatients chroniques et associés et le CISS ont organisé les 1 et 2 juin des journées d’études sur l’observance, l’autonomie et la responsabilité. Les conclusions viennent d’être rendues publiques.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Fanny Napolier