À compter du 1er janvier 2016, tous les employeurs devront proposer une complémentaire santé à leurs salariés. Et cela vaut aussi pour les médecins. Passage en revue de ce nouveau dispositif qui peine à convaincre employeurs comme salariés.

 

Mise en place par la loi du 14 juin 2013 de sécurisation de l’emploi, conformément à l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, la généralisation de la couverture complémentaire santé à tous les salariés est censée améliorer l’accès aux soins des Français. Aujourd’hui, 4 millions de salariés n’ont pas accès à un contrat collectif. Parmi eux, 400 000 salariés n’ont pas du tout de complémentaire santé. C’est donc à eux que la loi s’adresse en particulier.

Jusqu’à présent, la mise en place d’une complémentaire collective n’était pas obligatoire pour toutes les entreprises. Elle le sera à compter du 1er janvier prochain pour l’ensemble du secteur privé. Autre obligation pour l’employeur, financer au moins la moitié du coût des cotisations du contrat, qui devra proposer un panier de garanties minimal.

Pour résumer, ce nouveau dispositif concerne les entreprises qui ne proposaient pas, jusqu’à présent, de complémentaire santé collective, celles qui en proposaient une mais avec des garanties moins favorables, et/ou dont le financement patronal était inférieur à 50 % de la cotisation, et celles, enfin, qui avaient une complémentaire facultative, soit potentiellement 470 000 entreprises au total.

 

Quel est le panier de soins garanti par la loi ?

Pour la plupart des soins, les garanties minimales introduites par l’ANI correspondent aux garanties minimales déjà imposées dans le cadre des contrats responsables, entrés en vigueur le 1er avril dernier. Elles couvrent l’intégralité du ticket modérateur (à l’exception des cures thermales, des médicaments homéopathiques et des médicaments remboursés à 15% et 30%), le forfait journalier hospitalier sans limitation de durée, les dépenses de frais dentaires à hauteur de 125% du tarif de la Sécurité sociale et les dépenses de frais d’optique (monture + verres), tous les deux ans, à hauteur de 100 euros pour les corrections simples, 150 euros pour une correction mixte et 200 euros pour les corrections complexes. L’employeur devra au minimum choisir un contrat qui garantisse ce panier. Un panier jugé “correct” par la Mutualité française, “qui permet la consommation de soins courants sans problème et qui va même au-delà des contrats responsables pour les frais dentaires et d’optique”, déclare son délégué général, Jean-Martin Cohen-Solal.

 

Quelles sont les modalités de mise en place ?

Plusieurs cas de figure peuvent se présenter pour mettre en place la complémentaire santé collective dans les entreprises. Dans le cas des accords de branche professionnelle, les négociations sont ouvertes depuis le 1er juillet 2014. Les partenaires sociaux ont une clause de recommandation, la clause de désignation prévue initialement ayant été retoquée par le Conseil constitutionnel. Ils ne peuvent donc plus choisir un ou plusieurs assureurs auprès desquels les entreprises de la branche seraient dans l’obligation de s’assurer, mais recommander un ou plusieurs organismes assureurs. Dans ce cas, les employeurs choisiront entre ce contrat négocié et tout autre contrat de leur choix, à condition qu’il soit au moins aussi favorable aux salariés.

À défaut d’accord de branche, ou si l’entreprise n’est pas couverte par un accord de branche, des négociations sont ouvertes en interne. En cas d’échec, la mise en place de la couverture santé obligatoire se fait par décision unilatérale de l’employeur. Mais ce dernier ne pourra alors pas contraindre ses salariés à l’adhésion obligatoire.

 

Le salarié pourra-t-il refuser ce contrat collectif ?

Si la couverture a fait l’objet d’accord avec les syndicats, le salarié ne pourra pas la refuser. En revanche, si elle a été décidée unilatéralement par l’employeur, le collaborateur embauché avant la mise en place du régime pourra refuser de cotiser. Autre cas de dispense, lorsque le salarié est par ailleurs couvert par la complémentaire santé obligatoire de son époux(se). Enfin, les salariés en CDD, à temps partiel, les apprentis et les bénéficiaires de l’ACS ou de la CMU-c ne seront pas obligés de souscrire à la complémentaire proposée par leur employeur.

 

La généralisation va-t-elle entraîner un surcoût ?

A priori, pour le salarié qui souscrivait jusqu’à présent un contrat individuel, la généralisation ne devrait pas entraîner de surcoût, puisqu’il verra sa cotisation prise en charge à hauteur de 50% par son employeur, les 50% restants étant exonérés fiscalement. Le surcoût va donc être reporté, en partie, sur l’employeur, mais celui-ci va bénéficier d’avantages fiscaux et sociaux (exonérations pour la part qu’il finance). En revanche, il se peut que le contrat collectif ne le couvre pas aussi bien et qu’il soit alors obligé de souscrire à des options supplémentaires, à sa charge et non exonérées. “Avec un panier de soins minimal qui reste assez faible, on risque en effet de voir se développer un business de la surcomplémentaire”, réagit Magali Leo, chargée de mission assurance maladie au sein du Ciss, le Collectif interassociatif sur la santé. “Finalement, c’est la collectivité qui va supporter le coût de la généralisation, à hauteur de 1,4 milliard d’euros”, estime Jean-Martin Cohen-Solal, de la Mutualité française.

 

Peut-on craindre des disparités entre petites et grandes entreprises ?

Avec la fin des clauses de désignation, les entreprises ne seront plus obligées d’adhérer à l’organisme choisi par les partenaires sociaux au sein des branches. “Or, jusqu’à présent, les clauses de désignation permettaient aux partenaires sociaux au sein d’une même branche de faire un achat groupé et donc de mutualiser les risques et de bénéficier de tarifs avantageux auprès des assureurs, explique Florence Duprat-Cerri, avocate, responsable du département retraite prévoyance du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre. Avec la loi ANI, les partenaires sociaux ne pourront plus miser sur la mutualisation puisqu’ils ne pourront pas garantir l’adhésion de toutes les entreprises de la branche. Ce qu’il risque de se passer, c’est que les grandes entreprises négocieront de leur côté, hors branche, tandis que les plus petites entreprises se retrouveront isolées et verront leurs tarifs augmenter. Le risque est que les entreprises se contentent alors d’une couverture minimale, y compris dans les secteurs à risque, laissant les salariés financer eux-mêmes une couverture surcomplémentaire. Selon moi, cette réforme, couplée à celle des contrats responsables, va donc contribuer à une baisse des garanties pour les salariés français.” Pour la Mutualité, au contraire, la loi ANI va accroître la concurrence entre les assureurs et donc faire baisser les prix. “La clientèle PME-PMI est un nouveau marché sur lequel les complémentaires ont tout intérêt à se positionner, explique Jean-Martin Cohen-Solal. Elles seront donc obligées de s’aligner.”

 

Quelle couverture santé pour les chômeurs ?

La loi prévoit la portabilité de la couverture santé pour les salariés en cas de rupture de contrat – sauf faute lourde. Ainsi, le salarié pris en charge par l’assurance chômage bénéficiera du maintien de la complémentaire santé dont il bénéficiait au sein de l’entreprise, dans les mêmes conditions que les salariés en activité, pour une période égale à la durée du dernier contrat de travail, sans dépasser douze mois.

Pour le Ciss, cette mesure ne va pas suffisamment loin. “François Hollande avait promis la généralisation de la complémentaire santé à tous les Français, note Magali Leo, chargée de mission assurance maladie. Or, avec cette loi, on ne s’adresse qu’aux salariés, qui n’est pas le public le plus exposé. 3,5 millions de Français n’ont pas du tout de complémentaire santé. Parmi eux, beaucoup de jeunes, de chômeurs de longue durée et de retraités qui ont complètement été écartés. L’urgence est d’offrir une solution à ces personnes-là. Finalement, avec l’ANI, on va simplement assister à un basculement des contrats individuels vers les contrats collectifs.”

Lors du dernier congrès de la Mutualité française, à Nantes, le président de la République a remis au goût du jour la généralisation de la protection complémentaire pour tous, y compris les personnes retraitées, en 2017. Marisol Touraine, la ministre de la Santé, a appuyé cette promesse en spécifiant à la tribune qu’il s’agissait d’une priorité de son ministère.

 

La loi met-elle à mal les dépassements d’honoraires ?

“La loi ANI a l’intérêt de réguler les dépassements d’honoraires, répond Jean-Martin Cohen-Solal. Aujourd’hui, le problème, c’est que certains contrats couvrent tellement bien qu’ils font augmenter le prix des soins.” Pour le président de la SML, Éric Henry, cette loi est “dévastatrice. On est en train de créer une médecine uniquement basée sur des critères économiques, une médecine standardisée, avec une approche productiviste. La qualité des soins va être tirée vers le bas.”

 

Médecins employeurs : vous êtes concernés

Généralisation du tiers payant, travaux de mise aux normes pour assurer l’accessibilité des cabinets, et désormais aussi mise en place d’une complémentaire santé pour leurs secrétaires, les médecins ont des raisons de protester depuis quelques mois, et ils ne s’en privent pas.

Si l’échéance paraît encore lointaine pour beaucoup, les médecins employeurs, qui représentent deux tiers des médecins libéraux*, vont devoir également se pencher sur la question de la généralisation de la complémentaire santé. Et mettre la main au portefeuille. Une fois de plus, s’insurgent les syndicats. “Aujourd’hui, très peu de médecins employeurs proposent une complémentaire santé à leurs salariés, constate le Dr Henry, du SML. Cela va encore peser sur leur budget.” Même réaction à la Csmf. “Même si ça ne va pas être énorme, cette nouvelle obligation va augmenter nos charges alors que la valeur de l’acte, elle, n’augmente pas”, renchérit Jean-Paul Ortiz. Jean-Paul Hamon, le président de la FMF, est sur la même ligne et dénonce un cadeau fait aux assureurs. “C’est tout bénéf’ pour eux !” MG France, de son côté, est en train d’étudier les devis des assureurs et promet de faire, comme pratiquement tous les autres syndicats médicaux, une proposition concrète et adaptée à ses médecins adhérents.

* Selon une étude de l’Observatoire des métiers dans les professions libérales de décembre 2014.

 

Les chiffres clés

26% des entreprises de plus de 250 salariés et 50% des PME de plus de 50 salariés ne proposent pas de complémentaire santé à leurs salariés.

94% de la population est couverte par une complémentaire santé individuelle ou via la complémentaire collective de son conjoint.

Source : Argus de l’assurance.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : C. L B