Frédéric Bizard est enseignant à Sciences Po Paris et économiste spécialisé sur les questions de santé. Il a publié en juillet 2014 un rapport sur la refondation du système de santé en France. Il estime que la rémunération des médecins doit être corrélée avec l’évolution de leurs tâches.

 

Egora.fr : Pensez-vous que le paiement à l’acte est l’avenir de la rémunération des médecins libéraux ?

Frédéric Bizard : Il n’y a pas de bons et de mauvais modes de paiement. Il n’y a pas de solution miracle sinon ça se saurait. Il faut savoir qu’un mode de paiement, s’il est bien conçu, doit générer des incitations positives pour une utilisation optimale des ressources au sein du système de santé. Il faut avoir une réflexion globale. Avant de réfléchir au système de paiement, il faut se questionner sur l’organisation des soins. Dans notre modèle, nous avons privilégié en ville le paiement à l’acte parce qu’on voulait que tout le monde ait un accès aux soins le plus large possible. Il ne devait pas y avoir de risque de sélection des patients, ni de négliger des petites pathologies moins rémunératrice… Pour cela, l’acte rémunéré au même tarif, quelle que soit la pathologie, était adapté.

L’environnement a considérablement changé. Les médecins voient l’usure d’un système quasi exclusif de rémunération, dans lequel il faut enchaîner les patients de façon quasiment industrialisée. Le paiement à l’acte n’est pas un mauvais mode de rémunération. Il faut le conserver, tout en instaurant une mixité des financements.

Quelle serait le mode de rémunération idéal pour les médecins généralistes libéraux ?

Pour répondre à cette question, je vais prendre comme hypothèse que le médecin généraliste a trois rôles dans le système de soins. Le premier est de prendre en charge les soins courants généralistes. Le deuxième est d’assurer des services de prévention et d’éducation à la santé et enfin le troisième rôle est de gérer la coordination des parcours pour les patients chroniques. Dans les années 1950, la seule mission du généraliste était la prise en charge des soins courants. En passant de maladies aigues à des maladies chroniques, et avec l’introduction de la variable prévention, il est évident que les modes de paiement doivent évoluer. Un médecin est comme tout agent économique, il optimise son intérêt. Il lui faut donc trois modes de rémunération différents pour ces trois rôles.

La prise en charge de la prévention et de la santé publique au sens large devrait être rémunérée par un forfait annuel à la capitation ajustée. Ajustée en fonction de l’âge et de l’état de santé du patient. Ce forfait annuel serait versé si le cahier des charges est rempli.

Pour la coordination des patients chroniques, et en partant du principe que des parcours de soins soient mis en place, il s’agirait d’un forfait de coordination entre la ville, l’hôpital et le médico-social. Le praticien toucherait ainsi par exemple, 100 euros par patient diabétique.

Pour la prise en charge des soins généralistes, le paiement à l’acte reste le meilleur mode de rémunération. C’est un paiement qui pousse à la productivité et évite les phénomènes de sélection liés à la capitation.

Avec ce système, il y aurait moins d’acte de soins courants car certains seraient inclus dans les deux autres rémunérations. Tout ne s’ajouterait pas. J’estime qu’à terme, le médecin devrait avoir une part de rémunération à l’acte de 50 à 60%. Le médecin serait donc moins dans la course à l’acte, tout en étant rémunéré en fonction de sa productivité.

La ROSP n’est pas suffisante selon vous ?

Comme la ROSP est un tout petit pas en avant, elle n’a pas du tout influencé les comportements. On a mis des critères qui sont très faciles à atteindre donc elle est devenue une sorte de prime de fin d’année.

Je suis contre une rémunération à la performance parce qu’il y a des risques déviants d’une approche très commerciale de la médecine. Les médecins pourraient se comporter de façon à remplir les cases et toucher la prime. Il faut que les rémunérations soient plus lisibles et qu’elles ne consistent pas uniquement à remplir des cases.

On peut considérer que mon schéma est un éclatement de la ROSP en trois rémunérations qui soient clairement liées à des prises en charge différenciées pour des actions qui sont aussi bien différentes.

Que pensez-vous du salariat, qui intéresse de plus en plus les jeunes ?

On verra de plus en plus de salariat, au fur et à mesure que l’on fait péricliter le modèle économique de l’exercice libéral. Aujourd’hui pour s’installer en secteur 1, avec une consultation de 23 euros, au centre des grandes villes, il faut être un peu kamikaze. Je comprends tous ces jeunes qui choisissent le salariat par défaut mais je pense qu’il y en a de moins en moins qui vont être intéressés par ça. Le mode salarial n’est pas du tout adapté à un système concurrentiel dans lequel figurent des mécanismes de marché. Il y a deux grands modèles à travers le monde. Les modèles anglais ou suédois ont un système national public de santé avec une offre et une assurance principalement publiques. La plupart des autres pays dont la France ont un système concurrentiel d’offre de soins avec une assurance publique ou une assurance privée (principalement une assurance publique). Le salariat est un mauvais mode de paiement dans un système comme le nôtre. C’est aux Français de faire le choix. Veulent-ils pouvoir mettre en concurrence leurs offreurs de soins ou préfèrent-ils ne pas choisir leur professionnel de santé comme dans le système à l’anglaise ? S’ils optent pour la seconde option, on se dirigera vers le salariat, mais le système sera nettement moins productif.

Le modèle financier de l’exercice libéral est en train d’être plombé et je pense que c’est la raison principale de la perte d’envie des jeunes de ce mode d’exercice, après leur internat.

Les médecins sont-ils suffisamment bien payés ?

Les médecins français sont très inégalement rémunérés et pas toujours de façon justifiée. C’est une première particularité qu’il faudrait corriger. Il suffit de regarder la CCAM et la valorisation des actes. Depuis 10 ans, il n’y a quasiment rien eu pour permettre une meilleure équité tarifaire en fonction des activités. Les actes n’ont pratiquement pas été réévalués non plus. Nous avons un système de paiement qui n’a pas été pensé pour être rémunéré au juste prix, ne serait-ce qu’entre spécialités. On a un peu compensé par la ROSP et les médecins ont compensé par une suractivité mais on arrive au bout du système.

Par rapport aux pays européens comparables, les médecins français sont en bas de la tranche. Les médecins généralistes sont à peu près payés deux fois le salaire moyen d’un Français, alors que cette moyenne est supérieure à trois dans les autres pays.

La France a un problème d’allocation des ressources. On dépense beaucoup trop sur le curatif, à savoir l’hôpital et pas assez sur le préventif et l’ambulatoire. Pour trouver des marges de manœuvre, il faut repenser le système dans sa globalité. Chaque acteur va devoir revoir son rôle et accepter une évolution dans son fonctionnement. Les médecins s’accrochent à ce qu’ils ont et demandent plus par rapport au système actuel. Le problème est qu’il n’est pas possible de leur donner plus sans repenser le système. Il faut retrouver les marges de manœuvre que nous n’avons plus.

 

Source :
www.egora.fr
Auteur : Sandy Berrebi-Bonin