Des nouveaux soldats infatigables qui ne dorment jamais sont en train d’apparaître. L’autopsie de l’auteur des attentats de Sousse, en Tunisie, a révélé des traces de drogue dans son corps. Suffisant pour que les enquêteurs le soupçonnent d’avoir agi sous l’emprise du Captagon, une amphétamine effaçant la peur, décuplant l’énergie et annihilant toute émotion, qui serait consommée à la fois par les combattants de Daesh et les membres des forces gouvernementales syriennes. Dans les rangs des armées occidentales, une molécule plus “raffinée” est utilisée, le modafinil, permettant aux militaires de rester éveillés au-delà des limites normales de l’endurance. Le point sur le nouveau rapport de force que représentent les médicaments anti-sommeil avec le Dr Laurent Karila, psychiatre addictologue (hôpital Paul-Brousse, Villejuif, 94), porte-parole de SOS Addictions (www.sos-addictions.org).
Egora.fr : Dans le chaos de la guerre civile, la Syrie serait devenue un des plus grands producteurs et consommateurs de captagon, substance qui ferait l’objet d’un immense trafic dans les pays du Moyen-Orient. Qu’est-ce que le captagon ?
Dr Laurent Karila : À l’origine, le captagon (fénéthylline) était produit en Occident dans les années 1960 pour traiter l’hyperactivité, la narcolepsie et la dépression. Il s’agit d’une ampakine, classe de composés amphétaminiques, connus pour augmenter la capacité d’attention et de vigilance, et pour faciliter l’apprentissage et la mémoire. Les ampakines tirent leur nom des récepteurs Ampa glutamatergiques avec lesquels elles interagissent fortement. Comme les amphétamines, le captagon est anorexigène, diminue la sensation de fatigue, prolonge l’éveil et augmente l’endurance physique. La molécule apporte aussi euphorie et exaltation. Elle augmente la confiance en soi. D’où le danger que constitue cette molécule capable de transformer un soldat en “robot de guerre” résistant à tout et dépourvu de toute empathie. Depuis 1986, le captagon est sur la liste des stupéfiants en raison de sa forte capacité addictive. Dans les années 1970, la molécule a été placée sous contrôle international, et des réseaux clandestins ont commencé à se développer.
Quels sont les risques et complications possibles de cette substance ?
Sur le plan psychique, le captagon, comme toutes les amphétamines, peut entraîner des états délirants, des bouffées d’angoisse, des attaques de panique. Il arrive que l’usager devienne violent envers les autres et lui-même. À l’arrêt de la prise, les risques de problèmes psychiatriques (suicide, dépression) sont augmentés. Sur le plan physique, les amphétamines peuvent induire des complications graves rénales (liées à une hyperthermie) et cardiaques (hypertension et palpitation) pouvant entraîner le décès de l’usager.
Une grande partie de la recherche supervisée par les organismes militaires occidentaux se concentre actuellement sur le modafinil. Il a été utilisé pendant la guerre du Golfe par des soldats français et des soldats américains en Irak et en Afghanistan. De quoi s’agit-il ?
Découvert par un laboratoire français au début des années 1980 (Lafon), le modafinil est un médicament éveillant disponible dans l’Union européenne depuis 1992. C’est un psychostimulant non amphétaminique, dont le mode d’action est encore mal connu. Il est indiqué en France uniquement dans le traitement de la narcolepsie, permettant aux personnes qui souffrent d’une fatigue inhabituelle de rester éveillées, avec une meilleure performance quotidienne diurne notamment.
Quel est le grand intérêt de cette molécule pour les militaires par rapport aux solutions existantes que sont les amphétamines ?
Le médicament a les mêmes propriétés que les amphétamines, avec un risque de dépendance. Il ne permet pas d’am- plifier les performances des soldats mais plutôt de lutter contre le déclin cognitif dû à la fatigue. Il ne provoquerait pas d’euphorie intense au moment de la prise. Contrairement aux ampakines, il ne modifierait donc pas la réalité opérationnelle. L’usage détourné de modafinil a été observé notamment chez des sportifs, des cadres et des étudiants pour augmenter l’efficacité de leur travail.
Quels sont les risques possibles ?
Des effets indésirables fréquents liés à la dose ont été signalés tels que des maux de tête, palpitations et douleurs thoraciques, vertiges, douleurs abdominales, nausées, troubles neuro- psychiatriques (nervosité, insomnie…). D’autres effets indésirables plus graves mais moins fréquents ont également été décrits, notamment des réactions allergiques cutanées très sévères (à type de syndrome de Stevens-Johnson), ainsi que des affections psychiatriques à type de dépression avec des idées suicidaires, à type d’anxiété majeure, de comportements agressifs, d’états délirants. À cause de ces effets indésirables psychiatriques et cutanés, le modafinil, dont les indications étaient assez larges à l’origine (hypersomnie idiopatique, et troubles de l’attention), ont été limitée à la narcolepsie.
Source :
www.egora.fr
Auteur : Corinne Drault